C’est un pavé dans la mare de la formation médicale continue (FMC). L’enquête de la Cour des comptes, rendue publique mercredi 25 septembre, devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, dresse un bilan accablant de l’obligation déontologique de DPC, « largement méconnue », et plus largement du système français de FMC trop lourd et opaque pour la profession.
Après une litanie de réformes depuis plus de 20 ans, la formation continue des médecins se caractérise en France par la « juxtaposition de deux obligations distinctes », s’agace la Cour : d’une part le développement professionnel continu (DPC) créé en 2009 et qui concerne la quasi-totalité des professions de santé. D’autre part, la certification périodique, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, et qui se limite à celles disposant d’un Ordre professionnel. Ces deux contraintes s’imposent en théorie aux 234 000 médecins actifs – dont 101 000 généralistes et 133 000 d’autres spécialités, qu’ils exercent en libéral ou au sein d’établissements de santé publics ou privés. Résultat de cette double dose : la FMC n’est pas réalisée « dans des conditions satisfaisantes, susceptibles de garantir de façon durable la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients ».
Ces chiffres ne signifient pas que les médecins ne se forment pas mais qu’ils ne rendent pas compte des actions auxquelles ils participent
La Cour des comptes
Pourquoi ? Malgré 15 ans d’existence, le DPC – qui consiste à suivre des actions de formation prédéfinies dans un référentiel établi pour chaque spécialité et à les mentionner dans un document de traçabilité hébergé dans un compte individuel – se révèle « un échec » en raison du faible nombre de praticiens attestant du respect de cette obligation.
Qu’on en juge : au cours du dernier cycle triennal 2020-2022, « seul un médecin sur sept » a respecté officiellement cette obligation (14,4 %). À noter que 12,3 % se sont engagés dans une ou plusieurs actions de DPC « sans satisfaire entièrement leur obligation ». Près des trois quarts des médecins (73,3 %) ne l’ont pas fait. « Ces chiffres ne signifient pas que les médecins ne se forment pas », recadre la Cour, mais « plutôt qu’ils ne rendent pas compte des actions auxquelles ils participent pour permettre à l’Ordre des médecins d’apprécier s’ils respectent leur obligation de formation continue ». Bref, la traçabilité n’est pas au rendez-vous et le système relève donc du maquis.
Et même si les praticiens libéraux sont beaucoup plus nombreux à attester de la validation de leur obligation (26,3 %) que leurs confrères salariés non hospitaliers (3,2 %) ou hospitaliers (2,6 %), ce manque de transparence a d’autres effets dommageables. « Les formations réalisées en dehors du DPC ne présentent pas les garanties de conformité par rapport aux référentiels, on ne peut s’assurer non plus de leur qualité pédagogique et scientifique, ni de l’indépendance par rapport à l’industrie pharmaceutique », a expliqué François de La Guéronnière, conseiller maître, en présentant le rapport aux députés de la commission des affaires sociales.
L’Ordre, simple chambre d’enregistrement ?
L’explication de ce fiasco ? Les représentants des médecins auditionnés par la Cour ont invoqué une organisation du DPC « trop complexe » et des actions « trop nombreuses et inadaptées » par rapport à leur exercice.
Mais pour la Cour, une autre raison explique le manque d’implication des médecins, à savoir l’engagement insuffisant de l’Ordre national dans « la sensibilisation des praticiens au respect de leur obligation » et dans son contrôle. « L’Ordre se contente d’être une chambre d’enregistrement des formations transmises, égratigne le magistrat. Il ne mène aucune action de communication tant collective que ciblée sur les médecins qui ne déclarent rien ou insuffisamment ». Pire, sur le plan disciplinaire, peu de sanctions ordinales ont été infligées au titre de l’absence de validation d’obligation de DPC.
Une certification périodique encore inopérante
Autre dysfonctionnement de taille : la certification périodique introduite sur le papier en 2023, toujours pas opérationnelle faute des décrets d’application nécessaires. « Les médecins ne savent donc toujours pas comment la respecter », se désole François de La Guéronnière.
Dans ces conditions, la superposition des deux obligations (DPC d’un côté et certification périodique de l’autre) est ouvertement contestée. Ces deux dispositifs poursuivent « des objectifs communs avec des périmètres qui se recoupent, ce qui pourrait se traduire par des décisions contradictoires, difficilement explicables », tranche la Cour. En ce sens, ils doivent donc être unifiés, en supprimant « purement et simplement » l’obligation de DPC au profit de la certification périodique. « Cela permettrait d’alléger les obligations pesant sur les médecins, de clarifier le système tout en rationnant les moyens », a plaidé le conseiller maître.
D’autres améliorations pourraient être apportées. L’harmonisation des « 48 référentiels » de certification pour chaque spécialité médicale est jugée cruciale, puisqu’elle doit permettre de mettre sur pied des dispositifs « équitables entre spécialités » et « clairs » pour les praticiens. De surcroît, le contrôle de la certification périodique pourrait être rendu « plus efficace ». Les attentes en matière de qualité des informations pour valider les parcours de certification doivent enfin être définies clairement par les pouvoirs publics.
Évaluation embryonnaire
Plus largement, c’est l’absence d’évaluation de l’impact des actions de formation continue sur l’amélioration effective des connaissances des médecins qui est critiquée. « Si cette évaluation est prévue par les textes, elle n’est pas réalisée en pratique en raison des difficultés d’accès aux données anonymisées », souligne le magistrat.
La question des moyens financiers est une autre source d’inquiétude. Sur le DPC, l’enveloppe de 140 millions d’euros par an (dont 86 millions d’euros en 2023 pour les libéraux) est certes jugée « équilibrée » mais elle « profite de l’adhésion encore faible des médecins » (43 000 libéraux engagés dans un parcours de DPC). Or, l’arrivée de la certification périodique est « susceptible de mettre à l’épreuve la résilience financière du dispositif », peut-on lire. La Cour recommande ici de faire le ménage. D’abord, une réflexion doit être lancée sur les tarifs parfois élevés de certaines prestations. Quant au versement des indemnités compensatrices pour perte de ressources aux médecins libéraux, il ne serait pas toujours justifié. « Quand les médecins biologistes sont en formation, leur laboratoire reste ouvert », a glissé François de La Guéronnière.
Un label unique face au lobby pharmaceutique ?
Comment s’assurer que les formations prodiguées présentent toutes les garanties d’indépendance par rapport aux laboratoires ? Malgré les règles de transparence imposées, « le niveau de risques est élevé », avance le rapport. Au cours des années 2017 à 2022, les montants des rémunérations et avantages versés aux acteurs de la santé par les industriels ont représenté plus de cinq milliards d’euros dont la moitié aux « fondations, académies, sociétés savantes et organismes de conseil ».
De surcroît, l’enquête a révélé des situations de conflits d’intérêts, notamment pour certains conseils nationaux professionnels (CNP) chargés de définir les parcours de formation de référence. Certains conseillent la participation à des congrès… qu’ils organisent directement. Côté organismes de formation, « les exigences de contrôle » seraient « inégales quant à la rigueur scientifique et à l’indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique ». Pour harmoniser l'action des opérateurs et des employeurs, la Cour recommande « la création d’un label unique », en complément de contrôles et sanctions accrus.
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