Depuis plusieurs années, les généralistes peinent à être remplacés, surtout lors de la période estivale. La raison principale réside dans la démographie médicale décroissante. Comment font alors les praticiens pour assurer une permanence des soins sur leur territoire ? Cet été sera-t-il celui de tous les dangers, comme le suggèrent plusieurs médecins ?
Le Dr Jacques Talec aura 68 ans au mois de juillet. Et il ne sait pas s’il trouvera un remplaçant pour le suppléer cet été. Installé à Tonneins (Lot-et-Garonne) depuis une trentaine d’années, il tire la sonnette d’alarme. Sur un bassin de 24 000 habitants pour seulement cinq omnipraticiens libéraux (dont un âgé de 77 ans) et un centre de santé composé de six médecins généralistes, les mois qui approchent l’inquiètent. « La situation est claire : il n’y a plus de réserve de remplaçants. Cet été va être catastrophique et personne n’en a rien à faire, même pas notre député et notre sénateur ! »
Habituellement, le Dr Talec utilisait des « circuits parallèles, seulement entre remplaçants ou jeunes médecins », mais cette année… plus de réponse. Pourtant, lors des vacances estivales précédentes, même si le centre de santé « tournait difficilement », quelques internes sont venus l’aider et, de l’aveu du médecin, « ils étaient contents et nous faisaient une super publicité ». Alors, où seront pris en charge les patients ? À une vingtaine de minutes de Tonneins se trouve l’hôpital de Marmande. Mais, ici aussi, « il n’y aura plus d’internes pour la prochaine session de stage ». Plus loin, à 45 minutes, les urgences d’Agen… mais, prédit-il, « elles vont être complètement débordées car nous n’aurons plus d’accès primaire ». Le mal est, en fait, plus profond, regrette le Dr Talec auprès du Généraliste. « Les gens n’ont plus de médecins. C’est la même chose en Dordogne, dans les Landes, dans le Finistère… Pire encore, ils n’ont plus de services publics. » Pour lui, « la féminisation de la profession, qui amène les médecins à faire moins d’heures ; les 35 heures du salariat ; et les années sabbatiques des jeunes médecins, qui retardent leur arrivée sur le marché, créent un manque ». Si le constat du Dr Talec est inquiétant, est-il toutefois représentatif de la situation nationale ?
Une pénurie de médecins partout
Cela semble être le cas non loin de ce territoire. Le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, a rapporté le 30 avril qu’en Haute-Garonne, 22 % des lits de médecine et 28 % des lits de chirurgie sont fermés. En cause : « des pénuries de soignants en lien avec l’épuisement et la perte de sens ». Aussi, des plans blancs ont été déclenchés dans certains hôpitaux des régions telles que l’Île-de-France, les Pays de la Loire ou les Hauts-de-France et d’autres devraient suivre dans les semaines à venir.
Le Dr Agathe Pesci est médecin généraliste remplaçante en Rhône-Alpes et en Pays de la Loire depuis cinq ans. Elle aussi s’inquiète pour les prochains mois. « Les problèmes démographiques commencent maintenant. C’est plus difficile cette année : de nombreux services ferment et nous voyons sortir de l’hôpital des gens pas soignés, ce qui nous amène à gérer des situations difficiles chez eux », confirme-t-elle. Certains freins ne poussent pas les jeunes médecins à faire de remplacements, comme les annulations des demandes pendant la crise sanitaire – les praticiens ayant reporté leurs congés –, lesquelles les ont encouragés à s’installer ou à arrêter tout bonnement de remplacer, selon le Dr Pesci.
D’autres omnipraticiens, comme le Dr Agathe Lechevalier, installée à Carbonne (Haute-Garonne), ne trouvent pas non plus de remplaçant pendant les vacances estivales. « Nous avons des remplaçants en juin et en septembre mais, pour juillet et août, aucun des remplaçants que nous connaissons n’est disponible. » Le Dr Philippe Vermesch, président du syndicat pour la médecine libre (SML), va dans le sens de la jeune praticienne : « chacun se débrouille comme il peut. En général, chacun a son remplaçant attitré, avec qui il a l’habitude de travailler. En fait, ça marche beaucoup au bouche-à-oreille. » Le stomatologue confirme également l’écart entre l’offre et la demande. « Aujourd’hui, certains médecins prennent leurs vacances uniquement lorsque les remplaçants sont libres ! Et les tarifs augmentent… Certains demandent jusqu’à 110 % du chiffre d’affaires, alors qu’en général, c’est plutôt autour de 70 voire 80 % ! ». C’est ce que remarque aussi le Dr Vincent Royaux, généraliste et président du Conseil de l’Ordre de la région Grand Est : « face à des remplaçants qui demandent 100 % de rétrocession, certains préfèrent fermer leur cabinet pour ne pas perdre d’argent ».
Également présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes Installés et remplaçants (Reagjir), le Dr Lechevalier rappelle que 41 % des installés interrogés par une enquête du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) disent être installés là où ils ont remplacé. Ainsi, selon elle, « les remplaçants participent à l’offre de soins, nous avons besoin d’eux et de toutes les forces vives » ; contredisant donc ceux qui les accusent de participer à la désertification médicale en ne s’installant pas. La présidente de l’URPS médecins libéraux d’Île-de-France, le Dr Valérie Briole, abonde. « Les remplaçants sont précieux, car ils permettent aux médecins de faire des pauses. » Mais attention à ne pas croire que le nombre de médecins en formation va alimenter le vivier de remplaçants, alerte-t-elle : « quand on regarde le nombre de médecins en formation et le nombre de médecins formés… il y a un écart conséquent ».
