La prévalence de l’insuffisance cardiaque (IC) est estimée à environ 1 % de la population, avec une augmentation croissante compte tenu du vieillissement de la population. Sa prévalence se situe entre 5 % à 10 % à partir de 70 ans. La mortalité intra-hospitalière est autour de 8 %. La mortalité toute cause à 12 mois est d’environ 25 % après une décompensation versus 10-15 % pour l’IC chronique stable. Alors que la mortalité ajustée à l’âge tend à décroître, le nombre d’hospitalisations pour IC augmente et est de l’ordre de 300 000/an.
► L’IC a été longtemps un peu négligée pour diverses raisons dont son nom, difficile à appréhender pour le grand public. Une information grand public annuelle est d’ailleurs désormais faite (dernière en date le 29 septembre 2017), basée notamment sur le sigle EPOF pour essoufflement, prise de poids, œdèmes, fatigue.
► La prise en charge de l’IC chronique est encadrée par des recommandations dont les dernières datent de 2016 (recommandations européennes endossées par la Société française de cardiologie).

MODALITES DIAGNOSTIQUES À LA CONSULTATION (figure 1)
► Cliniquement, la pathologie se manisfeste le plus souvent par une et/ou une dyspnée à l’effort et/ou une orthopnée avec dyspnée paroxystique nocturne, et/ou des œdèmes. La dyspnée peut-être sifflante (l’asthme débute très rarement après 50 ans). Le contexte reste important : antécédent d’infarctus, valvulopathie connue, HTA mal contrôlée, histoire familiale, antécédent de chimiothérapie par anthracyclines… Chez les vieillards, il peut s’agir de syndromes gériatriques aspécifiques.
► L'examen recherche des crépitants bilatéraux, galop à l’auscultation, turgescence jugulaire (assez pathognomique) en position ½ assise, œdèmes des membres inférieurs, ascite, prise de poids. La PA peut être haute ou basse, le pouls habituellement rapide en l’absence de bétabloqueurs, voire irrégulier (fibrillation atriale présente dans plus de 20 % des cas).
► Si un ECG peut être réalisé en médecine générale, retenons au moins que celui-ci est exceptionnellement normal en cas d’IC. La présence d’un trouble du rythme ou d’une HVG sont des éléments en faveur mais non spécifiques.
► Le dosage des peptides natriurétiques de type B est recommandé dans tous les cas. Par volonté simplificatrice, les valeurs-seuil recommandées dans le contexte ambulatoire sont très basses (et différentes de celles, mieux connues, du contexte de l’urgence) : 35 pg/mL pour le BNP et 125pg/mL pour le NTproBNP. Cela est un peu discutable chez les personnes âgées ou en cas d’insuffisance rénale chronique sévère, où ces seuils devraient être plus hauts. à l’inverse, notons que l’obésité abaisse ces taux.
Ce dosage est toujours accompagné, au minimum, d’un ionogramme sanguin, urémie, créatinémie, NFS, bilan hépatique.
► L’échographie cardiaque est ensuite indispensable, si ces biomarqueurs sont élevés et/ou en présence de signes évocateurs, pour confirmer le diagnostic et rechercher la nature de la cardiopathie sous jacente.
► Dans cette démarche diagnostique, l’idée est d’évoquer l’IC le plus largement possible et de demander une échographie cardiaque, en pratique à l’occasion d’une consultation cardiologique. Le degré d’urgence est à personnaliser.
QUELS SONT LES SIGNES DE GRAVITÉ JUSTIFIANT UNE HOSPITALISATION RAPIDE/IMMÉDIATE ?
Toute histoire de novo incite à la prudence, en raison du risque évolutif mal connu et justifie une hospitalisation en l’absence de consultation cardiologique disponible dans les 24-48 heures. A fortiori, une hospitalisation immédiate est demandée en cas de symptômes/signes respiratoires importants, d’hypotension non habituelle et bien sûr de signes de bas débit, de tachycardie (> 120 bpm) ou bradycardie non connue, de syncope, de douleur thoracique, d’infection associée. L’isolement du patient et/ou la difficulté d’un suivi rapproché à domicile sont aussi des arguments.
LE BILAN INITIAL
Le bilan principal est réalisé par le cardiologue en commençant par une échographie cardiaque pour préciser le FEVG, la dilatation et/ou l’hypertrophie du VG, la dilatation de l’oreillette gauche, l’existence d’une valvulopathie, des anomalies de cinétique segmentaire, le retentissement sur la pression artérielle pulmonaire et l’atteinte ventriculaire droite.
► Le bilan est ensuite orienté en fonction de l’histoire clinique, de l’ECG et de l’échographie cardiaque. Il n’y a pas vraiment de bilan stéréotypé.
