Interprètes du passé

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Publié le 11/07/2019
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Les Britanniques Peter Pears (1910-1986) et Benjamin Britten (1913-1976) ont tout au long de leur carrière et de leur compagnonnage pratiqué le récital de chant. Schubert est venu assez tard, après des récitals consacrés au chant élisabéthain, aux classiques anglais, à Haendel et Schumann. « Pears/Britten - Schubert Lieder Recital » (1 CD, Testament) réunit des enregistrements réalisés dans les studios de la BBC en trois sessions, entre 1959 et 1964. Ils sont contemporains de leur « Voyage d’Hiver » de Schubert, qu’ils chantèrent beaucoup en concert, enregistrèrent et dont ils firent même un étrange film en 1970 (Decca).

Leur interprétation de ces Lieder soulève quelques réserves, notamment quant à l’adéquation de la voix de Peter Pears à cette musique : monotone, avare en couleurs et souvent un peu juste de souffle pour rendre justice à ces vignettes d’atmosphères si variées. La prononciation n’est pas toujours impeccable et un certain degré de maniérisme parasite le discours, tout comme l’usage abusif du rubato.

Mais l’entente des deux partenaires est le grand atout de ce duo et l’accompagnement au piano de Britten, toujours très musical, très à l’aise chez Schubert, relançant toujours le chant de Pears, en fait tout le prix.

La BBC a aussi réédité récemment un anecdotique « Auf dem Strom » de 1953 avec le corniste Dennis Brain, ainsi qu’un autre ensemble de six Lieder de Schubert de 1969 avec Britten au piano (BBC Legends).

Le ténor allemand Rudolf Schock (1915-1986), Kammersänger de l’Opéra de Vienne, s’est distingué autant dans le Lied que dans l’opéra, mais c’est surtout l’opérette viennoise qui lui valut une grande popularité après-guerre, y compris au cinéma. L‘éditeur suisse Relief a déjà réédité, outre sa « Belle Meunière » de Schubert de 1959 avec Gérald Moore, un « Messie » en allemand et deux opérettes de Lehár, « Le Pays du Sourire » et « L’Amour tzigane ». Les deux CD de Lieder reprennent en stéréo le contenu de trois long playing Elektrola de la fin des années 1950, gravés avec le pianiste et chef d’orchestre Adolf Stauch.

Dans la pratique du Lied, Schock se montre inégal, surtout par le style. Si son « Dichterliebe », qui ne s’est pas imposé dans la discographie de l’époque, est plutôt commun, avec un style souvent débraillé, les quelques Lieder de Schubert sont d’une grande pureté stylistique. C’est Hugo Wolf qui semble le mieux l’inspirer, pour le juste poids des mots et le choix des nuances, et surtout Richard Strauss, pour la justesse de la ligne vocale et le formidable souffle qui lui permet d’aller au bout des longues phrases élégiaques. Les huit Lieder avec orchestre, enregistrés en 1957 sous la direction de Wilhelm Schüchter, sont le meilleur de ce très intéressant album.

Mort à 33 ans

« Dinu Lipatti - Le dernier récital » (1 CD Solstice) : l’histoire du dernier récital du pianiste roumain Dinu Lipatti (1917-1950), au festival de Besançon, est aussi connue que tragique. Souffrant d’un lymphome, il ne put finir le programme et quitta les lieux en ambulance pour mourir quelques semaines plus tard. Très souvent publié, ce récital Bach, Mozart, Schubert, Chopin (les « Valses », sauf une), enregistré par la RTF (Radiodiffusion-Télévision française) est enfin restitué dans son intégralité à partir des bandes originales de l’INA, avec tous les ajouts de la radiodiffusion (annonces, applaudissements, arpèges que faisait le pianiste pour préluder aux pièces jouées).

S’agissant d’un tel document, on ne peut que se réjouir de le posséder tel qu’il a été réalisé en ce soir du 16 septembre 1950 dans la salle du Parlement de Besançon. On trouvera le récit de cette dramatique soirée dans l’essai « La Quatorzième Valse » publié par André Tubeuf chez Actes Sud.


Source : Le Quotidien du médecin