Ils sont 130 dans le Valenciennois, 89 à Lille intra-muros, 96 à Lille Nord, 80 dans les Ardennes, près de la moitié des médecins de famille en Mayenne… Dans presque tous les départements, un nombre croissant de généralistes de terrain – réunis en collectifs de médecins libéraux (Comeli) – facturent d’autorité leur consultation au tarif de 30 euros. Cette guérilla tarifaire, qui a commencé au début de l’été, mais s'est renforcée à l'approche du 1er novembre (avec le passage du C à 26,50 euros), n'a échappé ni à l'Assurance-maladie ni au ministère de la Santé.
Début septembre, Thomas Fatôme relativisait encore l’ampleur du mouvement. « Fin août, nous avions 850 médecins (sur 50 000 généralistes) qui, régulièrement et sur une part non négligeable de leur activité, cotaient soit 30 euros directement, soit utilisaient un "DE" (dépassement d’honoraires pour exigence particulière, NDLR) systématique (...). C’est moins de 2 % des généralistes », confiait alors le patron de la Cnam au Quotidien. Au 7 novembre, ils sont toujours « moins de 1 000 médecins généralistes » à facturer le C à 30 euros, certifie l'Assurance-maladie. Le message est clair : la dissidence tarifaire reste contenue.
Grain de sable
Mais sur le terrain, les médecins frondeurs n'ont pas l’intention de rentrer dans le rang. Et ce ne sont pas les courriers d’avertissement envoyés par la caisse durant l’été qui les feront changer d’avis. « On s’est tous pris une lettre nous rappelant qu’on n’avait pas le droit de coter 30 euros. Ce à quoi nous avons répliqué que nous le faisions avec tact et mesure, témoigne le Dr Stéphane Decool depuis son cabinet de Valenciennes (Hauts-de-France). Les patients avec peu de moyens et ceux à la CMU ne sont pas concernés. Nous avions aussi exposé en amont nos motivations à notre caisse primaire, avec qui les relations sont plutôt bonnes. » Le chef de file du mouvement départemental persiste et signe. « Notre idée, avec le DE, n’est pas de se mettre cinq euros, ou plutôt 3,50 euros depuis le 1er novembre, dans la poche. Ce que nous voulons, c’est mettre un grain de sable dans le système pour dire que ça ne va pas ! La rémunération certes, mais aussi les tracasseries administratives inutiles et le manque d’attractivité croissant du métier. Trois jeunes généralistes ont déplaqué dans mon territoire cette année. Ça n’était jamais arrivé. » Le généraliste de 62 ans constate que son action fait « tache d’huile », ce qui n'est pas pour lui déplaire. Une forme de « baroud d’honneur », apprécie-t-il. À son dernier tableau de chasse ? Une réunion pour la création d’un nouveau groupe Comeli programmée le 15 novembre. Avec un pacte symbolique : les signataires s’engagent à se déconventionner par solidarité si d'aventure un confrère se retrouvait poursuivi par la caisse pour dépassements d'honoraires.
Dans les Ardennes cette fois, le mouvement de contestation tarifaire lancé le 1er juin par 80 généralistes pourrait connaître une nouvelle direction. Ici, on ne parle pas de dépassement mais… d’indexation sur l’inflation. « Pour l’instant, nous sommes suspendus aux négociations (conventionnelles, NDLR), en sachant qu’on a l’impression que les marges de manœuvre sont extrêmement faibles. Si on est bloqués à 30 euros durant les cinq prochaines années, ça va être compliqué », développe le Dr Yannick Pacquelet. Le généraliste de 39 ans, qui exerce dans une maison de santé universitaire à Signy-le-Petit, assume ce bras de fer. « Nous avons tous décidé d’attendre les chiffres officiels de l’Insee sur le niveau de l’inflation de l’année 2023 et de tarifer nos consultations, dès janvier 2024, en fonction. C’est d’ailleurs ce qui nous a permis de tenir les troupes, parce qu’un certain nombre de confrères envisageaient de dépasser les 30 euros dès cette rentrée ».
Prophétie
Çà et là, les passages d’autorité à 30 euros continuent à se développer dans l’Hexagone. « Ça va être massif », prédit le Dr Luc Duquesnel. « Depuis la semaine dernière, la moitié des généralistes de mon département sont entrés en désobéissance tarifaire. Un mouvement spontané qui concerne aussi de plus en plus les spécialistes de secteur 1 », avance le médecin mayennais, jamais le dernier à ferrailler. Pour le patron des généralistes de la CSMF, la tendance ne devrait aller qu’en s’accentuant. En cause, la négociation imminente, bien sûr, mais surtout la date d’entrée en vigueur des probables augmentations d'honoraires. « Lorsque les médecins vont s’apercevoir que la revalorisation de la consultation ne sera effective, au mieux, que fin août-début septembre de l'année prochaine, c’est-à-dire six mois après l'accord (ce qu'on appelle les stabilisateurs économiques, NDLR), cela va faire du grabuge ! », prédit-il. Ce délai pourrait même convaincre des médecins qui hésitaient encore à user du DE « parce que ce n'est pas dans leur culture de sauter le pas ». Pas en reste, la Fédération des médecins de France (FMF) vient de lancer une consultation en ligne pour compter les bataillons de la dissidence tarifaire, une autre façon d'accroître la pression.
De l'avis général, la cotation de 26,50 euros a été considérée comme une « humiliation » par la profession. Et le risque de zizanie tarifaire n’a pas échappé à Aurélien Rousseau. Fin octobre, le ministre de la Santé et de la Prévention déclarait certes dans nos colonnes que ses services n’avaient « pas relevé d’abus au niveau national sur la surcotation à 30 euros ou le déconventionnement ». Avant de prophétiser ? « Je suis prudent, parce que c’est parfois dans le moyen terme que l’on est à même de mesurer l’impact de ce type de mouvement. »
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