► Les objectifs sont : étiologie de la cardiopathie sous-jacente, facteurs aggravants et/ou précipitants en cas de décompensation, comorbidités. On peut rappeler qu’en cas d’altération de la FEVG, une recherche d’atteinte coronaire sera le plus souvent réalisée. L’IRM cardiaque est un examen assez souvent réalisé car plus précis pour les mesures que l’échographie et donnant des arguments pour certaines causes (myocardite, amylose, etc.).
LES PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES
La FEVG est une mesure essentielle car elle détermine largement les orientations thérapeutiques. En effet, seule l’IC avec FEVG < 40 % dispose de solides recommandations basées sur les résultats d’essais randomisés contrôlés. Il s’agit de traitements diminuant la mortalité et les symptômes : ils doivent donc être impérativement proposés.
En cas de FEVG > 40 %, et surtout > 50 %, il n’y a pas de certitude en dehors des diurétiques et du traitement des causes (HTA, arythmie, maladie coronaire, valvulaire, etc.).
En cas de FEVG < 40 %, les principes sont indiqués dans la figure 2.
► Les diurétiques de l’anse sont indispensables chez tout patient symptomatique, mais à des doses très variables (furosémide 20 à 500 mg/j) et à ajuster régulièrement selon la clinique et la biologie. Un régime appauvri en sel doit alors être associé, prescrit et expliqué. Au delà de 40 mg/j, il est préférable d’utiliser au moins deux prises quotidiennes. En cas d’insuffisance rénale chronique, les doses sont augmentées. La forme retard Lasilix LP60 ne doit pas être prescrite (inefficace).
► Bithérapie par IEC (ou ARA en cas d’intolérance aux IEC) et bétabloqueurs : c’est la base indispensable du traitement, que le patient soit symptomatique ou non, et en l’absence de contre-indication. Il y a probablement un effet classe pour les IEC et ARA2 mais celui-ci est beaucoup moins certain pour les bétabloqueurs, et seuls quatre ont l’indication : carvédilol, bisoprolol, metoprolol tartrate et nebivolol. Les posologies doivent être titrées progressivement jusque la dose maximale tolérée. Les paliers sont d'une à deux semaines.
Il n’y a pas de chiffre tensionnel cible (en pratique, c’est l’hypotension orthostatique qui dicte le plus souvent l’arrêt de la titration). La FC cible se situe autour de 60 bpm, voire 50. Un contrôle du ionogramme et de la fonction rénale est réalisé après chaque majoration de dose d’IEC. Une augmentation de la créatininémie de 30 à 50 % est assez banale et même attendue. En cas de fonction rénale sévèrement altérée (DFG < 30), l’introduction d’IEC nécessite un avis spécialisé.
► Un contrôle de l’échographie cardiaque est habituellement réalisé trois mois après le début du traitement. Une amélioration franche de la FEVG est observée dans plus d’1/3 des cas. Si le patient est symptomatique avec une FEVG toujours abaissée, les antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoides ont alors leur place. La spironolactone à faible dose – 25 à 50mg/j – est fortement indiquée, avec contrôle de la kaliémie et de la fonction rénale une à deux semaines après l’introduction.
► L'antagoniste mixte des récepteurs à l’angiotensine 2 et de la néprilysine est la dernière nouveauté thérapeutique. Un essai randomisé publié en 2015 a montré la supériorité du LCZ (valsartan et sacubitril) sur un IEC (enalapril) à la fois sur la mortalité et les hospitalisations. L’inhibition de la néprilysine module le métabolisme des peptides natriurétiques notamment. D’autres mécanismes sont impliqués. Actuellement, en délivrance hospitalière, il est prescrit en 2 prises/j avec trois doses possibles à titrer comme un IEC. Il ne doit pas être associé à un IEC ou ARA2 mais s’y substituer. Son indication concerne les patients avec une FEVG altérée et symptomatique sous la trithérapie précédemment mentionnée. Sa surveillance est la même qu’un IEC ou ARA2.
► L'ivabradine peut être ajoutée en cas d’intolérance aux bétabloqueurs ou en cas de FC restant > 70 bpm, en rythme sinusal, sous bétabloqueurs. Il s’agit de 2 prises/j avec deux doses possibles.
► La digoxine peut être prescrite en cas de fibrillation atriale avec FC restant > 120 bpm.
► La correction d’une carence en fer est indispensable dans tous les cas. En cas de ferritinémie < 100 microg/L ou entre 100 et 299 mais CS < 20 %, une correction par fer injectable est indiquée pour un bénéfice au moins fonctionnel. Ceci est vrai qu’il y ait ou non une anémie associée. La substitution orale est pas ou peu efficace.
