Il ne passe plus un seul plan ou feuille de route en santé sans que l’accent soit mis sur la formation des professionnels de santé comme axe d’amélioration. Au-delà des objectifs politiques officiels, les pourvoyeurs de nouveaux enjeux sont multiples : évolution du métier, nouveaux modes d’organisation, demandes sociétales… Des défis divers de formation émergent pour les généralistes de demain. Ils ne passeront pas forcément tous par le filtre classique de la formation initiale ou de la formation continue, ni même ne s’imposeront à chacun des généralistes. Mais le programme des 10e Rencontres nationales de ReAGJIR, qui ont lieu ces 16 et 17 juin à Orléans, donne un aperçu des thématiques dont les jeunes généralistes souhaitent s’emparer pour leur exercice. Revue non exhaustive des prochains défis de formation.
Intégrer le concept de santé planétaire
Les enjeux environnementaux sont une des préoccupations majeures des Français et, de plus en plus, les généralistes ont aussi à cœur de s’emparer du sujet. Et pour cause. « Les enjeux écologiques et environnementaux sont tous des enjeux de santé », explique le Dr Anthony Delcambre, généraliste lillois et membre des associations Santé environnement France (Asef) et Alliance santé planétaire. « Notre santé dépend de la santé des écosystèmes, de l’environnement au sens large. Nous sommes tous confrontés en tant que médecins à ces problématiques », souligne-t-il. Sans occulter le fait que le système de santé lui-même est pollueur et a un impact néfaste sur l’environnement.
Même si l’écoanxiété, notamment, commence à apparaître comme motif de consultation localement, les patients évoquent encore peu les sujets de santé environnementale en cabinet. « La structure du système de santé empêche l’émergence de ces sujets. Nous avons 15 minutes, les patients sont habitués à un certain fonctionnement et la connaissance fine des causes de leur maladie est liée à tout un tas de facteurs », analyse le Dr Delcambre. Mais selon lui, justement, il y a « urgence pour la communauté médicale à se saisir de ces préoccupations en amont pour ouvrir la porte aux patients ».
La difficulté majeure est qu’il est déjà compliqué pour les médecins de réaliser les liens d’interdépendance forts entre la santé et les écosystèmes. La faute notamment à une formation initiale en silo qui n’a pas encore introduit ces approches holistiques et systémiques pour que « les étudiants, dès la sortie du bac, comprennent que la médecine ne peut pas évoluer seule et qu’elle est intimement liée à la santé des systèmes naturels qui nous entourent ».
En attendant, de la FMC, des cours facultaires, des webinaires ou des mooc commencent à émerger sur le sujet. Avec Alliance santé planétaire, le Dr Delcambre travaille justement à la traduction d’un mooc qui explique, en contexte de soins primaires, les liens entre santé, climat, biodiversité et pollution.
Acquérir une culture interprofessionnelle
Avec plus de 2 000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et quelque 240 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sur le territoire français, l’exercice coordonné interprofessionnel est devenu une réalité pour les généralistes et la nouvelle génération le plébiscite. Toutefois, travailler en équipe ne « s’improvise pas », estime le Dr Elsa Fagot, généraliste au Havre et vice-présidente de l’association Sextant 76, à l’initiative de la création de la CPTS du Grand Havre. « On ne décide pas d’un seul coup de devenir interprofessionnel. Ce sont des habitudes de pratiques professionnelles qui se travaillent par étapes pour finir par acquérir une culture interprofessionnelle », explique-t-elle.
Et l’idéal pour acquérir cette culture, c’est donc de la faire infuser dès la formation initiale. Maître de conférences universitaire au sein du DMG de Rouen, le Dr Fagot est en charge du programme pédagogique lancé en 2022 pour les internes autour de la collaboration interprofessionnelle. Le premier stade repose sur une phase de découverte pour faire se rencontrer les métiers, faire le point sur les représentations que les professionnels peuvent en avoir et apprendre les champs de compétences de chacun.
C’est justement cette phase qui manque aujourd’hui aux médecins en exercice et se fait le plus souvent de manière informelle. « On nous demande très vite de travailler ensemble, d’aller dans du concret sans forcément se connaître. Les formations DPC qui existent aujourd’hui sont sur comment construire une MSP ou une CPTS ou quels outils numériques utiliser », détaille-t-elle. Mais, selon elle, une formation ne peut pas répondre à ces besoins d’interaction car elle ne permet pas aux professionnels de se rencontrer sur les territoires. « La volonté des professionnels de travailler ensemble sur un territoire doit venir d’eux », estime-t-elle.
Certaines initiatives peuvent toutefois faciliter les rencontres et faire naître des projets de santé. À l’image du speed dating organisé chaque année par la CPTS du Grand Havre.
Se former… à former
Les maîtres de stage des universités (MSU) ont quasiment atteint le nombre de 13 000 en 2021. Avec la volonté politique affichée de développer les stages en ambulatoire et l’augmentation prévue du nombre d’étudiants du 3e cycle dans les années à venir, les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé fixent un objectif d’augmentation de 7,7 % du nombre de MSU d’ici à 2024.
À l’avenir, davantage de généralistes vont devoir se former à la maîtrise de stage. Un prérequis indispensable. « L’encadrement des étudiants en 2e et 3e cycles, c’est un métier différent, celui d’enseignant, de pédagogue », souligne le Dr Thomas Pipard, généraliste à Millery (Rhône) et secrétaire adjoint du Collège lyonnais des généralistes enseignants (CLGE). Lors des formations, « nous permettons au futur MSU d’avoir une réflexion sur sa pratique. Car lorsque nous enchaînons les consultations, nous sommes pleins d’automatismes. Il faut décortiquer ce que nous faisons au quotidien ; pour montrer quelque chose à quelqu’un, il faut pouvoir le nommer », explicite-t-il.
