INTRODUCTION
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) pathologique est défini comme l’ensemble des symptômes ou complications liés à la remontée du contenu gastrique dans l’œsophage. Il s’agit d’une pathologie touchant 10 à 20 % des adultes en France, et d'un motif très fréquent de consultation en médecine générale.
Le diagnostic est clinique et le traitement repose sur les inhibiteurs de la pompe à proton (IPP). Certaines situations nécessitent des explorations complémentaires auprès d'un gastro-entérologue.
CLINIQUE
Les symptômes typiques du RGO sont le pyrosis (défini par une brûlure rétrosternale ascendante) et les régurgitations (définies par la remontée du contenu gastrique dans l’œsophage ou le pharynx, sans nausée ni effort de vomissement) (1). Ces symptômes sont le plus souvent positionnels, favorisés par les repas et peuvent s'accompagner d'une sensation d'amertume dans la bouche. Dans cette situation, un traitement par IPP peut être débuté et aucun examen complémentaire n'est nécessaire.
Le RGO peut aussi être responsable d’une dysphagie basse (définie par la sensation de blocage intra-œsophagien au passage du bol alimentaire) par diminution du péristaltisme œsophagien (2). En cas de dysphagie, une endoscopie digestive haute doit donc être réalisée à la recherche d'une forme compliquée (sténose, cancer).
Le RGO peut avoir une présentation atypique et être responsable de signes dits « extra-digestifs » marqués par des manifestations ORL (enrouement, hemmage, sensation de brûlure dans la gorge) et des manifestations pulmonaires (asthme – a fortiori s’il est difficile à traiter – et toux chronique prédominant la nuit et en postprandial) (3). La douleur thoracique rétro-sternale est la manifestation atypique la plus fréquente. Dans ces situations, les examens complémentaires s’imposent afin d’établir un lien de causalité entre le RGO et les symptômes extra-digestifs (4).
La présence de symptômes digestifs « atypiques » ou « extra-digestifs » (ORL et/ou pulmonaires) doit donc orienter vers une prise en charge spécialisée en gastro-entérologie.
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
En cas de symptômes typiques chez un patient de moins de 50 ans répondant bien au traitement par IPP, aucun examen n'est nécessaire en première intention.
Néanmoins, près de 30 % des patients restent symptomatiques malgré un traitement bien conduit. On parle de reflux réfractaire. Les examens complémentaires permettent ainsi de prouver le reflux pathologique persistant (tableau 1). Cependant, une majorité des patients ayant des symptômes réfractaires aux IPP n’a en réalité pas de reflux pathologique mais présente une pathologie fonctionnelle en lien avec une hypersensibilité viscérale (5).
→ L'endoscopie œso-gastro-duodénale (EOGD) est indispensable en cas de signes d'alarme (dysphagie, anémie, anorexie avec amaigrissement et/ou vomissements répétés), de symptômes atypiques isolés (manifestations ORL ou pulmonaires), d'âge supérieur à 50 ans et/ou en cas de symptômes persistants malgré un traitement par IPP bien conduit (6). Cet examen permet de prouver le RGO en cas de lésions muqueuses œsophagiennes (œsophagite de grade B, C ou D ; sténose peptique ou endobrachyœsophage) et d'exclure une lésion néoplasique de l’œsophage. Une EOGD normale n'élimine pas le diagnostic de RGO.
→ Les explorations ambulatoires du reflux sont justifiées en cas de symptômes atypiques et/ou réfractaires à un traitement de première intention. Ces explorations permettent de prouver l’existence d’un RGO pathologique :
• La pH-métrie œsophagienne est l'examen de deuxième intention en cas d’EOGD normale et permet de détecter les épisodes de reflux acides (définis par pH œsophagien < 4). Cet examen est effectué en ambulatoire, en l’absence de traitement par IPP (au moins 10 jours d’arrêt). Il permet de différencier un reflux acide pathologique (défini par une exposition acide anormale concomitante aux symptômes), un œsophage acido-sensible (défini par une exposition acide normale mais une concordance entre les symptômes et le reflux physiologique) ou un pyrosis fonctionnel (défini par une exposition acide normale mais sans corrélation avec les symptômes).
• La pH-impédancemétrie œsophagienne permet de détecter la présence de liquide et/ou de gaz dans l’œsophage indépendamment du caractère acide des reflux. Cet examen est aussi réalisé en ambulatoire, sous IPP. Il est indiqué en cas de RGO prouvé (EOGD et/ou pH-métrie anormale sans IPP) avec des symptômes de reflux réfractaire sous traitement IPP bien conduit. Il permet ainsi de documenter la persistance d’un reflux acide ou peu acide pathologique, ainsi que le reflux biliaire, pouvant expliquer les symptômes.
