Ce médecin généraliste de 56 ans, installé depuis 25 ans à Blendecques (Pas-de-Calais) a vu, pour la troisième fois en douze ans, son cabinet inondé par la montée des eaux du fleuve Aa qui traverse cette ville de 5 000 habitants. Alors que la vigilance rouge « crues » a été levée ce vendredi dans le département, le Dr Vandecandelaere a accepté, pour Le Quotidien, de revenir sur cette expérience douloureuse. Il explique comment il s’est organisé avec ses confrères pour ne pas abandonner les patients, mais avoue être lui-même désemparé malgré la solidarité de la population. Témoignage.
« On avait déjà pris les inondations le 10 novembre ! L’eau est montée à 40 cm. Le cabinet est foutu. Les salles de consultations doivent être complètement refaites et là, on vient de se retaper 60 cm… Mais nous n’avions fait aucuns travaux. On a été hébergés en novembre dans la maison médicale d’un village voisin, Wizernes. Elle avait été construite il y a deux ans dans l’espoir de ramener des médecins, mais personne n’est venu. Quand on a eu notre catastrophe, on a téléphoné à la mairie d’à côté pour avoir si on pouvait arriver chez eux. Nous y sommes relogés pour le moment.
Au moins nous avons un local qui nous permet de continuer à travailler mais on n’est plus chez nous. Ça rebat beaucoup les cartes. Dans notre maison de santé de Blendecques, nous étions 9 professionnels de santé, dont deux généralistes et nous avions créé notre propre dynamique de travail. Avec la situation actuelle, tout ça forcément ça s’arrête… Par exemple, j’ai une jeune médecin qui voulait venir nous y rejoindre, on avait organisé les locaux de telle manière que l’on puisse tous travailler ensemble. Mais maintenant, nous n’avons plus que deux cabinets et j’ai mes étudiants qui y viennent. C’est un bordel… Mais bon, on réussit toujours à s’adapter. C’est la qualité de notre métier de toujours savoir se débrouiller et trouver des solutions, les meilleurs possibles.
Les placos sont morts, l’électricité est morte, la table d’examen électrique à 3 000 balles est flinguée
Je me souviens que ma première inondation, c’était en 2002 et j’avais pris environ 10 cm d’eau. Il n’y avait pas eu alors trop de conséquences. J’ai pu retravailler très rapidement. La manière dont fonctionnent les inondations, c’est qu’il y a une crue qui arrive et, 24 heures après, c’est la décrue. Là, c’est un peu plus long, ça a pris 48 heures. Mais entretemps, 40 à 60 cm d’eau dans votre local, ça fait des dégâts au matériel, même en le surélevant sur des parpaings. Les placos sont morts, l’électricité est morte, la table d’examen électrique à 3 000 balles est flinguée. C’est fou !
Rester ? Je commence à me poser la question. Mais il est très prématuré de se prononcer sur quoi que ce soit. Je pense qu’il y aura sans doute une grosse restructuration qui va se faire au niveau de l’aménagement du territoire. Les conséquences sont tellement dramatiques. Pensez qu’il y a eu 800 maisons évacuées, pour la troisième fois, rien que sur la commune de Blendecques. La grande place de la ville, la place d’Arques, a été recouverte par un mètre d’eau. Les conséquences sont dramatiques.
Moi, c’est mon cabinet, ce n’est pas si grave. Mais ça me fait chier surtout pour la maison de santé par rapport à tout ce qu’on avait mis en place. C’était un vrai bonheur de bosser tous ensemble. C’était vraiment génial et ça, c’est fini. Pour l’instant.
Ce qui est dur c’est pour les gens. Ma grosse difficulté de médecin généraliste installé, aujourd’hui, c’est que je ne sais plus quoi leur dire. Le 10 novembre, on leur disait : “on va reconstruire, vous allez retourner chez vous, cela n’arrivera plus.” Les gens à Blendecques, ce sont des petites gens. Leur maison c’est leur capital. Vous leur enlevez leur maison, vous leur enlevez tout.
Hier, j’ai passé une journée pourrie à écouter la misère des gens. Non pas parce que je ne voulais pas le faire, mais parce que je ne savais plus quoi leur dire. Ce sont les pires moments que je vis dans mon quotidien de médecin. Nous sommes des médecins de famille, on est payés pour soigner les gens et aujourd’hui les gens ne vont pas bien et je n’ai pas de moyens pour les aider face à cette catastrophe. On est désemparés.
Notre confraternité est évidente, elle fait partie du métier
Heureusement, nous avons un réseau local de soutien qui est top. Déjà, on a notre CPTS audomaroise. Et les proches. Tout à l’heure, un copain m’a appelé pour dire qu’il viendrait demain (samedi) me donner un coup de main pour nettoyer le cabinet. Pour nous, cette confraternité est tellement évidente. Elle fait partie du métier. La dernière fois, le 10 novembre, j’ai dû dire aux copains : “Ne venez plus aider”. Si vous continuez, on sera tellement nombreux qu’on ne pourra même pas entrer dans le cabinet. Il y a beaucoup de solidarité, les patients aussi sont incroyables. Mais aujourd’hui, ils n’en peuvent plus »
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