LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
LÉA STAATH : Je suis actuellement en fin de cinquième semestre d’internat de médecine générale à Clermont-Ferrand. Je finis un stage à Langeac, en Haute-Loire, près du Puy-en-Velay, et il me reste à faire le Saspas [stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée, dernier stage de la maquette de médecine générale, NDLR], que je vais effectuer dans le Cantal.
THOMAS COUTURIER : Je suis quant à moi installé depuis 2013 à Quimper, initialement seul, puis dans un cabinet de groupe qui compte à l’heure actuelle trois médecins et un IPA [infirmier en pratique avancée, NDLR]. Ce cabinet fait par ailleurs partie d’une MSP [maison de santé pluriprofessionnelle, NDLR] multisite dont je suis le vice-président, et de la CPTS [communauté professionnelle territoriale de santé, NDLR] du pays de Quimper dont je suis le président.
Qu’est-ce qui vous a conduits vers la médecine générale ?
L. S. : J’aimais beaucoup les sciences et je cherchais un métier où je me sentirais utile. Je me suis donc assez naturellement tournée vers la médecine, qui correspondait bien à mes attentes. J’ai fait mes études de médecine à Marseille, et jusqu’au dernier moment, j’ai hésité entre la médecine générale et la cardiologie. D’un certain côté, je savais qu’au fond de moi, je voulais faire de la médecine générale, mais quand on a un classement qui nous permet de faire une spécialité d’organe, on nous dit toujours qu’on doit le faire. J’ai fini par choisir la médecine générale à Clermont-Ferrand car c’était une ville où mon classement me permettait éventuellement de me réorienter vers la cardiologie… mais je n’en ai pas eu besoin ! Alors qu’on nous parle peu de médecine générale à la fac, j’ai finalement découvert pendant l’internat une spécialité qui m’a beaucoup plu.
T. C. : De mon côté, je me suis retrouvé en médecine générale un peu par hasard. Je n’étais pas particulièrement bon élève, je ne pouvais pas prétendre faire une prépa, mais même si je ne savais pas ce que je voulais faire, je savais que je voulais être utile. Je suis donc allé vers la faculté de médecine alors qu’aujourd'hui, avec Parcoursup, je ne pourrais même pas espérer y mettre un pied. J’ai bossé d’arrache-pied et j’ai réussi à avoir le concours. J’ai fait mes études à Paris, mais l’hôpital ne me plaisait pas. Je trouvais que c’était une forteresse, une structure fermée sur elle-même, et si par exemple je faisais une bourde en cardio, le cardiologue me disait que j’allais finir médecin du travail à Vesoul, ce que je trouvais méprisant et idiot. J’ai donc choisi la médecine générale. Déjà, en 2007, l’immobilier étant ce qu’il était à Paris, je savais que les conditions d’installation seraient difficiles. Je suis donc allé faire mon internat à Brest, ce qui m’a permis de me rapprocher de mes origines bretonnes et de me faire un réseau qui m’a bien servi lors de mon installation.
La médecine générale est la spécialité de l’individu dans son ensemble
Léa Staath
Certains mettent parfois encore la médecine générale d’un côté, et les spécialités de l’autre… La médecine générale est-elle une spécialité à part ?
L. S. : Oui. Ce qui la distingue des autres, c’est qu’elle est la spécialité de l’individu dans son ensemble : on doit considérer la personne dans son quotidien, son entourage, sa représentation de la maladie… Elle nous permet de voir les gens régulièrement, de nouer des relations avec eux à différents moments de leur vie. C’est très riche et cela fait partie de ce qui me plaît dans ce métier.
T. C. : Je suis tout à fait d’accord, et j’ajoute que ce qui caractérise le spécialiste, c’est qu’il peut faire quelque chose que les autres ne savent pas faire. Or les autres spécialistes ne sauraient pas faire le dixième de ce que nous faisons : la médecine générale est d’une grande complexité. Elle consiste à prendre en charge la personne dans toutes ses dimensions, que ce soit sur le plan physique, psychologique, social… On présente souvent le généraliste comme l’homme ou la femme à tout faire de la médecine, la boîte à outils qui sert surtout à adresser les patients à ses confrères… Mais c’est faux, c’est une spécialité qui nécessite des connaissances spécifiques et intrinsèques, c’est quelque chose de beau et de particulièrement enrichissant.
En ville, le pouvoir n’a pas encore été confisqué par des administratifs
Thomas Couturier
Elle implique souvent la gestion d’un cabinet, des relations avec de multiples autres soignants… Est-ce un atout pour vous ?