► Le défibrillateur automatique implantable est indiqué théoriquement chez tous patients ayant une FEVG < 35 % malgré le traitement médicamenteux. Il prévient donc le risque de mort subite d’origine rythmique. Son indication est évidemment nuancée par l’âge et les comorbidités. Son bénéfice est surtout net en cas de cardiopathie ischémique. Notons que l’amiodarone n’a pas de bénéfice pour cette prévention et les antiarythmiques de classe 1 y sont contre-indiqués.
► Le stimulateur multisite ou resynchronisateur biventriculaire est un pacemaker auquel est ajoutée une sonde dans une veine coronaire pour stimuler le ventricule gauche. Il est indiqué en cas de BBG complet et est le plus souvent associé à un défibrillateur.
► La réadaptation cardiaque à l’effort doit être proposée le plus largement possible, en raison de son bénéfice sur les symptômes mais aussi sur la morbimortalité. Les programmes de réadaptation incluent le plus souvent des séances d’éducation thérapeutique.
► Les assistances ventriculaires gauches (ou “pompes” implantables) et transplantation sont indiquées en cas d’IC très symptomatique et échappant aux traitements habituels.
► Les traitements fréquents à éviter sont les inhibiteur calciques (sauf HTA sévère mal contrôlée) et les AINS.
LE SUIVI DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE
L’IC est une maladie chronique, évolutive, émaillée de décompensations et complications. La mise en place d’un suivi structuré est donc indispensable et doit être personnalisé, ceci quelles que soient la FEVG et la cardiopathie sous-jacente.
► Dans les premiers mois qui suivent une hospitalisation pour décompensation, il existe une période particulièrement vulnérable.
♦ Une consultation avec le médecin généraliste est nécessaire dans les 15 jours qui suivent la sortie, accompagnée d’une biologie de contrôle, pour prendre connaissance du dossier, vérifier l’observance et la compréhension du patient, l’absence de signes congestifs, la tolérance des traitements et pour mettre en place le suivi ultérieur.
♦ Un point important est la connaissance des constantes cliniques et biologiques de sortie : poids, PA, FC, BNP ou NTproBNP, créatininémie, natrémie. Ces constantes seront ensuite régulièrement vérifiées, si possible via un carnet dédié au suivi.
♦ Le cardiologue doit également revoir le patient dans un délai d’un mois voire, beaucoup plus tôt en cas d’IC sévère. Dans cette dernière éventualité et/ou en cas de projet de transplantation et/ou de cardiomyopathie particulière, le suivi est le plus souvent mixte entre l’hôpital et la ville.
L’assurance maladie a mis en place le système PRADO pour accompagner le retour à domicile de plusieurs pathologies dont l’insuffisance cardiaque. Cela consiste en une visite à domicile par une infirmière toutes les semaines pendant environ deux mois. Celle-ci vérifie les constantes cliniques, l’observance et fait de l’éducation thérapeutique. Un carnet de suivi est utilisé.
En cas d’aggravation et d'une nécessaire réhospitalisation, il est préférable d’obtenir un accès direct dans le service référent sans passage aux urgences.
► Chez un patient stabilisé, un suivi mensuel est presque toujours nécessaire, vu la polythérapie médicamenteuse et les comorbidités fréquemment associées.
♦ Une biologie comportant au moins un ionogramme sanguin et une estimation de la fonction rénale est prescrite environ une fois tous les trois mois (au minimum deux fois par an en cas d’IC modérée et stable).
♦ Une éducation thérapeutique et une réadaptation à l’effort (ou au moins un encouragement à l’activité physique) doivent être proposées de façon itérative, tant celles-ci conditionnent une partie de la stabilisation à terme. L’éducation thérapeutique peut concerner l’entourage immédiat du patient. Elle est fondée sur la connaissance des éléments de base de la maladie, des signes d’alerte, du régime appauvri en sel et de l’observance des médicaments. Parfois, le patient peut moduler son traitement diurétique. La possibilité d’une cotation spécifique pour ces consultations dites complexes devrait aider.
► Enfin, la télésurveillance s’est officiellement invitée dans les maladies chroniques dont l’IC. Il est encore un peu tôt pour préciser dans quelle mesure et selon quelles modalités elle sera utilisée.
Bibliographie
1- Ponikowski P, Voors AA, Anker SD, Bueno H, Cleland JG, Coats AJ, Falk V, González-Juanatey JR, Harjola VP, Jankowska EA, Jessup M, Linde C, Nihoyannopoulos P, Parissis JT, Pieske B, Riley JP, Rosano GM, Ruilope LM, Ruschitzka F, Rutten FH, van der Meer P; Authors/Task Force Members. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) Developed with the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J. 2016;37(27):2129-200.
Etude et Pratique
Prophylaxie post-TVP : AOD pleine dose ou demi-dose ?
Recommandations
La borréliose de Lyme
Mise au point
Palpitations : orientation diagnostique
En 5 points
Obésité : suivi d’un patient sous aGLP-1