Le Dr Boudin, d'Oyonnax, a publié dans le Bulletin de l'Union des Syndicats médicaux du 5 avril 1907 une critique judicieuse du projet Caillaux sur l'impôt sur le revenu. Ce projet lésera d'une façon très préjudiciable les intérêts du corps médical. En effet : l'article 51 du projet prévoit la taxe sur les bénéfices nets réalisés pendant l'année précédente. Comme pour les médecins rien n'est prévu comme dépenses inhérentes à la profession, alors que ce l'est pour les industriels (art. 32), il en résulte que tout honoraire sera considéré comme bénéfice net.
En conséquence, sont frappés par l'impôt : a) les indemnités dérisoires accordées par le service de l'assistance médicale gratuite, des enfants assistés, de la protection du premier âge, des vaccinations ; b) les allocations infimes allouées aux médecins d’hospices et d'hôpitaux ; c) les traitements déjà très réduits des mutualités, des compagnies d'assurances accidents ; d) le prix total d'une course à la campagne, sans que soient défalqués les frais de voiture (dans ce cas, les frais de voiture seront imposés deux fois : le médecin paiera la taxe puisque les frais sont compris dans ses bénéfices globaux ; le voiturier la paiera puisqu'il reçoit salaire pour son travail) ; e) les frais d'instruments, de livres, de fournitures quelconque, etc., ne seront pas défalqués sur les bénéfices généraux.
Conclusion : l'impôt frappera donc non les revenus mais le travail et les instruments du travail du médecin.
Cet impôt sera encore plus que doublé par les centimes additionnels. La patente, déjà si lourde, n'est pas supprimée. Les agents du fisc auront droit, en vertu de l'art. 53, de vérifier les comptes et d'interroger les origines des honoraires. En conséquence : a) notre secret professionnel sera illusoire et l'article 378 du code pénal sera complètement violé ; b) le médecin sera complètement sous le coup de l'arbitraire : l'agent du fisc pourra toujours prétendre que, pour le tromper, le praticien de campagne aura pris pour une opération des honoraires royaux réclamés par les maîtres pour la même intervention ; c) le médecin ne sera plus libre de faire le bien, en consentant des remises partielles ou totales de dettes aux familles nécessiteuses. En plus, comment faire la preuve des notes d'honoraires impayées ?
Ce sera l'arbitraire et la délation qui seront toujours menaçants. L'article 54 permettant au fisc de prétendre que le médecin l'a trompé par omission ou par insuffisance de déclaration, d'où la quintuple amende et le droit pour le fisc de réclamer les arriérés pendant cinq ans.
Comment taxer une année en prenant pour base les bénéfices de l'année précédente ? Rien n'est plus variable que la clientèle médicale, d'où des années de rapport inégal.
Pour tous ces motifs, les médecins protestent contre l'application d'un tel projet de loi si injuste, si arbitraire et si contraire aux immuables principes du secret professionnel.
À cette protestation, et à celles de nombreux syndicats médicaux qui ont déterminé un vote à ce sujet du Congrès des Praticiens, est venu s'ajouter le vœu du Syndicat des médecins de la Seine :
Le Syndicat des médecins de la Seine considérant que le projet Caillaux lèse les intérêts des malades par la violation du secret professionnel, et dessert les intérêts des médecins par une inquisition vexatoire et une augmentation considérable de leurs impôts, considérant que l'opinion unanime du Corps médical français est opposée à ce projet, émet le vœu :
1- que l'opinion publique soit largement éclairée sur les dangers que le projet Caillaux fait courir à tous les malades ;
2- que, dans la discussion du projet, les membres du groupe médical parlementaire luttent énergiquement contre lui, s'efforcent d'obtenir au minimum le maintien du statu quo, avec l'amélioration de la patente actuelle et, en cas de vote du projet, exigent la déduction des frais généraux dans les bénéfices imposables de la profession médicale.
Ce vœu a été voté par le Conseil du Syndicat à sa séance du 5 juin, à la suite d'un rapport documenté de M. le Dr Rénon qui, dès le 2 juin 1906, avait donné l'alarme dans le Journal des Praticiens et montré les dangers que les projets d'impôt sur le revenu pouvaient faire courir au Corps médical.
(Le Progrès médical, 1907)
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