LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur la situation de l’hôpital public ?
MARIE-NOËLLE GERAIN-BREUZARD : Je constate de gros paradoxes. L’hôpital n’a jamais compté autant de postes médicaux alors que la réalité qui prédomine est celle du sous-effectif, en tout cas dans certaines spécialités très touchées comme la psychiatrie. Entre 2014 et 2024, l'effectif des praticiens hospitaliers a progressé de 13,5 %. En revanche, le CNG n’a pas de visibilité sur le nombre de praticiens contractuels, que nous ne gérons pas. Il est probable que la tendance soit à une diminution du nombre de titulaires et à une augmentation des contractuels. La décision prise d’encadrer davantage les contrats de type 2 [qui rémunèrent mieux les contractuels, NDLR] et le rappel de l’impossibilité d’être détaché sur contrat sont autant de mesures qui doivent permettre de rééquilibrer certaines tendances.
Quelles sont les évolutions que vous percevez ?
L’hôpital est une organisation très fortement percutée par l’évolution du rapport au travail. Il est traditionnellement un lieu de contrainte mais aussi un lieu de dévouement, de vocation, où l’on s’efface derrière celui qui souffre, où l’on déroule sa carrière et où l’évolution salariale est progressive.
Mais il est aussi une structure hiérarchisée, où les rapports sont souvent paradoxalement violents. Les valeurs portées par ce système sont confrontées à la recherche d’un meilleur équilibre entre vies privée et professionnelle. Quand je dirigeais le CHRU de Tours, j’ai signé un protocole de télétravail pour les médecins. J’entends que les Hospices civils de Lyon travaillent sur la semaine de quatre jours. Certains internes et praticiens sont prêts à badger pour faire respecter les bornes du temps de travail ! Les conflictualités parfois anciennes sont mises à jour et ébranlent les lignes hiérarchiques, ce qui était toléré ne l’est plus. La carrière se construit de manière plus mobile. Le nombre de praticiens en disponibilité, notamment chez les plus jeunes, a explosé.
En parallèle, les problématiques de démographie médicale ont démultiplié le recours aux praticiens à diplôme étranger. La multiculturalité n’est pas toujours évidente à gérer dans les établissements. Or, nous avons besoin de tout le monde. Les hôpitaux ont besoin que les praticiens travaillent ensemble et non les uns contre les autres.
Quel est le taux de vacance des PH ?
À l’échelle de la France métropolitaine, le taux de vacance des PH titulaires, toutes spécialités confondues, s’élève à 34,8 % au 1er janvier 2024 [contre 31,6% en 2021, NDLR]. Le Centre-Val de Loire a le taux de vacance le plus élevé (44,8 %), devant la Normandie (42,5 %) et la Bourgogne-Franche-Comté (40,8 %). Mais la situation la plus difficile est celle de la Guyane avec 68,6 % de postes de PH titulaires non pourvus. J’espère que la création du CHU de Guyane va permettre de renforcer l’attractivité.
Concernant les contractuels, nous déployons avec les ARS et les hôpitaux le logiciel Logimedh, outil partagé de recensement de l’ensemble des praticiens, titulaires ou non. Plus de 60 % des hôpitaux ont déployé Logimedh mais nous constatons que tous n’y intègrent pas encore leurs praticiens contractuels. La concurrence en matière de recrutement existe clairement dans l’univers pénurique de la santé. Partager avec le CNG et l’ARS une information exhaustive, c’est accepter la transparence.
Mutation, détachement, disponibilité, retraite… Les PH sont-ils suffisamment informés ?
Oui. Les chiffres en témoignent : + 15 % de détachement en dix ans, + 228 % de demande de disponibilité en dix ans. La retraite demeure la première cause de départ et l’âge moyen de départ est de 65,8 ans. Davantage d’attention devrait encore être portée aux secondes parties de carrière, surtout pour les métiers très sollicités comme les urgentistes, les anesthésistes et certaines spécialités chirurgicales. Inciter un urgentiste à devenir par exemple médecin du travail, ce n’est pas simple car cela ne lui parle pas toujours.
Être médecin et directeur d’établissement, est-ce aussi un levier d’attractivité ?
C’est un fait, les postes de management – président de la commission médicale d'établissement [PCME], chef de service, chef de pôle – attirent de moins en moins. Concernant la possibilité pour un médecin de devenir directeur, elle existe et est ouverte. Elle correspond à un vrai changement de métier. Je suis convaincue que le rôle du directeur est de défendre l’intérêt général. Il est légitime qu’un praticien priorise l’intérêt des patients qu’il prend en charge. On l’a bien vu dans les cellules de crise du Covid où directeurs et PCME ont dû souvent arbitrer entre les urgentistes, les infectiologues, les pneumologues et les autres spécialités.
