En France, en l’absence de système de déclaration obligatoire des accidents médicaux auprès d’un organisme officiel centralisateur qui pourrait fournir des statistiques nationales globales, nous devons nous tourner vers les rapports d’activité des assureurs des praticiens et particulièrement vers ceux du principal d’entre eux, la MACSF*. Publiés depuis plus de trente ans, ces rapports donnent une vision sur une longue période. Il convient cependant de se limiter aux dernières années, tant les techniques médicales et les données juridiques ont évolué pendant cette période. Parmi les différentes données issues de ces dossiers, la sinistralité correspond à un indicateur important.
La sinistralité est le nombre d’accidents médicaux déclarés par les spécialistes (y compris la médecine générale) concernés pendant une année, rapportée au nombre d’assurés. Pour l’ensemble des praticiens affiliés à cette assurance, la sinistralité est passée de 0,8 accident déclaré pour 100 médecins en 1985 à 2 en 2000, pour diminuer depuis. Elle était de 1,58 % en 2018. L’évolution du nombre de déclarations de sinistres en médecine générale est un peu différente (graphique 1). En médecine générale, la sinistralité reste inférieure à celle de l’ensemble des praticiens (graphique 2).
COMMENT UN GÉNÉRALISTE PEUT-IL ÊTRE POURSUIVI
Le patient s’estimant victime d’un dommage associé aux soins dispose du choix entre l’accepter comme un accident malheureux et rechercher la responsabilité de celui qu’il considère comme étant son auteur. Il reste difficile de mesurer la proportion de victimes mettant en œuvre une action car le nombre d’accidents survenant chaque année n’est pas bien connu. Une fois l’action décidée, le patient devra choisir entre une demande indemnitaire et une demande de sanction, selon ses propres priorités. Même si les deux types d’action sont cumulables, cela est plutôt rare en pratique.
Les demandes indemnitaires (amiables, CCI et civiles) seront gérées par l’assureur du praticien (ou de l’établissement s’il est salarié) et pourront conduire au versement d’une indemnisation par cet assureur.
Les demandes de sanction (ordinale ou pénale) concernent le praticien lui-même, qui pourrait être condamné personnellement. Son assureur a alors pour rôle d’organiser et de financer sa défense.
→ À noter que le mode de réclamation a évolué dans le temps, l’arrivée en 2003 des Commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) ayant bouleversé le paysage de la responsabilité médicale en créant un nouveau mode de règlement des litiges (graphique 3).
→ Par ailleurs, depuis quelques années, nous observons un net recul des procédures destinées à sanctionner les praticiens (pénal + ordinal) au profit des procédures exclusivement indemnitaires, qui vont plus impacter les assureurs. L’issue des procédures indemnitaires est de plus en plus défavorable aux professionnels de santé poursuivis (et donc à leur assureur), passant de 33 % au début des années 1980 à plus de 60 % aujourd’hui, les experts et les juges étant de plus en plus exigeants tant en termes d’information des patients que de qualité des soins.
REPROCHES ET GRIEFS
Pour pouvoir prévenir ces réclamations et donc d’éventuelles plaintes des patients, il est nécessaire de savoir sur quoi elles portent.
Le retard de diagnostic
En médecine générale, le retard de diagnostic constitue un des premiers griefs mettant en cause la responsabilité du praticien. Ce qui n’est pas étonnant, les médecins de premier recours étant justement là pour poser le premier diagnostic.
Rappelons que l’erreur de diagnostic ne constitue pas nécessairement une faute, le praticien étant chargé de mettre en œuvre les moyens adaptés aux cas se présentant à lui, et de bien savoir analyser les éléments (cliniques et paracliniques) recueillis. Faire appel rapidement à un confrère spécialiste de la pathologie découverte constitue toujours un élément positif dans les procédures. La vitesse d’évolution de la pathologie ainsi que l’efficacité des traitements disponibles serviront pour déterminer le préjudice provoqué par le retard de diagnostic. Dans les procédures indemnitaires, la spécialité de l’expert désigné par le tribunal (ou la CCI) peut avoir une grande importance sur l’appréciation de la qualité des soins délivrés et il s’agit en réalité rarement de médecins généralistes.
