Peu enseignée, mais également peu discutée entre professionnels, la gestion de la relation avec des patients difficiles ou indélicats constitue pourtant une part importante du quotidien des généralistes. Cet aspect peut rebuter les jeunes praticiens qui s'installent. Les médecins de famille sont en effet en première ligne face à ces patients difficiles. Selon les données récoltées par le Dr Chloé Bouchacourt, généraliste à Meaux, dans son travail de thèse de doctorat sur le sujet (2014), tous les généralistes sont concernés, mais à des degrés divers : « de cinq à dix patients pour certains médecins et jusqu’à 10 % de leur patientèle pour d’autres ». Les comportements déplorés vont du simple retard au rendez-vous à l'agression (1), qui reste verbale dans la majorité des cas. Ils s'inscrivent dans le contexte d'une plus grande exigence des patients quant à la disponibilité des médecins et à l'obligation de résultats, mais aussi d'une médiatisation accrue des discours médicaux et d'une judiciarisation des conflits.
Dictature de l'immédiateté
Pour le Pr Jean-Daniel Lalau, chef du service d’endocrinologie-nutrition du CHU d'Amiens et responsable du Pôle de prévention et d'éducation du patient, plusieurs facteurs alimentent les comportements incivils : « des facteurs psychiques, mais aussi relationnels, un bouleversement du rapport au temps, des facteurs sociaux et le consumérisme ambiant » énumère-t-il. « La relation médecin-patient doit également être prise dans le cadre de l'institution (l'hôpital ou le système de soins) et des représentations qu'elle génère. On constate par exemple un moindre respect de l'institution, faisant suite à quelques excès d'un système longtemps paternaliste. » Selon lui, la médecine est aujourd'hui perçue comme un bien de consommation. Dans le cas des rendez-vous non honorés, il constate : « Souvent, les patients ne viennent pas car ils ont jugé le délai d’attente trop long par rapport à une demande de recours immédiate. De fait, le praticien se trouve confronté à une sorte de dictature de l’immédiateté. » En conséquence, ce sont la relation, le diagnostic, la qualité des soins et l'observance des traitements qui sont en jeu.
Ne pas excuser mais comprendre
En réponse à ces comportements et aux risques associés, le Pr Lalau prône le dialogue, la compréhension et la sensibilisation. « Face à des personnes malades, en souffrance, il ne faut pas excuser mais comprendre. Le contexte peut être lourd. Instaurer un climat compréhensif permet que la consultation se passe bien, explique-t-il. Il faut interroger le patient sur ses comportements de façon ouverte et respectueuse, sans jugement. Il est également nécessaire de le responsabiliser en lui expliquant l’importance de sa collaboration pour la qualité de son suivi médical, mais aussi les conséquences de ces manquements pour les autres patients. »
Pour sensibiliser la patientèle, l’URPS ML de Bourgogne – Franche-Comté a ainsi élaboré, en 2013, une charte rappelant certains « devoirs » des patients que les praticiens peuvent afficher dans leur salle d'attente. « Alors que les tensions sont exacerbées par un temps médical restreint, la charte permet d'ouvrir le dialogue, de décrisper les choses. Les patients prennent conscience de leurs comportements et des conséquences pour eux, pour le médecin et pour les autres patients », analyse le Dr Christophe Thibault, secrétaire général de l'URPS.
Selon le généraliste de l'Yonne, l'affichage en salle d'attente établit un socle pour une relation apaisée. « L'impact se ressent sur de nombreux aspects : les retards sont mieux compris, les patients sont moins bruyants en salle d'attente, et, en consultation, ils saisissent la nécessité d'une relation de confiance et de respect mutuel. »
Contre les lapins, les rappels par SMS
Quelques solutions pratiques peuvent également permettre d'apaiser les tensions. Pour prévenir les absences aux rendez-vous par exemple, il est possible de mettre en place une procédure de rappels automatiques par SMS, quelques jours avant la date prévue du rendez-vous. Dans sa thèse sur la « gestion des relations médecin-patient conflictuelles en médecine générale », le Dr Carole Martin Sarrazin, généraliste à Neuville-le-Poitou, suggère « pour ne pas avoir de conflit avec ses patients » de favoriser les consultations sur rendez-vous et d'être ponctuelle, « notamment en incluant des pauses dans son emploi du temps pour rattraper le retard éventuel et éviter le surmenage ». Selon elle, il faut également « favoriser le dialogue » et « inviter le patient à évoquer son contexte et ses représentations ». Être attentif à ses propres réactions est également une piste. « Il faut mesurer ses limites pour ne pas perturber la relation. Il pourrait alors en résulter des oublis, des non-dits qui peuvent avoir des conséquences sur la prise en charge » assure Christophe Thibault. Enfin, il ne faut pas hésiter, selon Carole Martin Sarrazin, à « demander l'avis à un confrère de confiance, éventuellement partager son ressenti sur une consultation difficile ».
(1) L'Observatoire de la sécurité des médecins recense chaque année un nombre croissant d'agressions. Ainsi, en 2017, 1 035 incidents (insultes, menaces physiques, violence, vols...) ont été déclarés par les praticiens auprès de l'Ordre des Médecins.
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