Délégation de tâches, diversification de la rémunération, exercice mixte, médecine foraine et même « démédicalisation » du quotidien ! À la recherche d'un équilibre entre vie personnelle et professionnelle, la nouvelle génération avance des idées innovantes, contrairement aux candidats à la présidentielle qui ont tendance à recycler les mêmes recettes.
Ils sont 35 000 internes, 15 000 médecins remplaçants, 59 000 confrères de moins de 40 ans… Une nouvelle génération qui arrive en nombre et qui a parfois dû faire ses premières armes au cœur des vagues Covid.
Le point commun de ces jeunes médecins ? « Nous avons appris à tirer les leçons des expériences de nos aînés », lance la Dr Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir). Plus question de multiplier les actes, d'enchaîner les journées et les semaines à rallonge ou les gardes obligatoires qui ont poussé nombre de praticiens au burn-out. Priorité à la recherche d'un équilibre global, au travail en équipe et aux délégations de tâches dans un cadre interpro. « 10 % des Français n’ont pas de médecin traitant, on ne peut plus réfléchir comme il y a 20 ou 30 ans, cadre la généraliste installée en région toulousaine. Désormais, on a trop de travail, on ne peut plus se permettre de garder tous les actes ».
L'éducation à la santé plutôt que la course à l'activité
Pour les cinq ans à venir, Reagjir propose même aux candidats d'évoluer vers « une démédicalisation du quotidien ». Pathologies bénignes, certificats inutiles... « Un grand nombre de consultations en médecine générale ne sont pas nécessaires, il faut mettre en place une vraie politique d’éducation à la santé », plaide la jeune généraliste.
Travailler moins pour exercer mieux : c’est aussi l’une des aspirations des futurs généralistes représentés par l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Soucieux de stopper l'inflation des actes, le syndicat propose depuis 2020 « de diversifier les modalités de rémunération en privilégiant le paiement au forfait en complément du paiement à l’acte », tout en valorisant les actes de prévention ou de suivi des pathologies chroniques.
Une coercition contre-productive
Or, si la question des déserts médicaux est devenue incontournable dans la campagne présidentielle, l’amélioration de la qualité de vie des jeunes praticiens est le plus souvent ignorée des candidats ou reléguée au second plan. La préoccupation est pourtant centrale chez les juniors, y compris à l'hôpital où les médecins en formation se battent depuis des années pour le respect de la législation sur le temps de travail et le repos de sécurité. « Nous voulons une vie de famille, des loisirs, un travail de qualité en pluriprofessionnalité », énumère encore la Dr Lechevalier qui rappelle que seuls 3 % des jeunes confrères souhaitent s’installer en solo, modèle hier dominant. « Il y a une indifférence latente sur le sujet de notre qualité de vie, abonde Marina Dusein, porte-parole de l’Isnar-IMG. C'est comme si tout le monde s’était habitué à ce que ça soit dur pour les médecins. »
Pire, la nouvelle génération se voit toujours renvoyée, à droite comme à gauche (lire page 14), à des stages obligatoires dans les déserts médicaux, à une régulation à l’installation dans les zones surdotées voire à de la contrainte dans les zones fragiles. « Ça me fend le cœur », réagit Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), qui s'apprête à remettre une vingtaine de pages de propositions aux candidats, égrenées sur les réseaux sociaux depuis la semaine dernière. « On sait très bien que la coercition ne fonctionne pas », assène l’interne en santé publique.
Recruter des étudiants ruraux
La nouvelle génération n’est pourtant pas à court d'idées pour favoriser l’accès aux soins. Tous citent l’étude de la Drees, le service des statistiques du ministère de la Santé, publiée en décembre et « qui bat en brèche les préjugés », souligne Gaétan Casanova. Cette enquête démontre qu’être originaire et étudier dans une région pousse les futurs médecins à s’y installer durablement. « Nous proposons de développer le recrutement d’étudiants en médecine issus de zones sous-denses, en leur donnant, pourquoi pas, une bourse », explique le président de l’Isni. Autre solution dans la même veine : « offrir dans les lycées ruraux des prépas médecine ». Cette idée est partagée par la présidente de Reagjir, qui précise « qu’il faut ensuite encourager les maîtres de stage dans ces zones sous-denses ».
Autre certitude : le libéral continue de faire peur, à l'issue d'une formation largement hospitalo-centrée. « Il faut un vrai virage ambulatoire ! », plaide le Dr Emanuel Loeb, psychiatre et président du syndicat Jeunes médecins, qui ambitionne de réunir des libéraux et des hospitaliers. Cette organisation propose, qu’à l’issue des ECN, 70 % des postes soient orientés vers la médecine générale, contre 39 % en 2021. « Ensuite, l’idée est de créer des options à l’issue du DES de médecine générale, orientées vers la santé de la femme, de l’enfant, la psychiatrie ou l’ophtalmologie par exemple », poursuit le Dr Loeb qui espère valoriser et diversifier l’activité des jeunes généralistes. « Le lundi, vous faites de la médecine générale, le mardi de la pédiatrie… », illustre-t-il. Le tout en alignant la rémunération des omnipraticiens vers celle des autres spécialités.
Médecin itinérant
Décidément, les représentants des juniors ne voient plus les choses comme leurs aînés. Aucun ne s’oppose à la délégation de tâches voire à l’accès direct à certains paramédicaux, sujet qui crispe les syndicats de praticiens installés. « On n’est pas là pour défendre notre pré carré, justifie Gaétan Casanova. Quelle est la plus-value pour le médecin de faire un plâtre aux urgences alors qu’on pourrait le laisser aux infirmières ? ». « Avec la pandémie, on a appris à travailler tous ensemble, en coordination, avec des protocoles », confirme Marina Dusein.
L’Isni va jusqu’à proposer de réhabiliter la médecine foraine, avec un schéma assez précis : « placer un médecin dans un bus itinérant, pour consulter dans des territoires vraiment isolés », imagine Gaétan Casanova. Un praticien nomade connecté « avec un appareil de radiographie, un laboratoire délocalisé, un échographe, détaille-t-il, et des radiologues ou des cardiologues qui feraient de la télé-expertise à distance.. Voilà un beau projet pour se départir des fractures territoriales ! ».
La gouvernance des mandarins
Aujourd’hui, « quels que soient les candidats nous sommes déçus des propositions », s'impatiente Emanuel Loeb. « Soit on nous parle de l’installation, soit du nombre de lits à l’hôpital… Alors que le problème des jeunes c’est qu’ils subissent la gouvernance des CHU et la volonté des mandarins de les maintenir dans la précarité, avec des postes de contractuels », analyse-t-il sévèrement. Le syndicat Jeunes médecins propose un statut de PH unique, automatique dès la sortie de l’internat. Dès lors, « la quotité de travail en établissement public de santé pourrait varier de 0 à 100 % favorisant l’exercice mixte ».
Prévention, numérique, santé environnementale, collégialité, pluripro, carrières souples : la nouvelle génération pousse ses idées. « Si on continue comme ça, on va se retrouver sans médecin dans 20 ans car tout le monde se sera déconventionné ou partira à l’étranger », alerte la Dr Lechevalier. « Il faut se mobiliser car sinon nous aboutirons à un système où les patients ne pourront plus accéder aux soins », redoute Gaétan Casanova. À bon entendeur.