LE QUOTIDIEN - 2012 a été marquée par les mésaventures du CHU de Caen, qui a interrompu le paiement de ses fournisseurs. Comment se portent les CHU financièrement ?
PHILIPPE DOMY - La situation du CHU de Caen est spécifique. Une tendance se dessine au plan national, avec une réduction significative des déficits de clôture. Fin 2012, les deux tiers environ des CHU étaient à l’équilibre (un tiers fin 2011). C’est la preuve que les CHU ont fait de gros efforts. Les CHU doivent continuer à investir, mais les banques leur prêtent moins. L’émission obligataire lancée par 16 CHU en juillet 2012 a subi des avatars, elle n’a été réalisée qu’en février 2013. L’objectif était de lever 228 millions d’euros. Le retard pris a une traduction concrète sur le terrain. Au CHU de Montpellier, nous avons reporté l’achat d’équipements pour maintenir le paiement régulier des salaires.
Les CHU doivent également retrouver de la trésorerie. Ce n’est pas simple : à Montpellier, la BNP a quitté la place en un mois de temps. Nous avons retrouvé une ligne de trésorerie quatre fois plus faible qu’auparavant. La baisse tarifaire de -1,7 % annoncée va pénaliser les CHU. Celui de Montpellier, très éclaté, va devoir abandonner des sites et regrouper des activités. Ce qui suppose d’investir. Or pour investir, il faut dégager des marges d’exploitation. Nous sommes donc tenus d’agir sur l’emploi : à Montpellier, le contrat de performance se solde par 300 suppressions d’emplois. Il faut aussi agir aussi sur la productivité en intégrant le développement de l’ambulatoire, profondément restructurant.
Marisol Touraine demande aux CHU d’animer l’offre de soins sur le territoire. Comment cela se traduit-il sur le terrain ?
Les CHU coopèrent déjà avec les hôpitaux généraux, via la mise à place de postes partagés médicaux et l’organisation de filières. Le CHU de Nîmes a fait une CHT [communauté hospitalière de territoire] sur l’ensemble du Gard qui fonctionne bien. Il faut aller plus loin et développer des coopérations public privé. À Montpellier par exemple, un GCS [groupement de coopération sanitaire] de droit privé permet aux cardiologues interventionnels de trois cliniques de venir au CHU implanter des valves cardiaques percutanées. Chaque situation locale appelle des solutions inventives.
Ce qui peut poser problème, ce sont les liens avec la médecine de ville dans les territoires ruraux. Un maire d’une ville moyenne de mon département m’a prévenu qu’il ne trouve personne pour remplacer deux généralistes partant en retraite. Nous allons envisager avec l’hôpital local des consultations avancées de médecine interne ou polyvalente. Nous envoyons déjà des spécialistes faire des consultations avancées au CH de Millau. Ce phénomène gagnant, on commence à saturer les possibilités de réponse. Le CHU n’est pas dans une situation de pouvoir suppléer toutes les carences de la démographie médicale de la région.
Faut-il à vos yeux encadrer davantage la liberté d’installation ?
La liberté d’installation a des limites. Je ne dis pas qu’il faille l’abolir. Il faut des mesures incitatives pour supprimer les zones blanches. Si ces mesures s’avèrent insuffisantes, alors il faut instituer l’obligation d’un service à rendre en échange de la formation reçue.
Quid des dépassements d’honoraires à l’hôpital ? Qu’attendez-vous de la mission confiée à Dominique Laurent ?
Des solutions concrètes ! La Conférence des DG de CHU demande l’inscription dans les contrats d’activité libérale d’une clause de non-concurrence, ainsi que l’encaissement des honoraires via la caisse de l’hôpital. Nous souhaitons que la présidence de la commission de l’activité libérale soit confiée à un non-médecin. Et nous demandons le plafonnement du revenu tiré de l’activité libérale. Peu importe la hauteur de ce plafonnement. L’enjeu, c’est de faire accepter le principe. L’activité libérale est utile, elle ne peut être critiquée dans 98 % des cas. Mais en cas de dérapage, toute l’image de l’établissement est ternie. Au CHU de Montpellier, un seul médecin dérape, sur 45 qui ont une activité libérale, et 1 300 médecins en tout. J’ai saisi la commission de l’activité libérale, l’ARS. Pas de réponse! Il faut éradiquer ces situations une bonne fois pour toutes.
Le rapport Couty formulera des propositions en matière de gouvernance hospitalière. Accepteriez-vous que la CME devienne co-décisionnaire sur le budget et les nominations médicales ?
La gouvernance ne peut être déconnectée des autres thématiques du rapport Couty. Au préalable, il faut décloisonner le sanitaire et le médicosocial, raisonner en terme de parcours, remettre le service public en selle et l’hôpital à sa juste place. En matière de gouvernance, je n’ai pas le sentiment que la CME ait perdu en prérogative. À la tête de la politique qualité et la sécurité, elle a son mot à dire sur l’ensemble du fonctionnement de l’hôpital. La loi HPST, les pôles, la délégation de gestion : cela marche. Les codécisions à l’hôpital, cela n’existe pas. Qui dit codécision, dit coresponsabilité. Il y a un seul responsable, le directeur, qui assume administrativement, civilement, pénalement. Si le rapport Couty visait à revenir à la situation antérieure, on n’aurait pas progressé d’un pouce.
Dans de nombreux hôpitaux, cela chauffe aux urgences. Par manque de moyens ?
Les urgences sont le secteur de l’hôpital qui a connu la plus forte progression de moyens. Il faut arriver à créer une filière de prise en charge des soins non programmés autre que les urgences. La réponse apportée ne doit pas se limiter à l’univers hospitalier. À l’intérieur même de l’hôpital, chacun doit se sentir concerné. Cela implique une révolution culturelle. La première chose à organiser, c’est l’accueil des urgences. À Montpellier, je demande aux chefs de service de garder une part de lits vides pour les urgences. Cela suppose de programmer en conséquence les activités sur rendez-vous. Nous y parvenons avec des fortunes diverses...
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