Prescription d'isotrétinoïne orale : des dermatologues et généralistes dénoncent des « accusations brutales » de l'Assurance-maladie

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Publié le 28/09/2023
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Crédit photo : Garo/phanie

Alors que la colère des médecins libéraux contre la campagne de contrôle des IJ n'est pas retombée, un courrier adressé par l'Assurance-maladie à des prescripteurs de l'isotrétinoïne orale à des femmes en âge de procréer envenime à nouveau les relations médecins/caisses.

La prescription de ce médicament contre l'acné sévère est très encadrée par des modalités réglementaires de vérification préalable de l'absence de grossesse. Or, dans une des lettres consultée par Le Quotidien, les cosignataires – le Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de l'Assurance-maladie et la Dr Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'ANSM – contestent les conditions de prescription de l'isotrétinoïne orale, à la suite d'analyse des données de remboursement portant sur 12 derniers mois.

Le médecin visé aurait prescrit cette molécule à des patientes en âge de procréer « sans avoir vérifié au préalable l'absence de grossesse en cours par un dosage de bêta-hcg plasmatiques ». Certes, la mention « sauf erreur de notre part » figure dans ce courrier. Il n'empêche : « Les dermatologues et généralistes concernés se sont sentis salis, stigmatisés et agressés », tempête la FMF sur son site, qui ne précise pas le nombre de courriers recensés de ce type.

« On connaît très bien les dangers »

La Dr Nicole Cochelin, dermatologue à Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine) est l'une des médecins visés. « On m'accuse d'avoir mal prescrit pour deux patientes mais la caisse est incapable de me donner leur nom », témoigne-t-elle. Idem pour d'autres dermatologues du département, également destinataire de cette missive…

« Pour certains confrères, la Cnam mentionne douze ou treize patientes, affirme la Dr Cochelin. Mais quand ils ont appelé leur caisse, aucune n'était capable de ressortir les dossiers. Je peux me remettre en cause si on me désigne telle ou telle patiente, là aucune preuve n'a pu être fournie. Ce sont des accusations brutales ». La spécialiste bretonne se demande s'il s'agit « d'incompétence, de bêtise ou de malveillance ». « Cela fait 30 ans qu'on prescrit ce médicament, on connaît très bien les dangers du Roaccutane, c'est extrêmement diffamatoire », dit-elle.

Le Dr Fabien Quedeville partage ce courroux. Le généraliste installé à Chilly-Mazarin (Essonne) a lui aussi reçu aussi un courrier de réprimande le 19 septembre pour une seule patiente. « Je la connaissais bien et j'ai pu vérifier, répond-il au Quotidien. Je n'aurais pas prescrit ce médicament si la patiente n'avait pas fait ce qu'il fallait. Il y avait un carnet de suivi ». Dénonçant un « courrier maladroit », le Dr Quedeville se dit « inquiet » sur la gestion des données par la Cnam. « Comment sont-elles extraites ? Est-ce que le secret médical est préservé ? », ajoute-t-il.

Message d'information

Informé par les spécialistes des courriers, le Syndicat national des
dermatologues-vénéréologues (SNDV) vient de monter au créneau pour défendre ses confrères. Dans une lettre envoyée à la Cnam et à l'ANSM, son président, le Dr Luc Sulimovic, regrette l’aspect « stigmatisant » de ces envois, « pas contributifs pour améliorer la prise en charge des patients ». « Les contraintes des tests de moins de trois jours, ne tenant pas compte des jours ouvrés des laboratoires, peuvent être une des explications d’un certain nombre de patientes recensées dans votre analyse », plaide le syndicaliste.

Le Dr Sulimovic recadre la Cnam sur ces pratiques. « Une analyse plus exhaustive de l’ensemble des facteurs, des liens de causalité ainsi qu’une étude nominative des patientes recensées nous apparaît nécessaire », suggère le leader syndical. 

Contactée par Le Quotidien, la Cnam se défend de toute démarche accusatoire. « Ce courrier d'information ne comporte pas de menace de sanction », écrit-elle. Elle assume un message de rappel des bonnes pratiques, en raison du nombre de femmes enceintes exposées à ce traitement tératogène qui n’a pas diminué en France au cours des 10 dernières années. En 2021, « Il y avait encore 170 grossesses exposées à l'isotrétinoïne », selon le dernier décompte de l'ANSM. Pour l'Assurance-maladie, le secret médical est préservé car « les données anonymisées ne contiennent pas le nom de la patiente, ne donnent pas accès à son dossier médical ».


Source : lequotidiendumedecin.fr