La filière santé s’est construite en France, dans la deuxième moitié du XXe siècle, par la solidarité et l’excellence médicale et scientifique, en s’appuyant sur une offre de soins territoriale riche, tant hospitalière que libérale. Ces 25 dernières années, d’autres éléments ont rythmé la vie des acteurs de première ligne. Trente-cinq heures, urgences, canicule, déficit… une succession de crises, auxquelles a répondu un flot croissant de dispositions réglementaires et législatives.
En 2020, la pandémie liée au virus Sars-CoV-2 a entraîné une réponse inédite des soignants pour gérer l’urgence, avec une nécessaire déprogrammation de soins courants, notamment pour les patients souffrant de maladies chroniques. Ceux-ci ont payé un lourd tribut à l’épidémie, par leur vulnérabilité et, souvent aussi, leur isolement.
Avec la reprise d’activité, les applaudissements aux fenêtres ont laissé la place à une rhétorique plus froide, désignant une crise « multifactorielle », ne relevant « pas seulement d’un problème d’argent » ou « de moyens », mais aussi « d’organisation de notre système et d’évaluation de notre société » (1). Mais, après le « choc », la résilience du système ne peut compter que sur des ressources épuisées, de surcroît déboussolées par les réorganisations permanentes.
Besoins non couverts
La greffe, qui a été fortement affectée par les crises, poursuit son redressement pour la deuxième année consécutive. L’activité n’existe que par l’engagement des professionnels qui cherchent toutes les sources de greffons, chez les donneurs en état de mort encéphalique ou après arrêt cardiaque, mais aussi chez les donneurs vivants.
Grâce à cet engagement, et malgré les difficultés d’accès aux blocs liées au manque de personnel, malgré l’épuisement des équipes et les sollicitations incessantes, près de 5 500 personnes ont reçu une greffe d’organe en 2022 en France, soit 5 % de plus qu’en 2021. Il s’agit d’une réponse remarquable, qui entre dans les objectifs du Plan greffe d’organes et de tissus 2022-2026, mais encore insuffisante pour répondre aux besoins des patients.
Chaque jour en France, 21 nouvelles personnes sont inscrites sur la liste d’attente, alors que 15 seulement reçoivent une greffe. Plus de 20 000 attendent un organe, et la liste s’allonge.
Alors, la mobilisation des proches est de nature à changer la donne. En 2022, 530 personnes ont reçu un organe qui provenait d’un donneur vivant. Le plan greffe 2022-2026 a fixé un objectif de 20 % de greffes réalisées à partir d’un donneur vivant en 2026. Il ne s’agit pas d’un chiffre mais d’un besoin.
La greffe de rein grâce au don d’un proche constitue la meilleure réponse à la maladie. 98 % des Français savent que c’est possible, que la technique est maîtrisée et sûre, et qu’il ne s’agit pas d’une solution de dernier recours — mais, au contraire, de première intention, dès le diagnostic de l’insuffisance rénale chronique terminale posé. Parler au plus tôt du don d’organes avec son entourage, c’est agir concrètement pour améliorer l’accès à la transplantation. La loi permet désormais de réaliser également des dons croisés entre paires de donneurs vivants, pour augmenter les possibilités d’appariement et réduire le risque de rejet.
De nombreux malades pourraient bénéficier de cette procédure mais n’en ont pourtant pas conscience, parce que leurs médecins peuvent encore être réticents, que leurs proches n’y pensent pas spontanément, ou qu’eux-mêmes hésitent à en parler à leur entourage.
Pourtant les données dont nous disposons sont sans ambiguïté. La greffe rénale est le meilleur traitement en termes d’espérance et de qualité de vie pour les patients en insuffisance rénale terminale. La greffe avec un donneur vivant est plus rapide et peut être programmée sans attente sur la liste. Elle permet l’accès à un greffon de meilleure qualité, qui dure plus longtemps et est moins susceptible de rejet. Après quoi, l’espérance de vie en bonne santé est prolongée. Pour le donneur, la qualité et l’espérance de vie ne sont pas modifiées. Sur le plan psychologique, les conséquences du don sont unanimement positives, les donneurs ayant l’impression d’avoir agi concrètement et sur le long terme pour améliorer la situation d’un proche en difficulté, ce qui n’est pas si fréquent.
Poids des maladies chroniques
La fin de la pandémie n’a pas été une sortie de crise ni un retour à la vie d’avant. Si la société a été transformée en profondeur, les maladies chroniques restent la principale cause de recours au système de santé, le vieillissement, la sédentarité et le déterminisme social en étant encore trop souvent les causes.
La force notre système de santé repose dans ses ressources humaines, l’évolution permanente des connaissances, la capacité à se transformer en innovant constamment. Il est fondé sur la solidarité et l’inclusion, qui ne laisse personne sur le bord de la route. Chacun d’entre nous sait quelles ressources mobiliser pour y avoir recours.
Porter le ruban vert et parler du don d’organes avant d’en avoir besoin, c’est permettre à chacun de devenir acteur et d’envisager sans délais une réponse efficace, dès le moment où la maladie chronique touche un proche. C’est une bonne façon de faire vivre les valeurs de solidarité et d’inclusion, qui donnent du sens à nos métiers, à nos combats.
Exergue : « Plus rapide, donnant les meilleurs résultats, la greffe avec donneur vivant est à proposer en première intention »
Directeur Général Adjoint chargé des Affaires Médicales et Scientifiques de l’agence de la Biomédecine
(1) Discours d’Emmanuel Macron lors des vœux à la santé, le 6 janvier 2023