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Télémédecine

Le coronavirus dope les téléconsultations

Par Christophe Gattuso et Amandine Le Blanc - Publié le 25/03/2020
Le coronavirus dope les téléconsultations

Téléconsultations
GARO/PHANIE

Alors qu’elle demeurait marginale, la téléconsultation a décollé ces dernières semaines avec l’épidémie de SARS-CoV-2. Selon les informations recueillies par Le Généraliste, 115 000 TC ont été facturées à l’Assurance maladie du 1er au 22 mars. Sur ce total, 80 000 ont été réalisées la seule semaine du 16 mars, date de parution des recommandations de prise en charge en médecine générale des personnes présentant des symptômes de Covid-19. Pour leur sécurité et celle de leur patientèle, les médecins de famille ont suivi les consignes du ministère de la Santé en privilégiant les consultations à distance pour ces patients, ces actes étant désormais pris en charge à 100 % en tiers payant.

Le mouvement de grève des transports, fin 2019, avait déjà accéléré le nombre de téléconsultations (TLC). Ces dernières semaines, ce nouveau mode de consultation a tiré profit de la crise sanitaire qui secoue la France depuis deux mois.

Contactée par Le Généraliste, la Caisse nationale d’Assurance maladie indique avoir enregistré une augmentation très significative du nombre d’actes de téléconsultation depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Sur les 320 000 téléconsultations facturées à l’Assurance maladie depuis le 15 septembre 2018, 115 000 l’ont été entre le 1er et le 22 mars. La progression a été surtout fulgurante ces tout derniers jours. La Cnam avait en effet comptabilisé 40 000 TLC pour le mois de février 2020. Le nombre d’actes réalisés à distance par les médecins s’est envolé du 16 au 22 mars 2020, semaine pendant laquelle la Cnam a relevé 80 000 TLC. Ce boom est consécutif aux nouvelles recommandations de prise en charge du Covid-19 et à la multiplication des acteurs sur le marché (lire encadré ci-dessous).

Dans leurs recommandations mises en ligne il y a une dizaine de jours, à l’occasion du passage au stade 3, phase épidémique, les pouvoirs publics recommandaient aux médecins libéraux, en première ligne, de privilégier la téléconsultation pour les patients atteints de symptômes de coronavirus. Le ministère a assoupli les modalités de téléconsultation prévues dans l’avenant 6, comme le passage obligatoire par le médecin traitant dans les 12 derniers mois. Depuis une semaine, ces actes sont d’ailleurs pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie en tiers payant.Dès le début de la crise, des syndicats, tel Avenir Spé, avaient demandé « un déploiement massif des outils de téléconsultation » face au risque épidémique. De son côté, l’URPS Médecins Auvergne-Rhône-Alpes conseillait aux médecins l’utilisation de la téléconsultation « chaque fois que cela [était] possible ».

80 000 C’est le nombre d’actes de téléconsultation facturés à l’Assurance maladie dans la semaine du 16 au 22 mars 2020.

Des acteurs très opportunistes

Opportunistes, les plateformes de téléconsultation privées ont été très réactives en proposant aux médecins d’utiliser leurs services pendant la crise du Covid-19. Plusieurs acteurs du secteur ont annoncé mettre « à disposition gratuitement » leur service pendant la durée de l’épidémie. Ce fut le cas de Doctolib et de plusieurs concurrents. CompuGroup Medical, éditeur allemand de logiciels médicaux, a ainsi proposé « la mise à disposition gratuite » de sa solution de téléconsultation pour tous les médecins en Europe. Idem chez Hellocare, ou chez Consulib.com qui ne prélève plus la redevance de 1 euro par consultation depuis lundi dernier.

Doctolib a observé que les demandes de rendez-vous pour des consultations vidéo ont été multipliées par 18 en un mois. Jusqu’alors, 3 500 généralistes utilisaient le service de téléconsultation de la start-up. Chez eux, la part des téléconsultations a bondi de 4 à 18 % entre le 14 et le 17 mars, et cette évolution ne devrait pas s’arrêter là. Selon un premier baromètre réalisé par Doctolib, 96 % des généralistes interrogés affirmaient avoir changé leurs habitudes de consultation le lundi 16 mars dernier, au moment où les médecins de ville étaient propulsés en première ligne pour prendre en charge les patients atteints de Covid-19.

Ces médecins affirment se rendre disponibles plus rapidement pour leurs patients. Ainsi, 73 % des médecins interrogés déclaraient pouvoir recevoir un patient en consultation dans les 24 heures et 92 % dans les 48 heures. Alors que nombre d’entre eux (79 %) ont déjà reçu un patient suspecté d’être atteint de Covid-19, une majorité (52 %) prévoit des plages spécifiques pour ces patients, 35 % leur proposent aussi une téléconsultation. Un tiers explique aussi reprogrammer les consultations non urgentes ou arrêter les visites.

Une téléconsultation de guerre

Les médecins de famille ont donc adapté leurs habitudes pour encaisser l’impact de la crise ou restreindre les risques de contamination au cabinet médical. « Nous avons fermé notre salle d’attente et nous demandons aux patients d’attendre à l’extérieur à une distance de sécurité, témoigne le Dr Jonathan Favre, généraliste à Villeneuve d’Ascq. Les cas suspects sont calés en fin de demi-journée pour pouvoir nettoyer le cabinet ensuite et nous n’avons plus d’accueil physique », détaille-t-il. S’il utilisait déjà la téléconsultation avant l’épidémie, son usage a évolué. « J’ai tout passé en téléconsultation et sur les premiers jours, j’avais environ 50 % de mes consultations en vidéo alors qu’à la base, c’est de l’ordre de 5 %. J’ai aussi formé mes étudiants pour qu’ils puissent en faire », ajoute-t-il. Le Dr Marie Msika Razon, généraliste à Paris, était elle aussi déjà adepte de la téléconsultation avant l’épidémie mais pense qu’une fois la crise passée, des habitudes pourraient rester chez certains de ses confrères. « Beaucoup ne s’étaient jamais équipés et la situation les oblige à se lancer, donc pour eux cela entraînera sûrement des changements. » Le Dr Favre considère, lui, que la téléconsultation pratiquée en ce moment est très spécifique : « c’est une téléconsultation de guerre, c’est du triage. En gros, ce que l’on nous demande de faire, c’est un peu du super 15, on trie les gens, on évalue en téléconsultation la gravité pour les faire rester chez eux et éviter d’emboliser le 15. C’est adapté à la crise mais dans un contexte normal, les gens attendent une médecine plus humaine ».

Une centaine de solutions recensées

Selon le recensement de l’Agence du numérique en santé, une centaine d’entreprises ont mis en place une solution de téléconsultation pour les professionnels de santé. Leur liste a été publiée la semaine dernière sur le site du ministère de la Santé et devrait permettre aux généralistes souhaitant proposer des téléconsultations de s’y retrouver parmi l’offre importante sur le marché. Plusieurs caractéristiques y sont renseignées : territoire couvert (national ou régional), possibilité de vidéotransmission et de partage de documents du médecin vers le patient et inversement, fonction « prise de rendez-vous », possibilité de paiement à l’acte et de facturation par l’Assurance maladie. Un niveau de sécurité des données échangées est également indiqué.

Dérogation Pour les seuls patients susceptibles d’être atteints par le Covid-19, une dérogation à la règle de connaissance préalable du patient est prévue dans un décret du 9 mars 2020, même si les patients sont toujours invités en premier lieu à consulter leur médecin traitant, selon l’Assurance maladie.

Amandine Le Blanc et Christophe Gattuso