Le diabète de type 1 lent est une forme de diabète avec perte de capacité de sécrétion de l’insuline qu’on pense attribuable à une destruction auto-immune des cellules bêta des îlots de Langerhans. Mais, à la différence de la forme commune de diabète de type 1 (DT1), cette destruction est lente, de sorte l’insuline ne devient que tardivement nécessaire. Le caractère auto-immun est attesté par la présence des autoanticorps du DT1. Les critères diagnostiques de ce qu’on appelle en anglais le latent auto-immune diabetes in adults ou Lada, sont longtemps restés incertains : début après 35 ans, présence d’au moins un autoanticorps, évolution pendant de plus d’un an sans besoin d’insuline. On estime en Europe que cette forme de diabète pourrait être trois fois plus fréquente que le DT1. D’autres données indiquent que de 2 à 10 % des sujets classés « diabète de type 2 » (DT2) pourraient en réalité être des patients avec diabète de type 1 lent.
La nouvelle définition du DT1 souligne que le diabète est la phase tardive d’un processus qui admet plusieurs temps. Le premier, sur un terrain génétique de prédisposition et dans un environnement favorisant, est l’apparition des autoanticorps. En toute rigueur, cette étape est marquée par l’apparition d’au moins deux anticorps parmi les quatre qu’on peut rechercher en routine (anti-GAD, anti-IA2, anti-ZnT8, anti-insuline). Dans un deuxième temps, on peut relever l’apparition de déficits modérés de la sécrétion d’insuline, quand, dans le troisième, c’est le diabète clinique qui se révèle.
Les études familiales, en Allemagne, dans le Colorado, ou dans la population générale en Finlande et en Bavière, ont montré que l’apparition des anticorps est précoce, souvent autour de l’âge de deux ans chez ceux qui vont développer un diabète pendant l’enfance et l’adolescence. Les enfants qui développent plusieurs anticorps ont un risque supérieur à ceux qui n’en développent qu’un seul. L’étude bavaroise suggère cependant que les anti-GAD pourraient être protecteurs. Les études familiales ont aussi montré que le diabète de l’enfant, en apparence explosif (moins de trois semaines entre le premier symptôme et la cétoacidose), n’est peut-être pas si rapide que cela : des désordres subtils de la sécrétion d’insuline, ou une cassure de la courbe de croissance, peuvent être observés plus d’un an avant le diagnostic.
On sait que ce délai entre les premiers symptômes et l’acidocétose est plus long à l’âge adulte. Enfin, dans l’étude britannique UKPDS, qui concernait des patients avec DT2 apparent, la présence des autoanticorps ne prédisait pas la nécessité du traitement par insuline dans les six années suivant le diagnostic.
Plusieurs questions en suspens
À quel âge apparaissent les autoanticorps chez les adultes qui déclarent le diabète tardivement : dès l’enfance, ou plus tard dans la vie ? Aucune étude ne permet aujourd’hui de répondre à cette question, pourtant fondamentale car elle concerne la régulation immunitaire.
Plusieurs autres sujets ne sont pas élucidés : quelle est la spécificité des anticorps que l’on retrouve chez ces patients ? Quelle est la cause du déclin de la sécrétion d’insuline ? Qu’est-ce qui caractérise la nécessité d’un traitement par insuline ?
Nous avons observé des patients ayant fait plusieurs épisodes de cétoacidose, qui avaient des anticorps-GAD, et qu’il a été possible de sevrer d’insuline plusieurs années après l’initiation de ce traitement. C’est une situation paradoxale, inverse du Lada. Ces patients indiquent que la présence des autoanticorps ne marque pas forcément un processus de destruction actif des cellules bêta, que la cétoacidose n’est pas la marque ultime de leur destruction, qu’un déclin de la fonction de sécrétion d’insuline peut être réversible. Nous y reviendrons.
Spécificité des anticorps
Chez les patients ayant un Lada, le plus souvent on retrouve des anticorps anti-GAD, généralement à faible titre. Des études longitudinales ont montré que qu’un deuxième test peut être négatif, suggérant qu’il peut s’agir d’artéfacts, ou de situations transitoires, ou de résultats à la limite de la normale. Des anticorps anti-GAD ont aussi été observés dans d’autres pathologies du pancréas, comme la mucoviscidose ou la pancréatite chronique, souvent à titre modeste. Plus récemment, des publications ont décrit la présence de ces anticorps chez des sujets étiquetés « DT2 », ce qui pose un problème, car on ne dispose pas de définition positive du DT2 (en somme, il est défini comme « ce qui n’est pas une autre forme de diabète »).