Les formations sont également l’occasion de sensibiliser les MSU à la relation triangulaire, la présence de l’interne modifiant la relation et les interactions entre le médecin, le patient et l’étudiant. « Le patient n’est jamais un objet d’études, il n’est pas notre cobaye », souligne le Dr Pipard.
Et au-delà de la formation socle d’initiation, il est essentiel pour le MSU de connaître les objectifs pédagogiques adaptés au niveau de l’étudiant. « En tant que MSU, nous devons transmettre selon les objectifs de l’étudiant et pas seulement ce que nous avons envie de transmettre. »
La nouvelle charte des MSU, signée fin 2021 par les étudiants et les enseignants, ajoute, entre autres, des nécessités d’indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique en présence de l’étudiant ou de formation à la prévention des risques psychosociaux ou des violences sexistes et sexuelles.
Le fait qu’une formation à la maîtrise de stage se mette aussi en place chez les hospitaliers démontre tout l’intérêt à se former dans ce domaine. Et les jeunes généralistes qui ont pu bénéficier eux-mêmes pendant leurs études des stages en ambulatoire l’ont bien compris. « Il y a de plus en plus de jeunes médecins qui ont bénéficié de cet encadrement et ont envie de le transmettre. Ils se rendent compte aussi des avantages à la maîtrise de stage : échange avec une autre personne, réflexion sur sa propre pratique, prévention du burn out, facilitateur pour trouver des remplaçants et des nouveaux associés, etc. », observe le Dr Pipard.
Se préoccuper de santé sexuelle
La deuxième feuille de route Santé sexuelle 2021-2024, comme la précédente, met les généralistes au cœur de la stratégie nationale et prévoit notamment la montée en compétences de ces derniers à travers leur formation. Pour le Dr Alan Charissou, généraliste qui travaille pour le planning familial au Luxembourg, même s’il « faut arrêter de dire qu’on va mettre toujours plus de choses dans l’escarcelle des généralistes, il est intéressant de mettre en avant le fait que la réponse doit venir des soins primaires ».
Tous les généralistes n’ont pas besoin de se former et d’être experts de la prescription de la PrEP, qui va représenter en moyenne un ou deux patients de leur patientèle. « En revanche, qu’au moins une personne maîtrise la PrEP au sein d’une équipe de soins pluridisciplinaires, cela a du sens », juge-t-il.
Mais en termes de santé sexuelle, les enjeux ne se réduisent pas à la question des IST. « La stratégie nationale est très orientée sur les IST mais, quand on regarde les chiffres des problèmes sanitaires relatifs à la santé sexuelle et reproductive, ce qui a le plus gros impact, ce sont les violences sexuelles », souligne le Dr Charissou. Et même si on en parle davantage ces dernières années, selon lui, il y a encore énormément de travail « pour que les généralistes sachent quoi faire pour faciliter les déclarations des victimes et leur orientation ». Le sujet de la contraception est également central, notamment pour la problématique des grossesses non programmées. « C’est un vrai sujet avec un impact sanitaire important, avec des grossesses plus compliquées, plus de pathologies maternelles, post-partum ou de maltraitance infantile ». Des avancées sont aussi à noter sur la contraception masculine, avec un intérêt et une demande grandissante des patients. « Il y a en plus un leadership français sur la contraception thermique, une opportunité à saisir », analyse le Dr Charissou, qui recommande le site de l’Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine) pour s’informer sur les méthodes disponibles en France.
S’informer et informer
La crise sanitaire l’aura montré ces deux dernières années, bien s’informer et informer ses patients peut représenter un challenge pour le généraliste. Pour lui-même, l’enjeu est déjà de trouver l’information fiable. « Cela peut être compliqué parce qu’il y a une foule d’informations, plus qu’avant, et cela peut faire peur de se dire “il y en a trop, je ne serai jamais à jour” », juge le Dr Corentin Lacroix, généraliste à Vertou (Pays de la Loire). Ce dernier est notamment vice-président de l’association KitMédical, qui a créé, à destination des généralistes, le moteur de recherche Doocteur pour ne proposer que les résultats pertinents et fiables pour leurs pratiques. Les tiers de confiance sont aussi un élément clé et la pandémie aura illustré que, dans un tel contexte, ils sont peut-être plus efficaces quand ce sont des pairs. « Les DGS-urgent, niveau vulgarisation, ce n’était pas top. Les messages descendants n’arrivaient peut-être pas assez vite et, surtout, ils étaient trop littéraires, alors que nous voulions des informations rapides et évidentes », considère-t-il. Une lacune reconnue par la mission Créa-Diff mise en place par le ministre de la Santé après la crise sanitaire.
Réseaux sociaux, blogs, podcasts, sites internet, vidéos, applications… sont pris en main par les médecins pour informer leurs collègues. Mais ils le font aussi pour vulgariser l’information à destination des patients. Un enjeu essentiel car, de toute façon, « les patients s’informent aussi de leur côté », souligne le Dr Lacroix, qui a lancé il y a plusieurs années avec WhyDoc une chaîne YouTube de vidéos de vulgarisation. Même si certains patients n’ont parfois pas envie d’en savoir plus, cela participe aussi à la décision partagée. « Dans les pathologies chroniques notamment, c’est vraiment ça qui a changé, nous sommes passés de la position “je te dis, tu fais” à “je te dis ce qui peut se passer”, et il y a une coopération », explique le Dr Lacroix.