Annoncée par Gabriel Attal ce week-end, l’expérimentation d’un accès direct aux spécialistes a été fraîchement accueillie par les centrales syndicales de médecins libéraux. Très remonté, MG France a décidé de suspendre sa participation aux négociations conventionnelles pour dénoncer la volonté gouvernementale de détruire le rôle pivot du médecin traitant et dans la foulée le parcours de soins coordonné instauré par la loi de 2004.
Si l’on suit la logique gouvernementale, dynamiser l’accès direct aux spécialistes revient bien à interroger la pertinence d’un dispositif de filtrage vieux de deux décennies.
Dans les faits, la loi de 2004 prévoit que pour être bien remboursé par la sécurité sociale (70 % du tarif de la consultation), le patient âgé de plus de 16 ans doit déclarer un médecin traitant, chargé du suivi et de l’orientation pour une prise en charge adaptée à sa santé (spécialiste de ville, hôpital…). C’est ce médecin qui adresse le patient à ses confrères spécialistes. Cette règle ne s’applique pas à quatre spécialités : gynécologie (pour l'examen clinique périodique), ophtalmologie (prescription et renouvellement de lunettes ou de lentilles de contacts, dépistage et suivi du glaucome), psychiatrie (ou neuropsychiatrie) et stomatologie. Spécialité s’adressant aux enfants, la pédiatrie n’est de facto pas concernée.
Faut-il aller ouvrir les vannes, aller plus loin pour fluidifier le système ? Les syndicats de spécialités n’affichent pas un front uni sur le sujet. Certains sont favorables au détricotage du parcours de soins coordonné sous certaines conditions, d’autres jugent au contraire que cela serait contre-productif pour les patients.
Pour les Spécialistes-CSMF, représentant des verticalités au sein de son conseil d’administration, ce serait une « destruction massive » de l’accès aux soins. L’annonce du Premier ministre est même vécue comme une « maladresse monumentale » car dressant une nouvelle fois les généralistes contre les spécialistes. « Nous avons des délais d’attente déjà très longs, se justifie le Dr Bruno Perrouty, président du syndicat. Si les patients viennent directement, cela ne va pas arranger cette situation. » Dans sa spécialité par exemple, la neurologie, le délai d’attente en moyenne est de six mois. « Pour réduire ce temps, j’ai prévu huit créneaux de rendez-vous non programmés pour les généralistes qui m’appellent pour des cas urgents ou semi-urgents. Nous travaillons en réseau avec les généralistes », dit-il. Pour améliorer l’accès aux soins, « des adaptations techniques, en particulier pour des patients sans médecin traitant, sont en cours de discussion avec la Cnam pour faciliter leur accès aux spécialistes », avoue le neurologue de Carpentras.
Pragmatisme et agilité
Mais cette vision n’est pas partagée par d’autres présidents de verticalité, pour qui l’accès direct serait une « solution pragmatique » pour fluidifier un système de santé en tension faute de médecins. Le patron du Syndicat national des cardiologues (SNC), le Dr Vincent Pradeau, défend en tout cas cette idée. « Dans certains cas, notamment en sortie d’hospitalisation, il y a des risques de retards de diagnostic et de prise en charge qui sont liés au fait que le patient doit repasser par le généraliste ». Pour mettre de « l’agilité » dans le parcours du patient, le cardiologue girondin estime que « les entrées doivent être multiples », avec un retour obligatoire des informations vers les médecins traitants. « Dans 99 % des cas, nous envoyons un courrier aux généralistes. Quelque part, on reste ainsi dans le parcours de soins », ajoute le Dr Pradeau.
Petits arrangements
Le Dr Benoît Féger, ORL à Angoulême et patron de l’URPS-Nouvelle Aquitaine partage cette ligne. À ses yeux, le plus important reste la coordination entre le médecin traitant et le spécialiste, avec un système d’information partagé. Si cela fonctionne, alors le reste suit. D’autant que de nombreux patients sonnent directement à la porte de son cabinet, sans être passé par la case médecin traitant (qu’ils n’ont pas forcément). « Dans mon département touché par la désertification médicale, ce type d’accès direct permet aux patients de gagner du temps, explique le spécialiste. Ils viennent souvent pour des bouchons, des petits maux. Je les reçois et pour ne pas les pénaliser financièrement, je coche toujours sur la feuille de soin la case médecin traitant », assume le médecin.
Du côté des dermatologues, l’accès direct peut être « bénéfique » mais pas « systématique pour le tout-venant », avec des conditions précises à définir avec les médecins traitants. « Pour certains patients qui sont atteints de pathologies comme un cancer de la peau ou les maladies chroniques inflammatoires, nous devons pouvoir les prendre en consultation directement, avec une expertise valorisée et un retour d’information au médecin traitant », illustre le Dr Luc Sulimovic. Ces arguments pourraient-ils convaincre MG France ? C’est loin d’être gagné.
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