Nous avons pu étudier le pancréas de sujets positifs pour un autoanticorps, mais dont la glycémie au décès était strictement normale. Nous avons montré que la masse de cellule bêta de ces sujets était normale. Cela peut être interprété comme le fait que la destruction de ces cellules est un phénomène tardif dans l’histoire naturelle de la maladie. Une autre interprétation de nos résultats pourrait être que la présence d’autoanticorps n’était pas le témoin d’une maladie auto-immune évolutive chez ces sujets. Nous allons quantifier prochainement l’inflammation pancréatique chez ces sujets.
Pour terminer, il faut souligner que, dans les maladies auto-immunes spécifiques d’organe — thyroïdite, gastrite auto-immune par exemple — la prévalence des autoanticorps spécifiques est souvent bien supérieure à celle de la maladie dans la population générale. On ignore si ces séropositivités sont la trace d’un processus destructeur éteint, ou si cette différence de prévalence tient à la très lente évolution du processus de destruction, ou enfin si ces tests positifs ne sont que des artéfacts de laboratoire.
Différentes causes au déclin sécrétoire
Un travail chinois a clairement montré que des déficits profonds de la sécrétion d’insuline peuvent être réversibles, c’est ce que l’on nomme « glucotoxicité » : une diminution de la sécrétion d’insuline, secondaire à l’hyperglycémie, constitue un phénomène auto-aggravant, mais réversible, après normalisation glycémique. Elle explique la « lune de miel » de la phase précoce du DT1. Ainsi, la perte de sécrétion d’insuline peut-être soit organique, soit fonctionnelle. Lorsqu’elle est fonctionnelle, c’est l’hyperglycémie elle-même qui en est la cause.
On ne sait pas exactement si tous les cas de Lada présentent une destruction organique des cellules bêta. Dans une étude prospective de patients avec DT1, nous avons observé qu’un groupe de patients maintient au long cours, sur trois ans, sa sécrétion d’insuline. Nous tentons actuellement de caractériser ces patients.
Caractériser la nécessité de l’insuline
Comment savoir quand l’insuline devient nécessaire ? Cette question est simple en apparence et même ne devrait pas se poser : lorsque les traitements non insuliniques proposés, à la posologie maximum qui peut être prescrite, ne permettent pas d’atteindre l’objectif glycémique, ou en présence de signes patents de carence en insuline (perte de poids, cétoacidose).
Mais la réponse peut être plus complexe : on a vu que des désordres fonctionnels, réversibles, peuvent être en jeu. L’exemple le plus frappant est le DT2 cétosique, parfois appelé « africain », caractérisé par la survenue, sur un fond de diabète « de type 2 », d’épisodes de cétoacidoses rapidement régressifs.
Apparus récemment, les nouveaux médicaments (agonistes du récepteur du GLP1, inhibiteurs de SGLT2) permettent de retarder, voire d’éviter les traitements par insuline. Et, dans la Look ahead study, fondée sur une modification du mode de vie, c’est 25 % des patients sous insuline à l’entrée de l’étude qui ont pu en être sevrés grâce à des modifications du mode de vie.
Il paraît donc nécessaire, lorsqu’on a initié un traitement par insuline, de se poser la question de sa pertinence à long terme, après correction des désordres induits par la glucotoxicité. C’est la stratégie proposée par le collège des endocrinologues américains : chez les patients dont l’HbA1c est élevée au diagnostic (> 9%), l’insulinothérapie doit être le traitement initial mais sa pertinence doit être réévaluée lorsque le diagnostic de DT1 n’est pas évident, y compris chez l’enfant. Des publications, chez des enfants avec DT1 apparent, ont montré qu’en l’absence d’autoanticorps, un diagnostic génétique de Mody peut être fait dans 10 % des cas, permettant en général d’interrompre l’insuline. Et il ne faut pas oublier que le DT2 de l’enfant est devenu une réalité ; ainsi, dans certains quartiers défavorisés la moitié des jeunes patients présentant une cétoacidose pourront être sevrés de l’insuline.
Cependant, il n’y a pas de test métabolique qui permette de prédire la possibilité d’un tel sevrage de l’insuline. Mais un peptide C nul en regard d’une glycémie supérieure à 80 mg/dL indique qu’un sevrage ne devrait pas être tenté.
Exergue : « Lorsqu’on a initié un traitement par insuline, il faut se poser la question de sa pertinence à long terme, après correction des désordres induits par la glucotoxicité »
Exergue 2 : Certaines séropositivités pourraient porter la trace d’un processus destructeur éteint, ou témoigner d’une très lente évolution de ce processus, ou encore n’être qu’un artefact de laboratoire
Service de diabétologie et immunologie clinique. Hôpital Cochin, AP-HP, Centre-Université Paris Cité R Buzzetti et al. Adult-onset auto-immune diabetes. Nature Reviews Disease Primers. 2022(8):63https://doi.org/10.1038/s41572-022-00390-6