« S’il n’y a pas d’avancées avec la Cnam ou de signal politique fort d’ici un mois, Asalée sera en faillite », déclare sans détour la Dr Isabelle Rambault-Amoros, présidente et cofondatrice de cette association (Asalée pour Action de santé libérale en équipe), à l’origine de plusieurs protocoles* de coopération entre médecins généralistes et infirmières qui œuvrent à l’éducation thérapeutique du patient.
Depuis plusieurs mois, les négociations entre la Cnam et Asalée en vue d’un nouvel avenant au contrat qui lie les deux parties sont dans une impasse. Ce blocage rend l’avenir incertain pour cette association financée à hauteur de 95 % par l’Assurance-maladie et qui rassemble 9 155 médecins et 2 080 infirmières, qui travaillent pour l’essentiel en maisons et centres de santé.
Volonté d’ingérence ?
Dans le détail, les propositions faites par la Cnam en juillet 2023 puis en août 2023 ont toutes été refusées par les professionnels de santé. Car elles imposent, explique la généraliste de Brioux-sur-Boutonne (Deux Sèvres), des « conditions inacceptables » à l'organisation sur le temps de travail des médecins ainsi que sur le lieu d’installation des infirmières et leurs missions. « La Cnam ne souhaite financer le recrutement qu’aux médecins qui travaillent à temps plein. C’est aberrant car le temps de travail des infirmiers se fait toujours proportionnellement à celui des médecins. Jusqu’à présent, on peut embaucher une infirmière Asalée pour trois médecins à temps partiel. Pourquoi cette nouvelle condition ? », s’interroge-t-elle.
Autre point de blocage : le fléchage du recrutement des paramédicales vers les zones déficitaires. « Nous sommes d’accord pour que les embauches se fassent prioritairement dans ces zones mais pas de façon exclusive », clarifie la Dr Rambault-Amoros, qui dénonce « la volonté d’ingérence de la Cnam dans le fonctionnement de l’association ». Malgré une réunion avec des représentants de la caisse, « sans la présence de Thomas Fatôme et de Marguerite Cazeneuve », le 15 décembre 2023 avec « une promesse de réponse sous huit jours », aucune proposition n'a été reçue par Asalée pour l’instant.
Coup de rabot sur les loyers
Il y a pourtant urgence. Chaque année, la Sécu verse 80 millions d’euros à Asalée pour payer principalement les salaires des infirmières à temps plein (ETP), leur formation et les indemnités des médecins. Lors des dernières négociations en décembre 2022, la Cnam avait déjà acté qu’elle ne prendrait plus en charge le financement des loyers (pour les locaux des infirmières, traditionnellement payés par les médecins de la structure pluridisciplinaire) à compter de janvier 2024. « Nous avons donc décidé de participer à ce financement à hauteur de 20 % », estimant que « ces coûts opérationnels ne devraient pas incomber aux médecins », témoigne la Dr Rambault-Amoros. Or ces dépenses pèsent dans les finances de l’association qui touche une subvention pour 1 200 infirmières ETP… alors qu’Asalée en compte 1 480.
Sans fonds propres depuis 2021, l’association a décidé de geler les indemnités versées aux médecins dans le cadre de la coordination (en moyenne 1 200 euros par médecin) pour pouvoir financer les salaires des infirmiers. « Les médecins adhérents de l’association sont tous d’accord car ils pensaient que la situation allait se débloquer rapidement. Mais face au blocage de la Cnam, certains commencent à manifester leur mécontentement », reconnaît la généraliste.
Quatre ministres alertés
Depuis plusieurs mois, l’association a tenté d’alerter les ministres de la Santé successifs (Aurélien Rousseau et Agnès Firmin Le Bodo puis Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux) par courriers. Des lettres qui sont restées sans réponse. Une situation qui irrite fortement certains médecins comme le Dr Xavier Grang. Le généraliste à la maison de santé de Saint-Nicolas-de-Port appelle les confrères à signer la pétition initiée le 1er mars qui a déjà récolté plus de 8 500 signatures. Le syndicat MG France a aussi apporté tout son soutien, en demandant à la Cnam de débloquer en urgence la situation financière d’Asalée.
Interrogée par le Quotidien, l’Assurance-maladie réitère dans un message écrit son soutien au déploiement d’Asalée « pour que ce service bénéficie au plus grand nombre ». La caisse affirme son souhait de signer un accord de financement pérenne « qui garantit le respect par l’association du bon usage de la subvention versée par l’Assurance-maladie et le respect des règles s’appliquant à toute organisation financée par des fonds publics ». Malgré ces déclarations de soutien à un dispositif dont l’impact positif sur la prévention n’est plus à démontrer, aucune réunion n’est programmée.
* diabète, risques cardiovasculaires, BPCO, asthme, troubles du sommeil, troubles cognitifs, accompagnement de l’enfant et adolescent en surpoids, sevrage tabagique, dépistage de certains cancers
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