Monsieur H., âgé de 64 ans, consulte après la découverte, voici quelques mois, en se rasant un matin, d'une tuméfaction située en avant du lobule de l'oreille (photographies 1 et 2). Il a négligé cette tuméfaction durant 4 à 6 mois, mais devant l'augmentation progressive, bien que lente et indolore, de son volume, il se décide enfin à venir vous consulter. Mr H. est cadre commercial dans une grande surface, fume un paquet de cigarettes par jour depuis 30 ans, et vous le suivez déjà pour une HTA, une hypercholestérolémie, un léger diabète. Il est en surcharge pondérale : 1 m 80 et 97 kg. Il ne fait pas de sport.
DIAGNOSTIC TOPOGRAPHIQUE
La topographie de cette lésion est typiquement parotidienne.
→ La région parotidienne est une des régions anatomiques de la face (et non du cou), en forme de prisme, à base latérale et à sommet médial, comprenant trois parois : une paroi externe d'examen clinique, une paroi antérieure et une paroi postérieure. Ses limites (1) sont les suivantes :
– La paroi externe se projette sur la dépression située entre le bord postérieur de la branche de la mandibule en avant et le tragus de l'oreille en arrière. La limite inférieure (qui permet de distinguer une lésion parotidienne d'une lésion cervicale) est une ligne horizontale prolongeant le bord inférieur du corps de la mandibule.
– La paroi postérieure est constituée par le diaphragme stylien, c'est-à-dire l'ensemble des structures musculaires et ligamentaires s'insérant en haut sur la base du crâne et séparant les espaces postérieurs (où passent l'artère carotide interne et la veine jugulaire interne) des espaces intermédiaires profonds de la face.
– La paroi antérieure est formée par la branche de la mandibule, doublée en dehors par le muscle masséter et en dedans par le muscle ptérygoïdien médial (c'est-à-dire les muscles masticateurs).
→ Toute lésion développée dans la zone de projection de la paroi externe de la région parotidienne doit être considérée a priori comme une tumeur de la glande parotide. Pourquoi ? Parce que le contenu de la région parotidienne comprend la glande parotide avec son canal excréteur : le conduit parotidien ou canal de Sténon, le nerf facial, un plexus veineux et l'artère carotide externe, le nerf auriculo-temporal et des ganglions parotidiens. Les tumeurs des structures vasculaires et nerveuses étant très exceptionnelles, une tumeur de cette région ne peut être, jusqu'à preuve du contraire, qu'une tumeur de la glande parotide, cas de loin le plus fréquent ou une adénopathie de la région parotidienne. Ainsi, c'est bien ce diagnostic que les photographies 1 et 2 permettent a priori de fortement suspecter.
→ À noter que les ganglions parotidiens drainent essentiellement le cuir chevelu : il convient de regarder avec attention la région cutanée du cuir chevelu, à la recherche d'une lésion dermatologique maligne, notamment d'un mélanome du cuir chevelu.
QUELS SIGNES ASSOCIÉS RECHERCHER ?
Devant toute tumeur de la glande parotide, il convient de rechercher six signes cliniques qui feront évoquer la malignité. Si l'un de ces signes est présent, celle-ci doit être fortement suspectée. La tumeur peut néanmoins être maligne sans ces manifestations.
→ Il faut rechercher :
Une augmentation rapide de volume. Les tumeurs bénignes de la glande parotide, notamment l'adénome pléomorphe, sont à croissance lente.
Des douleurs de la région parotidienne. Les tumeurs bénignes sont indolores, même à la palpation. La présence de douleurs au niveau de la tumeur est très évocatrice de malignité, notamment de carcinome adénoïde kystique qui se caractérise par la fréquence de l'envahissement périneural.
Une fixité par rapport aux plans cutanés. Il suffit de mobiliser la peau en regard de la lésion. Celle-ci est mobile au contact de toutes les tumeurs bénignes. Une adhérence, une fixité de la peau en regard de la tumeur est le signe d'un envahissement cutané, de malignité.
Une fixité par rapport aux plans profonds. Elle est plus difficile à établir, car si la tumeur est volumineuse, elle est enchâssée entre la mastoïde en arrière et la mandibule en avant et dès lors peu mobile. Pour tester cette mobilité, il faut prendre la tumeur entre pouce et index et la mobiliser d'arrière en avant, et de haut en bas. Une fixité signe généralement la malignité.
→ Mais les manifestations les plus importantes de malignité, à rechercher impérativement, sont :
Une paralysie faciale périphérique. Elle affecte le plus souvent un secteur de la motricité faciale, supérieur ou inférieur. Elle signe l'envahissement tumoral malin d'une branche particulière du nerf facial en regard de la tumeur. Bien entendu, si la tumeur maligne se développe au contact et envahit le tronc du nerf facial, la paralysie faciale peut être à la fois supérieure et inférieure. Cette paralysie peut être totale ou partielle. Il faut donc étudier avec précision la mobilité de la face, secteur par secteur. à l'inverse, il faut toujours palper la région parotidienne devant l'apparition d'une paralysie faciale périphérique (et regarder le tympan à la recherche d'un cholestéatome de l'oreille moyenne).
Une adénopathie cervicale dure satellite : la présence d'une adénopathie cervicale dure est pathognomonique de métastase ganglionnaire cervicale. L'adénopathie est le plus souvent de siège rétro-angulo-maxillaire, homolatérale à la tumeur parotidienne. La découverte d'une métastase pulmonaire, cérébrale ou osseuse est beaucoup plus rare.