Parmi les diagnostics donnant lieu au plus grand nombre de réclamations : les cancers et autres tumeurs (broncho-pulmonaires, digestifs, sein et gynécologiques, ORL, osseux, prostate…), les pathologies cardio-vasculaires et neurologiques, les traumatismes (adultes et enfants), les urgences abdomino-pelviennes, les infections.
♦ La bonne coordination des investigations et de l’analyse de leurs résultats constitue une clé de la réussite diagnostique.
Les erreurs médicamenteuses et la iatrogénie
La deuxième catégorie concerne la iatrogénie médicamenteuse. Les médecins généralistes sont ici poursuivis en tant que prescripteurs des traitements incriminés et il pourrait leur être reproché une erreur médicamenteuse (défaut d’information sur les risques du produit choisi, mauvaise réaction lors de la survenue de la complication, etc.). L’information sur les risques d’effets secondaires de chaque traitement prescrit reste un exercice difficile, bien plus complexe que l’information sur un acte technique qui est mieux cerné.
♦ Ce qui est attendu des praticiens est de faire passer l’information aux patients que tout traitement médicamenteux peut provoquer des effets indésirables, que ceux-ci sont rares (par rapport au bénéfice escompté), le plus souvent peu graves et régressifs. S’il y a un effet indésirable particulièrement redouté du traitement prescrit, il est alors nécessaire de le mentionner explicitement, de même pour une précaution d’emploi majeure (comme en cas de grossesse). Enfin, il est nécessaire de rappeler au patient qu’en cas d’effet anormal, il doit alors reconsulter en urgence.
Les traitements les plus souvent incriminés sont des antibiotiques, des vaccins, des antiépileptiques, des AINS, des contraceptifs…
En cas de litige, il sera tenu compte de l’état des connaissances médicales au jour de la prescription, ce point pouvant être source de vives controverses.
Le défaut de prise en charge
Le défaut de prise en charge remplit une troisième catégorie très importante parmi les griefs de plaintes recensées.
Il peut concerner des cancers (le généraliste étant consulté alors qu’il n’a pas engagé la prise en charge), des pathologies cardiovasculaires (avec un nombre important de décès associés à un retard de prise en charge, à une gestion hasardeuse des anticoagulants), le suivi de grossesse (le médecin généraliste étant mis en cause avec toute l’équipe obstétricale). Il peut également concerner la neurologie (AVC, compression médullaire, fracture vertébrale…), l’ophtalmologie (endophtalmie, cécité brutale), la rhumatologie (traitement de lombosciatique, suites d’infiltration), des traumatismes (essentiellement main et poignet, mais aussi pied et genou, coude, syndrome des loges, avec des situations plus sensibles d’accidents du travail) et enfin un grand groupe de pathologies diverses telles que des gastro-entérites, des dépressions (avec suicide), des cardiomyopathies, des addictions. Le défaut de prise en charge peut aussi concerner des infections chez l’adulte comme chez l’enfant en raison d’évolutions parfois fulgurantes.
Les médecins généralistes se voient aussi de plus en plus impliqués dans le suivi postopératoire de leurs patients, avec des plaintes en augmentation pour cette activité, alors qu’il avait été spécifié au patient, en cas de complication, de retourner dans l’établissement où a été réalisé l’acte initial.
Tous ces problèmes peuvent survenir sur des lieux d’exercice différents, y compris en établissement, aussi bien en hospitalisation/soins de suite qu’en Ehpad.
♦ Éviter d’être incriminé pour un défaut de prise en charge commence par demander l’avis d’un confrère spécialiste (en adressant le patient en consultation) et par assurer une bonne coordination des différents intervenants, rôle en principe dévolu au médecin traitant.
Un défaut de qualité et de sûreté du geste technique
Même si cela est moins fréquent en médecine générale, la réalisation de gestes donne lieu à des réclamations et plaintes de patients. Il peut s’agir d’ablation de lésions cutanées, d’injections, de thérapie manuelle, de pose d’un DIU, de retrait d’implants ou de fils, jusqu’à l’extraction d’un bouchon de cérumen. Les actes médicaux à visée esthétique, quant à eux, augmentent et donnent lieu également à leur lot de réclamations à propos d’injections d'acide hyaluronique, d’épilations laser, de peeling et de cryolipolyses.