Les postes de management attirent de moins en moins
Le CNG est chargé de l’organisation des épreuves de l’internat. Le cru 2024 a été marqué par une série de bugs. Qu’en sera-t-il en 2025 ?
J’espère que cela se passera bien. En 2025 comme en 2024, le CNG est mobilisé dans ce sens. Nous avons fait un retour d’expérience avec les doyens et nos prestataires informatiques. En plus des difficultés à recruter des gestionnaires et des informaticiens experts, ces épreuves représentent un gros volume de data à gérer. Tous les moyens sont mis en œuvre : l’informatique correspond à un gros tiers de notre budget global, de 43,36 millions d’euros en 2024. Le montant du budget informatique de la réforme du deuxième cycle avoisine les 10 millions d’euros. Nous sommes en train de produire des données statistiques aux doyens pour réfléchir à l’évolution des épreuves, notamment des examens cliniques objectifs structurés (Ecos). C’est une épreuve qui a démontré son intérêt mais elle est complexe à organiser pour près de 7 000 étudiants. Nous savons qu’elle a constitué une étape anxiogène pour les étudiants comme pour les examinateurs.
Si 56 % des PH sont des femmes, cette féminisation de la profession ne s’étend pas jusqu’aux postes à responsabilités. Que faire ?
Encourageons les femmes à sauter le pas ! À notre niveau, nous sensibilisons les ARS, les PCME et les directeurs aux biais de recrutement. Je rappelle que les hommes occupent principalement les derniers échelons de la grille salariale (du 10e au 13e) quand les femmes sont majoritaires du 1er au 4e échelon. Nous attendons sur ce sujet les résultats d’une étude menée en 2024 par le Pr Olivier Claris sur la féminisation des emplois HU par spécialité. La loi 2023 sur la féminisation des métiers à responsabilités, qui a aussi embarqué les chefs de service et chefs de pôle, est quasiment respectée dans les centres hospitaliers, mais il reste des efforts à réaliser dans les CHU.
La France compte 18 000 praticiens diplômés hors UE (Padhue). Pour ces médecins, le nouveau statut Pact est-il une avancée ou un recul ?
C’est une avancée pour les praticiens qui exercent déjà dans les établissements français et dont le maintien sur le territoire risquerait d’être menacé. Mais ce n’est pas un statut dans lequel on s’installe [il est ouvert pour 26 mois maximum, NDLR]. Nous devons accompagner les Padhue avec discernement, intelligence et humanité. Les hôpitaux doivent se sentir responsables de la carrière de ces professionnels. Mais il nous faut être également vigilants sur la qualité et la sécurité des soins.
Le CNG a-t-il assez de moyens pour gérer les dossiers d’intégration des Padhue qui s’accumulent ?
Le turnover des agents du CNG reste important (25 % par an), même si nous enregistrons en 2024 davantage d’arrivées que de départs. Le bureau d’autorisations d’exercice compte huit personnes, dont trois arrivées l’année dernière. Ils ont beaucoup de travail. Leur mission ne se résume pas à de la gestion administrative ! Il nous faut répondre aux attentes des élus qui réclament des médecins pour leur territoire, mais aussi aux Padhue qui, angoissés, nous sollicitent très fréquemment. Je ne sais pas encore dans quelle mesure la création du statut Pact va générer une charge de travail, mais nous nous adapterons. Quant au concours des EVC, la DGOS [ministère de la Santé] a entamé un cycle de négociations avec les syndicats de Padhue, les Ordres, les fédérations, les doyens et les PCME. Le CNG y est associé. Cette concertation permet d’échanger sur les épreuves différenciées entre les Padhue internes (qui travaillent déjà en France) et externes. Elles pourraient se présenter sous la forme de QCM pour les premiers.
Les hôpitaux doivent se sentir responsables de la carrière des Padhue
Vous avez recensé 900 cas de violences sexistes et sexuelles (VSS) en trois ans parmi les directeurs d’hôpital…
Nous avons besoin de remettre de la parole dans les établissements. Il faut se saisir de ces situations très en amont par de la conciliation, de la médiation, l’accompagnement individuel des professionnels concernés. Mais il ne faut pas non plus que le harcèlement et les VSS deviennent des véhicules pour se débarrasser de tel ou tel manager. Il arrive que des équipes médicales se coalisent contre leur chef, quitte à mettre leur démission dans la balance. C’est très difficile à gérer pour la gouvernance d’un établissement. Le rôle du CNG est aussi d’aider les gouvernances dans ces situations complexes avant qu’elles ne se traitent en disciplinaire.
Repères
1987
Diplômée de l’École des hautes études en santé publique (EHESP)
2011
Directrice du centre hospitalier intercommunal (CHI) de Créteil
2014
DG du CHRU de Tours
2020
Présidente de la conférence des DG de CHU
Mars 2023
Directrice générale du CNG (pour trois ans)
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