En 2022, l’âge moyen des médecins en exercice sur le territoire métropolitain français était de 57,6 ans, selon les chiffres du Conseil national de l’Ordre des médecins. Le nombre de départ à la retraite de praticiens devrait augmenter de façon exponentielle au cours des prochaines années sans que le renouvellement de génération soit assuré. Comment anticiper l’aggravation de la désertification médicale au cours des prochaines années ? Les changements générationnels font qu’il est difficile d’imaginer que la transition sera assurée facilement. Le ministre de la Santé, Frédéric Valletoux lui-même, n’anticipe pas d’amélioration avant 5 à 10 ans.
Vers qui se tourner ? Les médecins retraités. Sur un effectif total de 87 552 praticiens en cessation d’activité, 24 % ont moins de 70 ans, 73 % sont des hommes (chiffres Carmf). La tranche d’âge des 65-75 ans est particulièrement bien représentée avec près de 50 000 médecins des deux sexes. C’est dans cette sous-catégorie que l’on trouve les « médecins retraités actifs » au nombre de 20 000 en 2023 (contre 5 600 en 2021) qui représentent désormais 10 % de la profession. Si en majorité ils restent installés dans leur cabinet habituel, on trouve aussi des médecins en cumul emploi-retraite chez les remplaçants ou les intérimaires.
Alors quelles sont les motivations de ces praticiens ?
Avant la pandémie Covid, deux jeunes thésards se sont intéressés aux déterminants de la poursuite de l’activité chez les généralistes libéraux, dans une étude publiée en 2017. Aucun travail sur le sujet n’a été publié depuis cette date, pourtant, il semblerait que cette période particulière et les difficultés économiques et sociétales qui ont en résulté aient influé sur le désir de prolonger ou non l’activité. Le Dr Bastien Duguet (1) précise que l’aspect financier est l’un des motifs le plus souvent mis en avant par les médecins actifs ayant passé l’âge de retraite : les difficultés financières liées à la situation familiale et les carrières décousues sont les deux motifs prépondérants. Mais les médecins insistent aussi sur leur passion pour le métier, le besoin relationnel, la possibilité de s’impliquer dans le domaine de la formation ou la diversité possible de l’exercice médical.
Protéger « ses » patients
La thèse de Yannick Marchand en 2017 insiste sur les facteurs négatifs qui influeraient sur la poursuite de carrière. La retraite, tournant de vie, est perçue de façon divergente selon l’épanouissement des médecins dans leur exercice quotidien. Ceux qui y retirent le plus de satisfaction ont du mal à se projeter vers un nouveau rythme de vie puisque l’arrêt de la carrière est imaginé comme une rupture, comme une peur de l’inconnu ou de la désocialisation. Le Dr Marchand met aussi en avant le lien entre le médecin et « ses » patients. Après une symbiose qui a pu durer jusqu’à 40 ans, ils se sentent responsables du devenir de leur patientèle qui pourrait être confrontée à un vide énorme en l’absence de repreneur ou de remplaçant. Les médecins qui poursuivent leur activité prennent en compte la situation démographique de leur territoire. En solidarité avec les confrères et en déplorant le manque d’investissement des élus, ils acceptent de prolonger leur mission.
Yannick Marchand explique aussi que les évolutions de la médecine ont rendu plus simple la poursuite de l’exercice. La patientèle connue de longue date est respectueuse des souhaits d’exercice du médecin et le travail en groupe permet d’assurer une présence médicale. Avec les changements récents post-pandémie, il serait intéressant d’analyser à nouveau les éventuelles motivations de poursuite d’exercice des médecins qui passent aujourd’hui le cap des 65,6 ans (âge moyen de la retraite des médecins français).
Si les pouvoirs publics souhaitent que les médecins retraités continuent à travailler, il faudra les inciter à mieux prendre en charge leur propre santé
Plus de la moitié des généralistes plus de 50 ans ne s’estiment pas en bonne santé
Pour pouvoir se projeter dans un exercice post-retraite, encore faut-il être en bonne forme physique. En 2023, Audrey Dubus Catteau s’est intéressée à l’état de santé des généralistes libéraux des Hauts-de-France. Un chiffre saute aux yeux dans sa thèse : dès l’âge de 50 ans, 59 % des médecins interrogés s’estiment ne pas être en bonne santé : manque de sommeil réparateur, pathologie chronique (essentiellement cardiovasculaire pour un tiers des représentants de cette tranche d’âge), non-réalisation des examens complémentaires demandés par les rares spécialistes qu’ils consultent, surpoids, consommation d’alcool, de tabac, activité physique faible voire nulle (25 %), non-dépistage des cancers (57 %), etc.
Si les pouvoirs publics souhaitent que de plus en plus de médecins retraités continuent à travailler, il va être nécessaire de les inciter à mieux prendre en charge leur propre santé. La création d’une structure de type « médecine du travail » pour les libéraux qui, bien que souvent évoquée, en reste à l’état de « serpent de mer » va devenir une nécessité dans les prochaines années.
Duguet B. Médecins généralistes libéraux exerçant au-delà de l’âge de la retraite : étude qualitative des déterminants de la poursuite de l’activité. Thèse 2018
Marchand Y. « Alors docteur c’est pour quand la retraite ? ». Thèse 2017
Dubus Catteau A. État de santé et suivi médical des médecins généralistes libéraux des Hauts-de-France. Thèse 2023
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