L. S. : Oui, je suis actuellement en stage en MSP, je travaille avec des kinés, des infirmiers. C’est très bénéfique, pour moi et pour le patient. Je trouve l’exercice en MSP très positif pour notre pratique, et je pense plutôt m’orienter vers cela. Bien sûr, l’aspect libéral peut faire un peu peur, mais on reste à petite échelle, la communication avec les autres soignants est plus facile que dans les grands centres hospitaliers.
T. C. : La grande différence avec l’exercice hospitalier, c’est qu’en ville, le pouvoir n’a pas encore été confisqué par des administratifs. Nous avons encore une autonomie dans les décisions de prise en charge, dans les relations avec les patients, avec les autres professionnels… On sait bien qu’on ne peut rien faire sans les autres, et c’est le sens d’une MSP, où tout le monde travaille ensemble pour améliorer la prise en charge des patients. Je pense qu’à l’hôpital, il n’y a plus vraiment cela.
Vous semblez porter une vision très positive de la médecine générale, or la profession exprime depuis longtemps un profond mal-être…
L. S. : Nous sommes surtout mécontents de la manière dont nous sommes considérés au niveau politique. Quand Gabriel Attal, par exemple, propose un accès direct au spécialiste sans passer par la case généraliste, il laisse entendre que nous ne sommes qu’une étape inutile avant d’accéder au spécialiste… On se rend d’ailleurs souvent compte que les patients ignorent tout de ce qu’un généraliste peut faire : je vois souvent des femmes qui ne savent pas que je peux faire un frottis, des gens qui ne savent pas que nous pouvons prendre en charge certaines pathologies dermato… Il faudrait davantage axer la médecine sur le premier recours et moins sur les grands CHU. C’est de ce côté que je ressens le plus de colère…
T. C. : Le mal-être des généralistes est lié à un manque de reconnaissance de la part du politique et de la population, qui nous voient souvent comme des médecins de seconde zone. On a aussi une inquiétude de la part des libéraux qui se voient petit à petit rattrapés par le côté administratif, qu’ils ont fui en s’installant en ville. Il est normal que le politique fixe des objectifs, et je ne dis pas qu’il ne faut pas modifier notre pratique, mais on ne voit pas de vision à long terme de la part du politique. On a plutôt l’impression que nous avons un outil qui fonctionnait plutôt bien jusqu’ici et qui risque d’être détruit par des personnes qui n’y connaissent rien.
Quand je pense à l’avenir de la médecine générale, j’oscille entre espoir et inquiétude
Thomas Couturier
Comment voyez-vous l’évolution de la médecine générale dans les années à venir ?
L. S. : Je n’ai pour l’instant pas passé beaucoup de temps en médecine de ville, j’ai fait la majeure partie de mes études en CHU, mais j’ai tout de même l’impression que le travail en commun, dans des structures de type MSP, est ce qui attire de plus en plus. C’est ce vers quoi se tournent une majorité des internes de ma promotion. Mais l’avenir de la profession doit aussi tenir compte des difficultés d’accès aux soins de la population. On est en train de s’adapter, de créer le métier d’IPA, de déléguer des soins à d’autres corps de métiers… et en même temps d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine dans les facs. On peut se demander si on ne va pas finir par avoir trop de médecins. Enfin, j’espère que la spécialité va encore davantage édicter ses propres recos, au lieu d’avoir à appliquer des recommandations élaborées par des cardiologues ou des endocrinologues pour des pathologies que nous sommes les premiers à prendre en charge.
T. C. : Quand je pense à l’avenir de la médecine générale, j’oscille entre espoir et inquiétude. Espoir car nous sommes en train de vivre une révolution qui, même si certains ont du mal à l’accepter, va de plus en plus nous amener vers la coordination de parcours, l’entretien motivationnel. L’objectif sera d’inciter le patient à avoir un meilleur mode de vie et de savoir déléguer le suivi à la sage-femme, l’IPA, etc., ce qui ne veut pas dire qu’on abandonnera le soin. Mais il y a aussi une inquiétude liée au politique. Augmenter le numerus clausus alors qu’on est en train de confier des tâches à d’autres métiers, c’est prendre le risque que chacun tire la couverture à soi pour vivre correctement, et ce n’est pas dans l’intérêt du patient. D’autre part, la financiarisation de la santé existe, et on doit s’en inquiéter. Quelle est la vision à moyen et long termes de la santé en France ? On peut se demander si le politique le sait.
Thomas Couturier
2007 : internat de médecine générale à Brest
2013 : installation à Quimper
2018 : président de l’Union pour la santé du pays de Quimper, devenue CPTS en 2021
Léa Staath
2014 : baccalauréat
2016 : concours de Paces et début des études médicales à Marseille
2021 : début de l’internat de médecine générale à Clermont-Ferrand
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