Le verdict est tombé jour pour jour dix ans après les faits. Maxime, alors interne de garde au service de chirurgie orthopédique et de traumatologie à l’Hôpital Nord (Hôpitaux universitaires de Marseille, AP-HM), en janvier 2014, a été reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à 15 mois d’emprisonnement avec sursis simple. Également mise en cause dans le décès de Jean Gataniou, 80 ans, à la suite d’un surdosage de morphine, l’infirmière a été condamnée à 24 mois d’emprisonnement avec sursis simple. Le parquet avait requis 18 mois avec sursis contre l’ancien interne et deux ans avec sursis contre l’infirmière.
En plus d’homicide involontaire, l’infirmière a été reconnue coupable « de détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables ». Et ce, pour avoir falsifié la prescription de l’époque, en ajoutant un zéro à côté des 5 mg de morphine. À ce titre, elle a été condamnée à payer 1000 euros de dommages et intérêts à l’interne de garde, qui s’était porté partie civile contre elle.
Dix fois la dose
Jean Gataniou était décédé après avoir reçu 50 mg de morphine, soit 5 ampoules de 10 mg, une dose létale. Ce patient avait été admis au service de médecine gériatrique pour une suspicion d’AVC. Le lendemain matin, il a chuté dans sa chambre et s’est luxé l’épaule. L’interne de garde avait été appelé en gériatrie alors qu’il opérait un autre patient, il s’est rendu dans l’autre service vers 18h30 pour procéder à la réduction de la luxation. Il a ensuite demandé à l’infirmière de lui préparer « 5 mg de morphine », selon son avocat, Me Philippe Carlini du barreau de Marseille. « Il n’avait aucune raison de suspecter que l'infirmière avait mis 5 ampoules de morphine dosées à 10 mg, donc 10 fois la dose, dans la seringue : on ne parle jamais en ampoule ou en sachet mais en mg », poursuit Me Carlini. Et d’expliquer que son client avait appris que le patient était mort, deux heures après qu’il soit intervenu et qu’il ait donné ses consignes. Me Hervé Ghevontian du barreau de Marseille, avocat de l’infirmière, ne souhaite pas réagir pour l’instant.
Prescription orale et notion d’urgence
À l’audience au tribunal correctionnel de Marseille, le 8 janvier, les débats ont notamment porté sur le caractère urgent de la prescription de morphine. Est-ce que cette prescription orale de morphine était possible compte tenu de l’urgence ou bien fallait-il une prescription écrite préalable ? « Le médecin soutient qu’il y avait une notion d’urgence, il fallait intervenir vite car le patient âgé et très faible par ailleurs souffrait de sa luxation depuis au moins 12 à 14h déjà, et régulariser la prescription après l’acte, comme on lui avait enseigné », explique son avocat qui a cité à la barre deux de ses anciens professeurs, les Prs Roch et Flécher, qui ne travaillent plus à l’AP-HM, pour témoigner en sa faveur.
Mais le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas urgence vitale, et donc obligation de rédiger la prescription par écrit et de manière préalable. En revanche, le tribunal a estimé qu’il ne s’agit pas d’une faute détachable du service. L’AP-HM n’était pas mise en cause dans cette affaire. « Pour nous, c’est une faute détachable du service », commente Me Olivier Rosato du barreau de Marseille, représentant des victimes, le fils et la fille du patient, qui avaient déposé plainte dans les jours suivant le décès. « On a toujours le temps de faire un écrit en amont avant de faire l’acte » ajoute Me Rosato, qui souhaite faire appel.
Dix ans d’épée de Damoclès
« Ça fait dix ans qu’il a cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête », souligne Me Carlini, avocat du médecin, qui est « toujours orthopédiste et exerce à l'hôpital ». « Il trouve ça profondément injuste, c’est très lourd », ajoute-t-il. « Il était étudiant quand ça s’est produit, on est très déçus qu’il soit jugé comme si c’était un professionnel diplômé alors même qu’il a le soutien de ses professeurs », poursuit-il. « Il est condamné avec ce qui est ressenti d’une grande sévérité. Il n’a pas eu l’impression de prendre des risques et que ce drame lui soit renvoyé de façon aussi violente, je ne trouve pas que ce soit un message très rassurant que la justice adresse au monde hospitalier et aux internes qui ont des missions vraiment difficiles dans les hôpitaux », ajoute son avocat. D’après le jugement du tribunal, cette condamnation ne sera pas inscrite dans le casier judiciaire de son client et donc il pourra continuer à exercer à l’hôpital public.
Justin Breysse, rhumatologue à l’hôpital public à Valence, était de son côté président du Syndicat des assistants et des internes des hôpitaux de Marseille (SAIHM), en 2017, lorsque cette affaire était en cours d’instruction. « Il ne faut pas occulter le contexte qu’il y a autour, le fait de se retrouver à gérer un patient le soir, en souffrance depuis le matin, dans une situation de surcharge de travail, en garde de 24 heures avec un personnel qui n’est pas très bien formé », explique cet ancien représentant, qui trouve « la peine très sévère ». « Les internes sont les roues de secours d’un hôpital public qui institutionnalise une situation de maltraitance », poursuit Justin Breysse. « Idem pour les infirmiers qui ont beaucoup de patients et de soins à faire par rapport aux effectifs mis en place et c’est ça qui entraîne les erreurs liés aux soins », ajoute-t-il. L’ancien président du SAIHM juge essentiel que les internes, quand ils sont face à une erreur médicale, puissent faire appel à leur syndicat, y compris pour pointer les manquement de l’institution hospitalière. « Peut-être que s’il y avait eu plus de défense syndicale pour pointer ces manquements à l’époque et les objectiver, ça aurait pu changer la décision de justice », ajoute-t-il. « Quand on travaille dans de telles conditions, il faut être soutenu sur le plan juridique ».
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