Sauf événement exceptionnel comme le 11 septembre, l’élection de Nicolas Sarkozy ou l’affaire DSK, c’est toujours le numéro le plus vendu de l'année. C’est dire à quel point le palmarès annuel des hôpitaux est devenu incontournable, à la fin du mois d’août. Si beaucoup s’y sont essayés, c’est la rédaction du « Point » qui dispose de la plus grande expertise. En 22 ans, l’équipe n’a pas changé.
De fait, Jérôme Vincent et François Malye, les deux journalistes à l’initiative du projet sont toujours aux commandes. C’est en 1997 dans les pages de « Sciences et Avenir » qu’ils publient leur premier palmarès. Initialement présenté comme la « liste noire » des hôpitaux, il prendra rapidement sa forme actuelle : le « top 50 » des meilleurs CHU, hôpitaux généraux et établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) d'un côté et celui des meilleures cliniques de l'autre.
En parallèle, des classements détaillés rangent les établissements par discipline. Cette année, surfant sur l'émoi suscité par le décès d'une jeune femme après un défaut de prise en charge par le SAMU de Strasbourg, les centres 15 de toute la France ont eu droit à leur propre tableau.
Seule la méthodologie a évolué au gré de l’informatisation et de l’accessibilité des bases de données médico-administratives. De quatre à l’origine, les journalistes passent au crible plus de 70 pathologies différentes aujourd’hui. Depuis cette année, même les meilleures maternités ont leur classement. Pour figurer au tableau d’honneur, les établissements doivent fournir un service complet dans les disciplines médicales et chirurgicales. Exit, donc, les établissements spécialisés qui apparaissent néanmoins dans les classements thématiques.
Fierté légitime
Comme il est toujours appréciable de recevoir une bonne note, les établissements les mieux classés ne sont pas avares de satisfecit et d'autopromotion. Témoin de « l'excellence des prises en charge proposées par les équipes médicales » pour le CHU de Montpellier ou fruit de « la politique d’investissement du groupe » pour Ramsay Générale de Santé, leader français de l’hospitalisation privée, chacun trouve son compte dans ce palmarès. « À Bordeaux, la direction et le personnel de l’hôpital sont même reçus par Juppé », s’amuse Jérôme Vincent. Côté usagers, le palmarès fait toujours réagir, car dans la foulée de la publication, vient le tour des sollicitations. « Bon an, mal an, nous recevons à chaque fois des tonnes d'appels et de courrier de lecteurs », raconte le journaliste.
Mais que se cache-t-il exactement derrière les lauriers ? Les classements ont-ils un effet sur la notoriété des hôpitaux ? Et leur fréquentation ? Pour Lamine Gharbi, à la tête de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), cela ne fait aucun doute car « c’est le propre de toutes les évaluations, quel que soit le secteur d’activité, d’entraîner des répercussions sur le terrain ». Le patron des cliniques en est persuadé : on ne peut nier l’impact des palmarès sur l’image de l’établissement auprès des professionnels de santé comme des patients.
Constat partagé par le Pr Sadek Beloucif, président du Syndicat national des médecins des hôpitaux publics (SNAM-HP). « Cela fait partie de la fierté légitime du médecin et (les classements journalistiques) participent de l’attractivité générale », reconnaît le chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Démocratie sanitaire
Attention tout de même aux effets pervers. « Les classements peuvent stigmatiser tel ou tel établissement », met en garde le Dr Patrick Gasser, président de la branche spécialiste de la CSMF, qui s'interroge aussi sur leur audience. « Je suis presque persuadé que les jeunes médecins ne regardent pas ces classements », avance-t-il.
Constat amusant, c’est dans les kiosques installés à l’intérieur même des hôpitaux que « Le Point » réalise ses meilleures ventes. « Ces classements ont sans doute une influence sur le choix des patients mais c’est une donnée parfaitement incalculable », affirme Jacques Trévidic, président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH).
Peu importe, répond Jérémie Sécher, son homologue du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), tant qu’on avance vers toujours plus de transparence ! « C’est une vraie démarche de démocratie sanitaire », se satisfait le patron des cadres hospitaliers avant d’ajouter : « la méthodologie est améliorable ». Pour lui, il manque une dimension liée à la pertinence des soins. « On ne peut pas se satisfaire du seul postulat qui consiste à dire que plus un établissement réalise un type d'acte, plus il est performant, il faut aussi se demander si ces actes sont justifiés », suggère-t-il.
Une aura et des biais
Si le palmarès peut satisfaire la curiosité du public – et des équipes hospitalières concernées –, il n’est pas véritablement considéré par les professionnels comme un indicateur pertinent et suffisant de la qualité des soins dans un établissement. Même le directeur du Centre hospitalier privé Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine) qui truste la première place depuis bientôt dix ans, l’assure : « Nous ne travaillons pas pour figurer au classement ». « Si le palmarès du "Point" donne une certaine aura, notre premier objectif en matière de qualité est la certification par la HAS (Haute autorité de santé, NDLR) », poursuit Nicolas Bioulou.
À l’inverse, son homologue du CH public du Cotentin (Manche), connu pour ses difficultés de recrutement, pointe la relative injustice de certains postulats méthodologiques. « Un des critères les plus valorisés dépend du nombre de patients originaires d’un autre département, or compte tenu de notre position géographique on est désavantagé », analyse Maxime Morin.
Ces imperfections sont explicables par la nature journalistique du palmarès (voir ci-dessous le défi méthodologique). « Nous avons travaillé en toute indépendance, sans aucun accord avec le ministère de la Santé, ni l’une de ses agences, ni avec quelque fédération professionnelle, syndicat, académie, société privée ou association du monde de la santé », peut-on lire en préambule de la notice.
S’il reconnaît la qualité du travail mené, Alain-Michel Ceretti, président de France Assos Santé estime que « cela devrait être une mission de l'État » (lire page 3). Un argument réfutable pour Frédéric Valletoux, président de la Fédération de l’hospitalisation française (FHF), qui tranche : « Je préfère que la presse fasse ces classements plutôt qu’une boîte privée ».