→ La manométrie œsophagienne haute résolution permet de diagnostiquer un trouble de la motricité œsophagienne (achalasie du sphincter inférieur de l'œsophage, en particulier). Elle n’est réalisée qu’en cas de dysphagie ou dans le cadre du bilan préopératoire du reflux.
PRISE EN CHARGE
L’objectif du traitement est la réduction de la fréquence et de l’intensité des symptômes, l’amélioration de la qualité de vie du patient et la prévention des complications.
→ Des mesures hygiéno-diététiques peuvent être proposées, même si leur niveau de preuve est faible. On retiendra qu’il faut éviter les repas gras ainsi que les aliments identifiés comme favorisant les symptômes (en particulier le café, le thé et les sodas), surélever la tête du lit (30-45°) et respecter un délai d’au moins 2 heures entre le repas et le coucher. Enfin, il faut encourager une réduction pondérale (permettant une diminution de la contrainte mécanique sur la jonction œsogastrique) et un sevrage de l’alcool et du tabac (7).
→ Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), grâce à la réduction de la sécrétion acide gastrique, constituent le traitement de première ligne du RGO. Les recommandations actuelles sont de prescrire un IPP à demi-dose pour 4 semaines en cas de symptômes typiques (8). Il est conseillé de prendre le traitement au moins 30 minutes avant le repas (de préférence le matin), afin d’obtenir une biodisponibilité optimale (9). En cas de reflux réfractaire, il convient de vérifier la compliance au traitement et d’optimiser le traitement médical (majorer progressivement les doses d’IPP, privilégier une prise biquotidienne, changer de classe d’IPP).
Ces dernières années, les IPP ont été associés à de nombreux effets secondaires potentiels : infections digestives ou pulmonaires, ostéoporose, carence en vitamine B12 ou en fer, insuffisance rénale chronique et cancer gastrique (atrophie gastrique secondaire à l’achlorhydrie)… La qualité des preuves apportées dans la littérature à ces associations demeure assez faible et ne légitime pas d’envisager l’arrêt d’un traitement par IPP indiqué et utile. La meilleure stratégie afin de limiter ces effets secondaires est d’éviter de les prescrire lorsqu’ils ne sont pas indiqués et de les prescrire à dose minimale efficace lorsqu’ils le sont. Le rapport bénéfice-risque de leur utilisation doit ainsi être réévalué régulièrement au cours du suivi.
→ D’autres molécules peuvent être proposées comme traitement d’appoint : les anti-acides et alginates (tamponnement de l’acide gastrique) et les anti-H2 (d’efficacité moindre que les IPP mais utiles dans certaines situations).
→ Les indications du traitement chirurgical du reflux sont limitées. Les meilleurs candidats sont ceux ayant une présentation clinique typique bien soulagée par les IPP (a fortiori s’ils sont mal tolérés ou contre-indiqués), une hernie hiatale, une œsophagite sévère non cicatrisée ou un endobrachyœsophage. La chirurgie doit être envisagée avec beaucoup de prudence en cas de symptômes atypiques et/ou réfractaires aux IPP (10).
COMPLICATIONS DU RGO
L’histoire naturelle du RGO est associée à la survenue de complications induites par l’agression directe de la muqueuse œsophagienne par le contenu gastrique.
→ La sténose peptique est définie par un rétrécissement de la lumière œsophagienne responsable d’une dysphagie et parfois d’une dénutrition. Seules les sténoses symptomatiques nécessitent un traitement. Le traitement de première intention est la dilatation endoscopique, réalisée sous anesthésie générale, sous contrôle endoscopique et/ou radioscopique, soit par bougie, soit par ballonnet hydrostatique. Habituellement, une à trois séances de dilatation sont nécessaires à l’obtention d’un résultat fonctionnel durable.
→ L’endobrachyœsophage (EBO, aussi appelé œsophage de Barrett) est défini par le remplacement de la muqueuse œsophagienne malpighienne par une muqueuse intestinale glandulaire, secondaire à l’exposition acido-peptique. Le diagnostic repose sur les données endoscopiques (aspect de métaplasie intestinale) et histologiques (présence d’un épithélium glandulaire). La surveillance de l’EBO est indispensable car elle permet de dépister et de traiter précocement les lésions dysplasiques à risque d’évolution vers un adénocarcinome. Le rythme de surveillance varie en fonction de la taille de l’EBO et de la présence ou non de dysplasie sur les biopsies œsophagiennes. Le traitement endoscopique de l’EBO est indiqué en cas de dysplasie de haut grade ou d’adénocarcinome superficiel non infiltrant. Il existe plusieurs techniques de résection endoscopique, parmi lesquelles la mucosectomie œsophagienne (lésions < 15 mm), la dissection sous-muqueuse (lésions > 15 mm) et la radiofréquence œsophagienne.
