Écartés par les pouvoirs publics de l’organisation des soins pour faire face à l’épidémie de coronavirus au printemps dernier, les médecins généralistes sont pleinement attendus pour affronter la deuxième vague, qui s’annonce au moins aussi violente que la première. Les autorités comptent notamment sur eux pour suivre à domicile des patients oxygéno-requérants. L’expérience aidant, ils semblent davantage armés pour prendre en charge des patients au cabinet et participer au dépistage. Ce qui ne veut pas dire que la profession n’appréhende pas cette épreuve.
La profession a tiré les enseignements de la première vague de l’épidémie de coronavirus qui a frappé le pays au printemps, et affronte la deuxième avec davantage de sérénité. Beaucoup de choses ont changé en six mois. La maladie commence à être un peu mieux connue, la profession dispose dorénavant des équipements de protection nécessaires et les patients sont devenus familiers des gestes barrières.
Le contexte politique est aussi radicalement différent. Contrairement à ce qui s’était passé en mars dernier, les autorités sanitaires ont résolument décidé de s’appuyer sur la médecine de ville. Qu’il semble loin, ce 23 mars où Édouard Philippe, alors Premier ministre, expliquait sur TF1 que les Français ne devaient consulter que pour « les soins urgents ou les soins qui répondent à la convocation d’un médecin » ! Aujourd’hui, les patients sont appelés à ne surtout pas modifier le suivi habituel de leurs pathologies, et à se rendre chez leur généraliste (ou à recourir à la téléconsultation) aussi souvent qu’ils l’estiment nécessaire.
La médecine générale intégrée à la réponse Covid
Mieux : les cabinets de médecine générale sont aujourd’hui pleinement intégrés à la réponse contre le Covid-19. Le 5 novembre dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran a souligné que, cette fois-ci, « chaque composante du système de soins (a) un rôle entier à jouer pour préserver les services hospitaliers », insistant sur le fait que les malades avec « des formes peu sévères (peuvent) être suivis en ville ». Lors de cette conférence de presse, une organisation modèle de prise en charge des cas de Covid-19 reposant sur l’articulation ville-hôpital et mise en œuvre dans le Val-d’Oise a été présentée : les patients y sont suivis via une application numérique par des équipes mobiles de médecins et infirmiers libéraux, en partenariat avec les praticiens hospitaliers. La HAS a actualisé ses recommandations de prise en charge en ville et a même prévu les modalités de suivi en ville de patients oxygéno-requérants.
« Il est essentiel de conserver les capacités hospitalières pour les cas Covid-19 les plus lourds, sans remettre en cause la prise en charge prioritaire d’autres patients non infectés, affirme la DGOS (ministère de la Santé), qui a présenté mardi des recommandations pour améliorer l’organisation des soins dans le contexte épidémique. Le rôle des professionnels de ville est primordial pour à la fois limiter la transmission virale au sein de la population, abaisser la pression sur le secteur hospitalier et permettre la continuité des dépistages et traitements nécessaires. »
Ces dernières semaines, les patients n’ont pas déserté les cabinets médicaux comme au printemps. Une chute d’activité drastique avait alors été observée chez les médecins généralistes. Rappelons que selon les chiffres du ministère de la Santé, 9 médecins sur 10 déclaraient mi-avril un temps de travail hebdomadaire inférieur à celui d’une semaine ordinaire, et 5 sur 10 estimaient que cette baisse était supérieure à 10 heures. Rien à voir avec la situation qui prévaut aujourd’hui. « De manière générale, l’impression est que les médecins ont su s’organiser pour accueillir à la fois les patients Covid et leurs patients habituels », résume ainsi Alexandre Grenier, directeur de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) « médecins » d’Île-de-France.
Les cabinets se sont organisés
La disponibilité des équipements de protection, à commencer par les masques, permet d’entrevoir une autre organisation que celle du printemps, qui avait vu fleurir dans l’Hexagone des centres Covid pilotés par des professionnels de santé libéraux. « On n’est plus dans la situation de la première vague où certains cabinets ont fermé, faute de moyens de protection », explique le responsable francilien. « On a pris des précautions, on a fait des réserves avec du matériel de qualité », confirme le Dr Georges Siavellis, membre du bureau de l’URPS et généraliste à Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis. Celui-ci estime avoir des stocks pour faire face pendant un ou deux mois. Au-delà, tout dépendra des conditions auxquelles il sera possible de s’approvisionner sur le marché. « Les médecins de notre région ne constatent pas de pénurie à ce jour, mais ils voient que certains produits sont en tension et sont angoissés à l’idée de ruptures de stock », détaille Caroline De Pauw, directrice de l’URPS Hauts-de-France.
Les médecins généralistes ont aussi modifié la gestion de leurs rendez-vous. « Dans notre région, tous ceux qui avaient des créneaux sans rendez-vous les ont supprimés », note Caroline De Pauw. La Lilloise remarque également que les généralistes de sa région disent faire davantage attention à ne pas prendre de retard dans leurs consultations, de façon à ce que les salles d’attente ne se remplissent pas. Et, bien sûr, les praticiens sont aujourd’hui bien plus nombreux à utiliser la téléconsultation, même si le recours semble moins massif que lors de la première vague de Covid-19.
« La téléconsultation a connu un pic au printemps (jusqu’à un million d’actes par semaine, ndlr), et elle est aujourd’hui moins utilisée, constate Alexandre Grenier. Les médecins se sont organisés pour que la sécurité soit au rendez-vous, et parviennent à voir beaucoup de patients en consultation physique. » Même constat dans les Hauts-de-France. « Le recours à la téléconsultation est moins important que lors de la première vague », note Caroline De Pauw. Elle ajoute par ailleurs que les généralistes septentrionaux se réjouissent que la téléconsultation par téléphone soit de nouveau autorisée et prise en charge à 100 %. « C’est important pour certains patients ayant des difficultés avec l’outil numérique ou des problèmes de réseau », indique la directrice de l’URPS Hauts-de-France.
Des professionnels de santé au bord de l’épuisement
Reste une question : au terme d’une première vague éprouvante, les généralistes ont-ils aussi appris à s’économiser ? Pas sûr. Difficile dans ce contexte particulier de songer à préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et de nombreux professionnels déjà éprouvés par la crise au printemps seraient au bord de l’épuisement… « Quand on connaît le taux de souffrance et le risque de passage à l’acte dans la profession, il est permis de s’interroger, mais je n’ai à ce jour pas d’élément pour affirmer que les généralistes ont modifié leur pratique en conséquence », note Caroline De Pauw. Elle a en revanche quelques indices, et ils ne sont pas très encourageants.
« Il y a des professionnels qui ont décidé d’avancer leur départ en retraite pour prendre soin d’eux, révèle-t-elle. Beaucoup ont été marqués en voyant la liste des critères de vulnérabilité au coronavirus et en réalisant qu’ils faisaient partie des personnes à risque. » Même constat en Île-de-France. « On aura probablement un effet déclencheur sur les départs en retraite à la fin de l’année », craint Alexandre Grenier. Georges Siavellis confirme. « Je suis un retraité actif, et la question se pose de savoir si cela vaut la peine de continuer à prendre des risques… on en a déjà pris énormément », soupire le généraliste.