Le fruit est fragile, difficile d'accès, il peut facilement se corrompre. On retrouve cette idée dans la Bible mais aussi dans le jardin des Hespérides, avec les pommes d'or qui ont donné plus tard à l'Italie le pomodoro, la tomate. L'aliment a toujours été identifié comme un produit de santé et de luxe ; Jean-Baptiste de La Quintinie, jardinier de Louis XIV, a été chargé de développer un verger pour fournir le roi toute l'année. Il faut attendre Nicolas Appert pour parvenir à conserver le fruit, sous forme de confiture ou de jus, et ainsi le démocratiser. Les sectes protestantes américaines en font alors la promotion, comme outil de lutte contre l'alcoolisme, au même titre que le petit-déjeuner aux céréales, inventé par les Quakers, une secte écossaise.
Aujourd'hui, la législation définit le pur jus comme un jus simplement pressé ; le jus à base de concentré est reconstitué avec le même volume d'eau que ce qui a été retiré, sans autre ajout ; le nectar est un jus, un concentré et/ou une purée de fruit, avec de l'eau, toujours, et éventuellement du sucre. Auparavant plutôt bas de gamme, un nouveau marché premium de nectars se développe, avec des cocktails de fruits rares notamment. Le marché dans son ensemble gagne en qualité, les jus bio et réfrigérés prenant ainsi 6 points de part de marché entre 2010 et 2018. Unique en son genre, l'institut professionnel Qualijus fête cette année ses 25 ans. Depuis 1994, il contrôle toutes les parties prenantes et transmet le cas échéant à la DGCCRF. « Notre démarche a assaini la filière, se félicite Jérôme Mornet, président de Qualijus. Auparavant, seuls 56 % des produits contrôlés étaient conformes, ils sont 98,8 % aujourd'hui. »
Un apport nutritionnel important
Les jus de fruits font partie intégrante des repères nutritionnels de nombreux pays. En France, un verre de jus de fruits (de 150 ml) peut compter pour une portion – pas plus – des 5 fruits et légumes recommandés par jour, au même titre que la soupe.
Mais la consommation des jus de fruits ne risque-t-elle pas de détourner des fruits entiers, plus riches en fibres, en particulier chez l'enfant ? Une étude du Credoc se veut rassurante à cet égard (1). L'enquête alimentaire portait sur 809 enfants de 3 à 14 ans et 1 121 adultes. Parmi eux, les consommateurs de jus de fruits avaient un meilleur indice de densité nutritionnelle que les non-consommateurs. Globalement, ils consomment aussi plus de fruits et légumes, quelle qu'en soit la forme, et sont plus nombreux à atteindre la recommandation des cinq portions de fruits et légumes par jour. « En fait, la consommation de jus de fruit ne remplace pas le fruit entier, au contraire elle ouvre un accès au fruit en particulier chez l'enfant », commente Véronique Braesco, conseillère scientifique d'Unijus.
Le jus industriel est en effet économique, pratique, et disponible toute l'année. Les prix restent très variables d'une gamme à l'autre mais un jus d'orange est moins cher en moyenne que son équivalent pressé à partir de fruits frais ; ce mode de conservation permet surtout de gaspiller moins, que ce soit au niveau de la filière (pressage de fruits hors standard) ou à la maison (moins de pertes par pourrissement).
Une consommation raisonnée
En France, le jus de fruit est principalement consommé le matin, pour 124 ml/jour en moyenne chez les enfants et 117 ml/j chez les adultes (Credoc 2016). Il n'y a pas de risque d'excès de sucre à ce niveau d'usage. L'Anses recommande de ne pas dépasser 100 g/j de sucre au total dans l'alimentation, dont 50 g de fructose au maximum. Or la consommation française, raisonnable, de jus, en apporte 5 à 8 g/j. À l'inverse, « dans la vraie vie il n'est pas évident d'arriver à la cible de vitamine C sans jus de fruits, souligne Véronique Braesco, il s'agit d'un contributeur très important, chez les adultes comme chez les enfants, en particulier le jus d'orange qui est le plus consommé. »
D'ailleurs les jus de fruits montrent un effet plutôt favorable sur les maladies cardiovasculaires dans les études épidémiologiques, sans être démonstratif pour autant. Quant au poids, si l'on s'intéresse aux études prospectives différenciant clairement sodas et jus de fruits – ce qui n'est pas toujours le cas –, 75 % ne montrent pas d'association avec une prise de poids, 25 % en montrent. De même pour le diabète, les études ne sont pas concluantes. Enfin un travail sur la cohorte Nutrinet a récemment relevé une association entre jus de fruits et cancers ; cela n'a pas été reproduit dans d'autres études ce qui ouvre une réflexion sur les facteurs d'ajustement choisis.
Présentation de Gilles Fumey, géographe, lors de la conférence annuelle d’Unijus, le 4 juillet 2019. Entretien avec Véronique Braesco, conseillère scientifique d’Unijus (1) Francou A et al. Consumption patterns of fruits and vegetable juices and dietary nutrient density. Nutrients. 2015.