→ L’adénocarcinome de l’œsophage est la complication la plus redoutée du RGO. La séquence de carcinogénèse est la suivante : métaplasie intestinale, endobrachyœsophage, dysplasie de bas grade puis de haut grade, cancer in situ puis adénocarcinome. Le risque d’adénocarcinome est d’autant plus grand que l’EBO est long (> 3 cm), circonférentiel et associé à de la dysplasie. Un traitement endoscopique est possible pour les tumeurs superficielles n’infiltrant pas la sous-muqueuse (à faible risque d’envahissement ganglionnaire). À l’inverse, en cas de tumeur invasive, une prise en charge chirurgicale est indiquée (œsophagectomie subtotale selon Lewis-Santy), en l’absence de lésion secondaire et si l’état général du patient le permet.
DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS À ÉVOQUER
→ Les régurgitations isolées doivent faire évoquer un trouble fonctionnel de la motricité œsophagienne (achalasie du sphincter inférieur de l’œsophage) ou un trouble psychiatrique du comportement alimentaire (syndrome de rumination défini par des régurgitations répétées et ravalées, pendant et après les repas).
→ L’œsophage acido-sensible se définit par une exposition acide œsophagienne normale, un nombre total de reflux normal et une association positive entre les symptômes et les reflux. Une optimisation du traitement par IPP peut être proposée dans cette situation.
→ Le pyrosis fonctionnel doit être envisagé lorsque les symptômes de pyrosis et d’inconfort épigastrique persistent malgré un traitement IPP à dose maximale, pris de manière appropriée pendant une période d’au moins 3 mois. Dans cette situation, l’endoscopie digestive haute, la manométrie œsophagienne et les explorations du reflux sont strictement normales. Les IPP n’ont pas leur place dans le traitement du pyrosis fonctionnel. D’autres molécules peuvent être proposées (antidépresseurs à faible dose), ainsi que des thérapies alternatives (hypnothérapie, acupuncture) qui pourraient permettre de réduire les manifestations d’hypersensibilité viscérale (11, 12).
EN RÉSUMÉ
Le reflux gastro-œsophagien est défini par la remontée physiologique du contenu gastrique dans l’œsophage. On parle de RGO pathologique lorsqu’il est associé à des symptômes ou des complications. Les symptômes les plus fréquents du RGO sont le pyrosis et les régurgitations. D’autres symptômes digestifs peuvent être observés, plus rares, comme la dysphagie ou des douleurs œsophagiennes rétro-sternales. Les symptômes dit « extra-digestifs » ne sont pas rares, il s’agit principalement de manifestations ORL et pulmonaires associées au RGO. La prise en charge du RGO dépend de sa présentation clinique. En cas de signes typiques et en l’absence de signes d’alarme, un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) peut être proposé, éventuellement combiné à des anti-acides, des alginates ou des anti-H2 ; aucune investigation complémentaire n’est indiquée. En cas de signes atypiques et/ou résistants aux IPP, des explorations complémentaires (pH-métrie +/- pH-impédancemétrie) permettront de confirmer la présence d’un RGO pathologique ainsi que le lien chronologique entre le reflux et la survenue de symptômes. La chirurgie est rarement indiquée et ne doit s’envisager que chez les patients bien sélectionnés présentant un RGO typique répondant bien au traitement médical par IPP. Dans le cas contraire, les explorations complémentaires sont systématiques avant d’envisager une prise en charge chirurgicale.
Bibliographie
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6. Prescription des examens complémentaires dans le reflux gastro-œsophagien chez l’adulte en gastro-entérologie [Internet]. Haute Autorité de Santé. [cited 2020 Sep 13]. Available from: https://www.has-sante.fr/jcms/c_272450/fr/prescription-des-examens-comp…
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11. Viazis N, Keyoglou A, Kanellopoulos AK, Karamanolis G, Vlachogiannakos J, Triantafyllou K, et al. Selective serotonin reuptake inhibitors for the treatment of hypersensitive esophagus: a randomized, double-blind, placebo-controlled study. Am J Gastroenterol. 2012 Nov;107(11):1662–7.
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Liens d'intérêts
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