Dans la foulée du plan massif de revalorisation accordé à l'hôpital public cet été, les syndicats de médecins libéraux souhaitent que les négociations conventionnelles qui doivent s'ouvrir mi-septembre apportent des perspectives financières intéressantes, pour se remettre d'une crise sanitaire éprouvante.
Comme toute bonne série, le Ségur de la santé attendait sa saison 2. Après plusieurs semaines de discussions avec les représentants de l'hôpital, du médico-social et de la médecine de ville, le gouvernement a dévoilé le 21 juillet dernier une série de 33 mesures visant à accélérer la transformation du système de santé. Jugé trop hospitalo-centré dans son ensemble par les professionnels de ville, ce projet de réforme a laissé les médecins libéraux sur leur faim. Cette vaste concertation du monde médical a toutefois abouti à un volet dédié à la médecine ambulatoire, prévoyant notamment de renforcer la télémédecine et la coordination entre les professionnels. Les orientations du Ségur pour la ville ont cependant été renvoyées par le gouvernement à la tenue de nouvelles négociations avec l'Assurance maladie. À l'aube d'une rentrée perturbée par la reprise de l'épidémie de Covid-19, les représentants de la médecine de ville attendent donc leur tour, non sans impatience.
« Ce Ségur a été celui de l'hôpital, comme si la médecine libérale n'existait pas », confie, amère, le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF). Déçu de la tournure des événements, le syndicat et sa branche généraliste (UG) ont décidé de poursuivre la réflexion et d'engager un « autre Ségur », consacré à la médecine de ville, en lançant une consultation en ligne des généralistes (un second volet sera réservé aux praticiens des autres spécialités). De son côté, le président de MG France, le Dr Jacques Battistoni, salue la perspective de nouvelles négos, qui doivent débuter en septembre. « Nous demandions leur ouverture depuis le printemps et elles devenaient nécessaires et d'autant plus justifiées au fil de la crise du Covid », témoigne le généraliste.
Revalorisation des soins non programmés
Mais que prévoit exactement le Ségur pour les médecins généralistes ? Le gouvernement entend en premier lieu poursuivre le développement de la télémédecine. Olivier Véran a confirmé que la prise en charge à 100 % de la téléconsultation, mise en place pendant la crise, serait prolongée « le temps nécessaire » [elle est pour l'heure prévue jusqu'à fin 2020, NDLR]. Il a aussi appelé les partenaires conventionnels à s’emparer rapidement des sujets de la télé-expertise et de la télésurveillance. Le Ségur insiste également sur l'amélioration de l’accès aux soins non programmés, et suggère de s’appuyer sur le développement de l’exercice coordonné. Le gouvernement mise beaucoup sur la concrétisation du Service d’accès aux soins (SAS) et prévoit l’ouverture de la plateforme numérique d’ici la fin de l’année ainsi que le déploiement des premières expérimentations organisationnelles. Pour l'instant, la question du numéro unique d'appel santé n'a toutefois toujours pas été tranchée.
Le ministère de la Santé renvoie donc les médecins libéraux vers la négociation d’avenants conventionnels d’ici la fin 2020 et les choses commencent d'ores et déjà à se mettre en place. Le nouveau directeur de la Cnam, Thomas Fatome, a rencontré les présidents de syndicats un par un la semaine passée. Il y a quelques jours, le nouveau patron de l'Assurance maladie a également reçu de la part du ministre Olivier Véran une lettre de cadrage portant sur ces futures négos. Dans ce document de quatre pages, le ministère de la Santé confirme qu'il souhaite une implication plus forte des médecins libéraux dans les soins programmés et demande que son financement ne passe pas par une « évolution généralisée de la rémunération à l'acte directe ». « Je souhaite que soient trouvées des solutions de financement au résultat qui tiennent compte du service effectivement rendu aux usagers dans le cadre du SAS et des organisations mises en place au niveau des territoires », écrit Olivier Véran.
Révision de l'accord-cadre des CPTS
Le ministère de la Santé entend aussi renforcer « une plus grande coordination de l'ensemble des acteurs de soins » (hôpital, médecins de ville et médico-social). Dans ce cadre, Ségur veut accélérer le développement des CPTS sur le territoire « en simplifiant les modalités d'adhésion ». Il réclame que ces communautés territoriales préparent dorénavant « une réponse aux menaces et crises sanitaires graves » (avec un financement adapté). L'accord-cadre interprofessionnel (ACI) des CPTS devra donc être révisé. « Il faudra notamment rediscuter du montant alloué à la constitution des projets, valoriser les équipes de soins primaires, réduire les délais et simplifier les processus, encourager l'utilisation d'outils numériques pertinents », formule déjà le Dr Jacques Battistoni.
Les partenaires conventionnels sont également invités à assouplir la réglementation de la télémédecine, notamment la règle relative à l'obligation de consultation présentielle du médecin dans les douze mois précédents. De même, un patient devrait bientôt pouvoir accéder à une téléconsultation en recourant à des praticiens « hors territoire », « lorsque le besoin est légitime », précise la lettre de cadrage. Pour renforcer l'accès aux soins et leur continuité au domicile des patients en perte d'autonomie, le ministère de la Santé encourage une « incitation aux visites gériatriques des médecins libéraux ». Ce dernier point a particulièrement retenu l'attention du patron de MG France, qui réclame une revalorisation de la visite à domicile de longue date. « Sur les vingt millions de visites à domicile réalisées par an, seules 300 000 sont des visites longues (VL – 70 euros), rappelle le Dr Battistoni. Dans la perspective de la future loi sur la dépendance, il sera nécessaire d'élargir la possibilité de coter VL. Cela représente un gros investissement mais c'est là que nous mesurerons l'engagement du gouvernement pour la médecine générale », commente le président de MG France.
Dans sa lettre, Olivier Véran invite aussi l'Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux à « réduire les délais d'accès aux consultations spécialisées », et à revaloriser les actes de certaines spécialités (gynécologues médicaux, pédiatres et psychiatres notamment). Il demande enfin qu'un effort significatif soit fait pour améliorer la circulation des données de santé.
Négociations dès la mi-septembre
La balle est donc désormais dans le camp des syndicats et de la Cnam. Les dispositions prises lors du Ségur se traduiront par des négociations monoprofessionnelles d'une part – portant sur la participation des médecins au SAS, les outils numériques ou encore la revalorisation des visites à domicile – et interprofessionnelles d'autre part, pour faire évoluer l'accord-cadre des CPTS. Selon nos informations, les réunions doivent débuter mi-septembre avec pour objectif d'aboutir à des accords fin novembre afin de ne pas cogner avec les élections professionnelles programmées au printemps 2021 (le vote électronique se déroulera du 31 mars au 7 avril). Les discussions conventionnelles promettent d'être denses, tant le nombre de points à évoquer et les enjeux pour la médecine de ville sont importants. L'enveloppe mise sur la table par le gouvernement pour l'ambulatoire n'est pas encore connue mais les syndicats attendent des garanties fortes. Les discussions qui vont s'ouvrir constitueront un avant-goût des négociations de la prochaine convention médicale. L'accord actuel est effectif jusqu'à l'été 2021, mais il pourrait être prolongé de dix-huit mois par le ministère de la Santé afin que la future convention soit négociée après l'élection présidentielle d'avril 2022.