« Il y a un recul constant de l'exercice libéral en soins primaires. Cette situation est très inquiétante », avertit le Dr Jean-Marcel Mourgues. Le vice-président du conseil national de l'Ordre des médecins se base sur les derniers chiffres de l'Atlas de la démographie médicale en France publié mercredi.
Au 1er janvier 2023, le Cnom recense ainsi 234 028 médecins en activité totale, régulière ou intermittente (remplacements ou contrats salariés courts pour l’essentiel), soit une légère hausse de 0,5 % depuis un an. Mais parallèlement, le nombre de médecins en activité régulière, hors médecins en cumul emploi retraite et les intermittents continue à diminuer passant ainsi de 197 811 médecins en 2022 à 197 417 en 2023, soit une baisse de 0,2 %. Depuis 2010, le poids des actifs réguliers ne cesse en effet de décroître (84 % en 2023 versus 93 % 13 ans plus tôt, soit - 1,3 %) au profit des intermittents et des retraités actifs (respectivement + 64,4 % et de + 259,2 %).
En outre, la répartition entre les médecins généralistes et les autres spécialistes s'est nettement déséquilibrée au profit des seconds qui représentent désormais 57 % des médecins en activité versus 52 % en 2010 (45 % de spécialistes médicaux et 12 % de chirurgiens). Selon le Cnom, la perte d'actifs réguliers en médecine générale a été particulièrement forte sur un an : - 1 146 médecins. Cette baisse est liée en grande partie aux départs à la retraite et au faible renouvellement générationnel - lui-même dû au durcissement du numerus clausus des années 1985-2000. Une perte qui a logiquement un impact sur l'accès aux médecins traitants. Selon la Cnam, six millions de Français n'en disposent pas.
Le salariat, plus attractif
L’activité salariée paraît désormais plus attractive auprès des médecins en activité régulière. Au 1er janvier 2023, près d'un actif sur deux (48,2 %) avait opté pour le salariat et 10,2 % pour un exercice mixte. En 2010, le libéral exclusif était encore choisi par 46,5 % des médecins et le salariat à 41,9 % en 2010. Ce mode d'exercice est majoritaire chez les spécialistes médicaux (61,9 %) tandis que généralistes exercent eux encore en libéral à 56,9 %. Mais ne serait-ce qu'un an, le libéral a reculé de 0,5 point. « Au fil du temps, l'activité libérale baisse. Ce qui ne fait qu'aggraver le constat des déserts médicaux », prévient l'élu ordinal. Aujourd'hui, le Cnom comptabilise 59 523 médecins généralistes de premier recours, soit 81 % de l’ensemble des médecins de premiers recours (psychiatres, pédiatres, gynécologues et ophtalmologues).
En outre, la féminisation de la profession se poursuit : 100 928 femmes médecins contre 96 489 hommes. Alors que les consœurs sont devenues majoritaires chez les praticiens en exercice au 1er janvier 2022 à 50,5 % - pour la première fois de l'histoire de la médecine - ce taux est passé à 51,1 % un an plus tard. Il était à peine de 40 % en 2010, « soit une augmentation de 10,1 points en 13 ans », commente le Dr Mourgues. Parallèlement, la profession continue également à rajeunir. Les médecins sont âgés en moyenne de 48,6 ans contre 50,2 ans en 2010. Le nombre de praticiens de moins de 40 ans a quasi doublé entre 2010 et 2023 passant de 15,7 % à 29,6 % au 1er janvier 2023. Pour les généralistes, l'âge moyen baisse légèrement : 51,1 ans contre 51,9 ans en 2010. « Le rajeunissement est à l'œuvre, note le Dr Mourgues. Mais les jeunes médecins optent davantage pour le salariat et font autre chose que de la médecine générale. Il y a un problème de fond d'attractivité de médecine générale de premier recours ».
Disparités territoriales
De nouveau, l'Ordre souligne la réalité des inégalités territoriales. Alors que la densité médicale moyenne est de 294,7 pour 100 000 habitants, plusieurs départements situés au centre de la métropole affichent un nombre de médecins bien inférieure comme l’Indre (147), l’Eure (149) ou encore l’Ain (152). Et à l’inverse, ceux abritant les grandes villes de France, ainsi que ceux situés sur les littoraux ou aux frontières présentent sont mieux dotés : Paris (690), Hautes-Alpes (418) ou encore le Rhône (413).
En ciblant les densités standardisées uniquement sur la population de 65 ans et plus - la plus consommatrice des soins -, une diagonale se dessine s'étendant du Nord-Est au Sud Ouest de la métropole avec des départements les moins dotés en médecins en activité régulière. Ainsi, la Nièvre (577 médecins pour 100 000 habitants), la Creuse (552) et l’Indre (531) affichent les densités médicales les plus faibles. En revanche, les départements les plus peuplés présentent les densités les plus fortes : Paris (4 072), le Rhône (2 435) ou encore le Val-de-Marne (2 263). « Cet indicateur laisse entrevoir des disparités territoriales. Mais là encore, prévient le vice-président de l'Ordre, il faut être prudent. Le besoin en santé diffère d'un territoire à l'autre ».
Mesures contraignantes
Pour l'heure, la baisse de l'offre de soins est ressentie par les médecins localement. Cela se traduit concrètement, selon un panel de généralistes interrogés par la Drees, par des difficultés à adresser leurs patients vers les confrères d'autres spécialités (87 % contre 77 % en 2019), voire vers les professions paramédicales (infirmières, masseurs-kinésithérapeutes…). Pour faire face à cette tension, ils ont dû modifier leur fonctionnement comme refuser de prendre de nouveaux patients comme médecin traitant (deux tiers des médecins interrogés) ou à voir moins fréquemment des patients souffrant de maladies chroniques (44 %). En même temps, ils ont commencé aussi à se saisir des outils proposés par l'État comme les assistants médicaux (5 %) ou les communautés professionnelles territoriales de santé (12 % en font partie) pour mieux travailler en coordination et dégager du temps médical.
Mais ces évolutions organisationnelles restent encore insuffisantes aux yeux de certains parlementaires qui veulent imposer des mesures plus contraignantes à la profession, notamment à l'occasion de la proposition de loi portée par le député Frédéric Valletoux (Horizons) en cours d'examen à l'Assemblée nationale. « Des parlementaires veulent réguler l'installation dans les zones surdotées, s'irrite le Dr Mourgues. Mais personne ne sait ce qu'est une zone surdotée. C'est vouloir mettre du feu aux poudres ». Le Cnom appelle ainsi l'État à avoir une vision plus globale du système de santé et non en silo entre l'hôpital et la ville. « Les mêmes efforts politiques devraient être déployés tant à l'hôpital que pour le libéral », plaide l'élu ordinal. Faute de quoi, « on glissera soit vers un système de capitalisation avec de grands groupes financiers, soit vers un exercice salarié entraînant l'abandon du libéral », prévient l'élu ordinal.
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