Ce courrier a été publié dans un bulletin régional de l’ordre suite à une affaire arrivée à un de nos confrères il y a presque 18 mois, qui n’a toujours pas pu reprendre son activité, malgré un dossier vide de preuves. Depuis, je me pose avec inquiétude, la question de la perception de la sécurité de notre exercice, pour nous tous, et en particulier les jeunes médecins débutants leur carrière. En effet, notre relation aux patients, empathique et naturelle, notre devoir de les examiner le mieux possible, notre volonté de les soigner dans les meilleures conditions sont fortement mises à mal par l’institution judiciaire.
Lorsqu’une accusation à caractère sexuel est portée contre nous sur un simple dire, nous défendre se révèle impossible. Immédiatement est décidée une mise en examen et l’interdiction de poursuivre notre travail.
Le juge peut refuser la reprise du travail, malgré l’absence de preuve de l’infraction, sous prétexte que l’approche corporelle des patients serait de nature à favoriser la réalisation de gestes inappropriés, quand bien même un membre du personnel soignant serait présent.
Cette décision aberrante et insultante à notre égard entraîne plusieurs réflexions.
- Que la présence d’un tiers paramédical lors de consultation délicate est inefficiente, ce dernier étant considéré comme inapte à déceler un geste ou acte déplacé. Que nous sommes, nous, médecins, considérés par la justice comme des agresseurs en puissance, examinant nos patients pour nous procurer un plaisir corporel et pouvoir profiter de notre statut pour commettre des actes déviants.
– Que nous n’avons aucune garantie et aucun moyen de nous défendre lorsqu’on lance une accusation à notre égard. Et que, dès qu’une plainte est déposée, notre carrière est mise, de très longs mois, voire des années (le « temps de la justice »), entre parenthèses, avec la perte de ressources que cela implique.
En somme, c’est l’intégralité de notre pratique professionnelle et de notre vie personnelle qui est remise en cause.
Est-on présumé coupable pour se faire interdire d’exercer ? Alors qu’il existe en droit la présomption d’innocence.
Risque de plaintes
Comment pouvons-nous sereinement examiner un patient ? Si l'on pratique un examen intime, le risque de plainte est majoré. Si on ne le fait plus, nous risquons d’ignorer un diagnostic, ce qui peut nous être reproché.
Comment améliorer nos soins et notre approche ? Il nous est actuellement proposé de nombreuses formations en médecine de bien-être, ostéopathie, hypnose, sophrologie, toucher empathique… Impossible de se risquer dans un tel contexte. Il faut abandonner tout type de médecine manuelle.
Nos pratiques vont alors régresser en n'examinant plus nos patients. Faut-il refuser de faire de la gynécologie ? Ne plus oser aborder certains problèmes de peur d’être considéré comme déviant ? Ne plus faire preuve de sympathie, par un geste de réconfort, devant une personne dans le désarroi ? Sous peine d’être accusé d’agression sexuelle ?
Ce n’est, il me semble, en aucun cas la finalité de notre exercice et ce pour quoi nous nous y consacrons. Contrairement à bien d’autres pays où l’imagerie a pris le pas sur l’examen clinique, et à ce que nos maîtres nous apprennent depuis 40 ans, nous sommes à l’aube de perdre cette spécificité bien française qui est, en priorité, de bien examiner nos patients. Mais c’est là où la justice semble vouloir nous mener.
Nous sommes heurtés par la méconnaissance et l'incompréhension de l’institution judiciaire vis-à-vis de l’exercice médical. C’est pourquoi, il serait intéressant d’ouvrir le débat (n'hésitez pas à réagir dans notre débat) et que le conseil de l’ordre se positionne de manière urgente à ce sujet pour nous aider à exercer dans les meilleures conditions possibles, pour nous et nos patients.
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