Presque comme un jeu d’enfant. Pour le Dr Jean-Jacques Fraslin, médecin de famille à Bouguenais (Loire-Atlantique), la transition vers la e-prescription, serpent de mer qui se déploie depuis 2019, et finalement généralisée depuis le 1er janvier 2025, s'est faite sans difficulté. « Cela doit faire un peu plus de deux ans que j’ai adopté ce système, précise le généraliste, qui a fait partie des premiers à tester cette fonction sur le logiciel Doctolib. Au début, il y a eu quelques couacs, notamment avec les prescriptions de morphiniques que les pharmaciens ont eu du mal à gérer car ils n’étaient pas encore équipés et étaient habitués à l’ordonnance papier avec son filigrane. Mais la transition a fini par se faire assez facilement. » Aujourd’hui, l'omnipraticien réalise 100 % de ses ordonnances électroniquement.
Seuls 37 000 médecins ont joué le jeu
Si l’ordonnance dématérialisée semble présenter de nombreux atouts, pourquoi peine-t-elle encore à s’imposer chez les médecins malgré son obligation (progressive et sauf exception) depuis le début de l’année ?
Selon les chiffres de la Cnam, fin janvier, seuls 37 000 praticiens avaient émis au moins une ordonnance électronique, et plus de 11 000 pharmaciens en avaient traité une. Depuis le début du déploiement des premiers éditeurs de logiciels fin 2022, cela représente un total de plus de 50,5 millions d’ordonnances émises, dont 70 % concernent des produits de santé.
Bien que l’Assurance-maladie ait observé ces dernières semaines « une montée en charge » de la production de e-prescriptions, avec 6,3 millions d’ordonnances créées en janvier 2025 (vs 4,8 millions en décembre 2024), l’adoption reste insuffisante et les chiffres éloignés des objectifs initiaux. En 2023, le gouvernement donnait le cap de 40 000 médecins ayant déjà testé cette nouveauté d’ici la fin de 2024. Objectif raté.
Gros retard des logiciels métiers
Mais les médecins y sont-ils vraiment pour quelque chose ? Selon le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire adjoint de MG France, la lente adoption du système s’explique en grande partie par les délais accumulés par les éditeurs de logiciels métiers : « Pour ma part, mon logiciel HelloDoc n’est toujours pas capable d’éditer des ordonnances numériques. Je suis donc obligé de continuer avec des ordonnances classiques et je suis loin d’être le seul dans cette situation. »
Actuellement, environ 50 % des logiciels métiers destinés aux médecins ont intégré la fonctionnalité à leurs services. « À fin janvier 2025, 17 logiciels pour médecins et 8 pour pharmaciens incluant l’ordonnance numérique sont en cours de déploiement à l’échelle nationale », précise l’Assurance-maladie au Quotidien. D'autres éditeurs terminent leur phase expérimentale avant le déploiement à grande échelle auprès de l'ensemble de leurs clients. Ces différences notables entre les logiciels contribuent à ralentir la généralisation du dispositif. L’Assurance-maladie reconnaît que « les réalités opérationnelles n'ont pas permis d'atteindre le niveau de déploiement des solutions qui était attendu fin 2024. Ce constat nous amène à concentrer nos efforts sur l’équipement des médecins et officines, afin qu’ils soient totalement équipés en 2025 », assurent-ils.
Boycotter et continuer à prescrire « à l’ancienne » ?
Les éditeurs sont-ils les seuls responsables de cette lenteur à l’allumage ? En réalité, il existe toujours une forme de réticence de la part de certains médecins qui, n'en percevant pas toujours l’utilité, hésitent à adopter la e-prescription, quand bien même la fonctionnalité est opérationnelle sur leur logiciel. Sur le site du Quotidien, cette frilosité s’est confirmée lors d’un débat sur le sujet début janvier. Une large majorité exprime des doutes sur les véritables bénéfices de l'ordonnance numérique. Certains allant même jusqu’à appeler au boycott.
« Ce n'est pas du zéro papier, c'est encore plus de papier, d'encre pour le médecin et à ses frais. C’est moins de travail d'enregistrement pour les caisses et des contrôles plus faciles (…) », dénonce Georges J. « Que les procédures évoluent avec le temps, c'est normal ! Que cette évolution sans doute nécessaire soit à la charge des médecins et au bénéfice des éditeurs de logiciel, ce n'est pas normal ! », proteste Philippe P_54. « Je ne ferai jamais d'ordonnance électronique, mes ordonnances sont personnalisées, et non des alignements de médicaments », souligne à son tour Alain D_28. « Quand on pense au coût de toute cette informatisation à outrance qui n'a rien apporté aux soins des patients ! », dénonce Jean B_17.
Prouver l’utilité du système
Face à ces réticences, il s’agit de prouver aux médecins l’utilité du service. « Il faut qu’ils se rendent compte qu’ils peuvent gagner du temps avec cet outil », estime le Dr Guillaume Gobert, médecin généraliste et fondateur d’Ordoclic.
Il faudra également trouver un ressort autre que financier. Certes, depuis 2024, l’usage de la e-prescription est devenu un indicateur socle dans le cadre de la rémunération sur objectif, avec une ambition fixée à 70 % des délivrances de prescriptions réalisées par les médecins libéraux. Mais pour les praticiens proches de la retraite, cela ne suffit pas, juge le Dr Gobert. « Pour ces médecins, ne pas avoir les 2 000 ou 3 000 euros de bonus en fin d’année parce qu’ils ne font pas assez de e-prescriptions ne changera pas grand-chose, analyse-t-il. Nous devons faire en sorte de bien comprendre leurs besoins plutôt que de leur agiter la carotte ou le bâton. » Cela passe par une réflexion sur le dispositif en prenant davantage en considération la pratique quotidienne des professionnels. « En visite et lorsque les patients n’ont pas leur carte Vitale, e-prescrire est tout simplement impossible, conclut le Dr Nogrette. Si la prise en main était simple, il n’y aurait pas de souci sur le terrain. Mais pour l’instant, on en est loin. »
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