Monsieur H. présente une tumeur ferme mais non dure, sans adénopathie satellite, indolore et bien mobile par rapport au plan profond et au plan cutané, sans aucune paralysie faciale.
QUELS EXAMENS COMPLÉMENTAIRES ?
Devant une tumeur de la glande parotide, il est inutile de faire réaliser une échographie de la région parotidienne ou de la région cervico-faciale, ou un examen tomodensitométrique avec ou sans injection, pas assez informatifs.
L'examen clinique que nous venons de décrire suffit à évoquer l'existence d'une tumeur de la région parotidienne. Il conduit donc directement aux investigations suivantes.
→ Deux examens seulement seront informatifs : une IRM de la région parotidienne (photos 3 à 6) et une analyse cytologique réalisée après une ponction de la tumeur parotidienne à l'aiguille fine, au mieux réalisée sous guidage échographique.
Il faut toujours demander en premier l'IRM de la région parotidienne, car une ponction peut entraîner des modifications du signal IRM et conduire à des difficultés d'interprétation de cet examen morphologique.
→ L'IRM est l'examen clé. Les séquences conventionnelles à pratiquer devant une tumeur de la glande parotide sont les séquences en écho de spin T1, T2 et T1 après injection de gadolinium, complétées par une séquence de diffusion avec mesure du coefficient ADC (apparent diffusion coefficient), et une séquence de perfusion avec obtention d'une courbe de rehaussement lésionnel qui permet d'évoquer la nature bénigne ou maligne d'une tumeur parotidienne. Il est important de demander au radiologue l'ensemble de ces séquences, car un examen IRM incomplet conduira nécessairement à les effectuer avant l'étape thérapeutique.
→ L'examen cytologique réalisé après une ponction de la tumeur parotidienne doit être actuellement effectué sous échographie afin de s'assurer du site exact de la lésion au moment de la ponction. Sa sensibilité et sa spécificité varient respectivement entre 85- 99 % et 96-100 % selon les études. Il ne peut être effectué que par des cytologistes habitués aux tumeurs parotidiennes. Il est préférable de laisser le chirurgien ORL et cervico-facial demander cette cytologie dans le centre de référence avec lequel il travaille.
→ Ainsi, le généraliste doit essentiellement demander une IRM de la région parotidienne, comprenant l'ensemble des séquences utiles. Le radiologue affirmera la nature parotidienne de la lésion, caractérisera la tumeur en “tumeur bénigne” ou “tumeur maligne” et proposera une approche diagnostique de sa nature anatomopathologique. Dès lors, un avis spécialisé s'impose : une consultation auprès d'un ORL chirurgical habitué à la chirurgie de la loge parotidienne.
→ L'aspect d'un adénome pléomorphe est celui d'une tumeur bien limitée, encapsulée, avec un aspect lobulé caractéristique, en hyposignal T1 (photographie 3), hypersignal T2 (photographie 4), se rehaussant de façon homogène après injection de gadolinium (photographie 5). La séquence de diffusion avec mesure du coefficient ADC (apparent diffusion coefficient) et la séquence de perfusion avec obtention d'une courbe de rehaussement lésionnel permettent d'orienter vers une lésion bénigne (photographies 6A et 6B).
L'ensemble du bilan complémentaire (IRM et cytologie) est en faveur d'un adénome pléomorphe de la glande parotide.
LE TRAITEMENT DE L'ADÉNOME PLÉOMORPHE
L'adénome pléomorphe de la glande parotide, composé de cellules épithéliales et myoépithéliales au sein d'un stroma, est la plus fréquente des tumeurs des glandes salivaires. Elle représente au moins 60 % des tumeurs de la glande parotide (30 % des tumeurs des glandes submandibulaires). Elle touche surtout les femmes (sex-ratio 1/1,4) entre 40 et 60 ans. La tumeur est ferme, mais non dure, arrondie, indolore, évolue lentement sans signe de malignité (1).
→ Le traitement de l'adénome pléomorphe est chirurgical, du fait de la double menace évolutive d'augmentation de volume et de cancérisation. Le risque de cancer est estimé entre 5 et 7 %.
→ L'incision est pré et sous-auriculaire. La dissection débute par le repérage du tronc du nerf facial avant son entrée dans la glande, nerf facial qui est progressivement suivi et respecté en réalisant le geste de parotidectomie.
→ Les deux risques principaux sont la paralysie faciale post-opératoire, le plus souvent transitoire mais parfois définitive, liée à une sidération du nerf facial lors de sa dissection, et le syndrome de Frey. Le risque de paralysie faciale périphérique transitoire est estimé dans la littérature à 18 % en moyenne, celui de paralysie faciale définitive à moins de 1 %. Le syndrome de Frey se manifeste par une sudation per-prandiale dans la zone de projection de la paroi externe de la loge parotidienne ; il apparaît quelques semaines à quelques mois après la cicatrisation et le risque de son apparition est voisin de 10 %.
→ La surveillance d'un patient opéré d'adénome pléomorphe de la glande parotide est d'au moins 10 ans, du fait du risque de récidive tardive.
Bibliographie
1- Pierre Bonfils. Le Livre de l'interne – ORL. Éditions Lavoisier, 2e édition, 2017, p. 605-619.
2- Pierre Bonfils, Jean-Marc Chevallier. Anatomie ORL, tome 3, Éditions Lavoisier, 3e édition, 2011,p. 252-291.
Liens d'intérêts
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatifs au contenu de cet article.
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