♦ La réalisation de ces gestes au cabinet nécessite un environnement et une formation adaptés, une bonne information préalable du patient et un rapport bénéfices-risques positif.
Un problème dans la continuité des soins et des urgences mal évaluées
Un exemple très emblématique concerne une plainte pour non-assistance à personne en danger. Une prise en charge d’un appel pour une visite auprès d’un patient hors secteur ; renvoi de l'appel vers un autre praticien qui ne se serait pas déplacé : le patient est retrouvé décédé le lendemain à son domicile.
La gestion des appels urgents nécessite une bonne organisation puisque le praticien, s’il ne se déplace pas, doit « provoquer » un secours comme le demande le code pénal.
Dans le cadre de leur activité de régulation pour le Samu, des médecins généralistes ont été poursuivis : pour une douleur thoracique dont la sévérité aurait été mal appréciée (avec un décès), pour des douleurs abdominales intenses avec consignes de se rendre par soi-même aux urgences (patient décédé à domicile de cause inconnue) et pour l’appel de l’épouse d’un patient bipolaire qui s’est suicidé juste après avoir raccroché.
Des litiges liés à la déontologie
Dans la rubrique déontologie, des médecins ont été poursuivis pour un refus de prescription pour 3 mois, une prescription téléphonique jugée inefficace et la prise en charge en hospitalisation d’un jeune autiste handicapé donnant lieu à des poursuites pour mise en danger d'autrui et violences sur personne vulnérable.
Trois généralistes ont été poursuivis suite à un dommage corporel subi au cabinet : deux chutes avec fractures (coude et radius) et des « douleurs avec limitation fonctionnelle » suite à un examen de l’aptitude au travail à la demande de la CPAM.
CONCLUSION
Il n’y a donc aucune partie de l’activité des médecins généralistes qui ne soit pas exposée au risque de réclamation des patients, mais quantitativement, ce sont les problèmes de diagnostic et de prise en charge qui donnent lieu au plus grand nombre de contentieux.
Les patients expriment de très grandes attentes vis-à-vis de leur médecin généraliste en termes de disponibilité, de diagnostic et d’efficacité thérapeutique. Ils sont également de plus en plus demandeurs de transparence et d’informations sur les soins, tout en allant eux-mêmes sur Internet pour contrôler le diagnostic du médecin et le traitement prescrit.
Les médecins généralistes, parce qu’ils ont généralement toute la confiance de leurs patients, doivent insister tout particulièrement sur l’information des patients, en étant clairs sur l’efficacité attendue des moyens diagnostiques et thérapeutiques mis en œuvre, les risques connus de ceux-ci et les alternatives thérapeutiques. Ils éviteront ainsi que le patient soit surpris en cas de survenue d’une complication, ou suspicieux en cas de pronostic défavorable. Ce meilleur contexte est plus favorable pour annoncer au patient l’éventuelle survenue d’un dommage associé aux soins et le lui faire accepter.
Ce type de démarche constitue certainement la meilleure prévention de la réclamation ou de la plainte du patient, et au profit du maintien de la confiance du patient, dans son intérêt et celui de son médecin.
* Le nombre de médecins généralistes assurés à la MACSF est de 48 886 en 2018 (dont 35 206 libéraux).
Lexique
• Accident médical : événement imprévu porteur de dommage survenu lors d’une activité de soins.
• EIAS : événement indésirable associé intrinsèquement à la réalisation de soins.
• Sinistre : dossier ouvert chez un assureur dans le cadre de la garantie souscrite.
• Sinistralité : nombre d’accidents médicaux déclarés par les spécialistes concernés pendant une année, rapporté au nombre d’assurés.
Bibliographie
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3 - Delbanco T, Bell S. Guilty, afraid, and alone – Struggling with medical error N Eng J Med 2007;357:1682–1683.
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