Mais combien sont-ils réellement ? Selon des chiffres transmis par le Conseil national de l’Ordre des médecins, il y aurait actuellement 9 233 médecins généralistes remplaçants pour soulager les quelque 83 000 omnipraticiens. Démographiquement, donc, le manque de professionnels est criant. En Île-de-France, observe le Dr Briole, les jeunes sortant des études de médecine préfèrent exercer comme remplaçants dans certains cabinets déjà établis, pour découvrir le métier, plutôt que de s’installer. L’URPS local met d’ailleurs des annonces en ligne son site Soigner en Île-de-France, mais certains praticiens préfèrent afficher des annonces dans les bibliothèques ou les sites internet des facultés pour augmenter leurs chances, raconte-t-elle.
Où peut-on donc trouver de jeunes remplaçants disponibles ? Beaucoup d’options existent. Les sites internet et groupes sur les réseaux sociaux sont nombreux (voir encadré ci-dessous) mais, comme l’expliquent plusieurs médecins interrogés, c’est souvent au petit bonheur la chance. « Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les groupes Facebook, notamment ceux par région », affirme Dr Pesci, qui avait répondu à une annonce de remplacement pour congé maternité avant de devenir la remplaçante attitrée d’une généraliste.
Les sites internet pour trouver un remplaçant
Média Santé, un organisme confraternel qui se décrit comme le « numéro 1 du remplacement de médecins » ; DocnDoc, comme « 1re plateforme nationale de matching professionnel entre médecins » ; RemplaFrance ; Annonces Médicales ; le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg), qui propose sur son site un espace « annonces professionnelles » ; Soigner en Île-de-France, site de l’URPS local ; la « communauté » de la MACSF, qui propose un service d’annonces gracieuses ; Vacamed ; la plateforme du Groupe Profession Santé (dont fait partie Le Généraliste)… L’offre numérique pour trouver un remplaçant est pléthorique. Mais les jeunes généralistes consultent également les offres postées sur les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook, LinkedIn ou encore WhatsApp, via des groupes dédiés. Devant toutes ces possibilités, mieux vaut multiplier les canaux pour favoriser ses chances de trouver un remplaçant.
Être MSU, la clé pour trouver un remplaçant
Mais tous les médecins ne souffrent pas du manque de remplaçants. Surtout ceux installés dans les zones touristiques, qui voient leur population estivale augmenter. Le Dr Matthieu Piazza, installé à Porto-Vecchio (Corse), prend comme remplaçants les internes avec une licence de remplacement ayant fait des stages dans son cabinet, ou des remplaçants trouvés sur le site RemplaCorse. L’attractivité de l’île de Beauté est évidente, si bien que le praticien fait une observation… étonnante. « Il y a beaucoup de jeunes remplaçants qui n’ont pas vraiment envie de travailler… on les trie avant, en leur expliquant qu’il faut que le cabinet tourne, même l’été ! » Devant l’afflux de touristes, y a-t-il une sélection basée sur le multilinguisme ? « Non, mais c’est bien de parler anglais ! », répond le Dr Piazza. Sur les visites, le généraliste raconte qu’il « boucle tous les renouvellements d’ordonnances en mai et juin » pour que les remplaçants n’aient pas à le faire. Pour les urgences nécessitant de sortir du cabinet, « il faut les pousser mais ils font des visites », assure-t-il. Au-delà du lieu qui attire, l’expérience du Dr Piazza montre qu’être maître de stage universitaire (MSU) facilite le recrutement.
Il en est de même du côté de Noirmoutier, presqu’île déficitaire où le Dr Cyrille Vartanian est installé dans une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) : pas de problème de recrutement de remplaçants non plus. Ces derniers sont démarchés sur Facebook, dans le vivier des anciens internes ou parmi ceux qui ont une maison, voire une famille sur place. « Nous avons essayé beaucoup de choses pour trouver des remplaçants et au final, ce qui fonctionne, ce sont les anciens internes et les réseaux sociaux », assure le praticien. « Les remplaçants ont un autre œil et leur formation rigoureuse fait que cela se passe très bien. » Mais le généraliste peut également compter sur des « collaborateurs d’été » – médecins considérés comme installés sous contrat temporaire – en plus des remplaçants car sa zone connaît un afflux estival. Et, avec eux, il a le droit de travailler en même temps.
Entre 700 et 800 généralistes en moins chaque année
En fonction des lieux, la recherche en médecins diffère : certaines zones connaissent une augmentation de demandes tandis que, pour d’autres, c’est l’inverse. En témoigne le Dr Pesci, laquelle observe que « chaque médecin veut avoir son remplaçant mais, dans beaucoup d’endroits, il pourrait être mutualisé en raison de la baisse d’activité l’été ». Un remplaçant pour cinq médecins suffirait, poursuit-elle.
Bilan des courses : une forme de statu quo qui dure depuis des années, avec une accentuation de la difficulté ces dernières années puisque le Cnom estime qu’en moyenne, entre 700 et 800 médecins généralistes arrêtent leur activité chaque année.
Le président du syndicat MG France, le Dr Jacques Battistoni, affirme qu’il faudrait octroyer « un droit au remplacement aux médecins, pour qu’ils puissent souffler, avec un bonus pour ceux qui remplacent dans les zones sous-denses ».
Pour le Dr Royaux, le manque de remplaçants est « le même problème partout et depuis des années ». Maître de stage lui aussi, c’est ainsi qu’il a recruté ses deux collaboratrices, qui l’épaulent, lui et son associé. « Nous nous organisons pour qu’il y ait toujours un médecin au cabinet », raconte-t-il. Car « on ne part pas l’esprit tranquille quand on n’a pas de remplaçant. Dans ce cas, il faut remercier les confrères de prendre en charge ses patients lourds pendant notre absence. C’est une béquille, pas une solution… parce qu’il n’y en a pas… »