UNE DÉFINITION ? UN DÉFI !
Il n’y a pas de définition universellement et unanimement admise à l’exacerbation aiguë (EA) de BPCO. Par exemple, la triade d’Anthonisen, bien connue des étudiants (augmentation de la dyspnée, du volume des crachats et de leur purulence) en a été une des premières définitions ; cependant, elle n’est qu’un reflet partiel des EA, puisqu’elle a été conçue pour évaluer l’antibiothérapie dans les EA d’origine bactérienne.
La SPLF [1] retient actuellement la définition suivante : l’exacerbation est un événement aigu caractérisé par une aggravation des symptômes respiratoires (notamment la toux, l’expectoration et la dyspnée) au-delà des variations quotidiennes et conduisant à une modification thérapeutique. Qu''il s'agisse d'une simple augmentation des bronchodilatateurs (dans ce cas, une durée supérieure à 24 heures est requise pour parler d’exacerbation) ou de l’ajout d’un traitement supplémentaire (antibiothérapie et/ou corticothérapie orale).
Ces critères restent imparfaits puisqu’ils excluent les exacerbations non identifiées par le patient, ou celles n’ayant pas été traitées spécifiquement. Cette définition pourrait ainsi « oublier » jusqu’à la moitié des exacerbations [2].
► La sévérité de l’AE peut être précisée a posteriori :
- EA légère : augmentation des symptômes contrôlée sans nouveau traitement
- EA modérée : requérant une antibiothérapie et/ou une corticothérapie
- EA grave (= sévère) : nécessitant une hospitalisation. Le terme de « décompensation » (EA susceptible d’engager le pronostic vital), qui n’est retrouvé qu’en langue française, ne devrait plus être employé.
L’EA peut avoir un début brutal ou progressif et durer quelques jours à plusieurs semaines. L’EA peut révéler une BPCO méconnue (16 % des cas) et survenir à un stade précoce de la maladie.
FACTEURS DÉCLENCHANTS
► Les infections sont probablement le principal facteur déclenchant des EA.
Les infections virales, majoritairement liées aux rhinovirus et aux virus grippaux, déclenchent 30 % des EA, voire 50 % en période hivernale. Les EA d’origine virale semblent plus longues que les exacerbations d’autres étiologies (13 jours vs 6 pour les autres causes [3]).
Les étiologies bactériennes sont représentées par H. Influenzae (20-30 %), S. Pneumoniae et Moraxella catarrhalis (10-15 % chacun) ; dans les BPCO les plus sévères, P. Aeruginosa est impliqué dans 5-10 % des EA. Les germes intracellulaires ne représentent que 1-5 % des EA bactériennes.
La purulence ou la majoration de la purulence de l’expectoration lors d’une EABPCO semble être le meilleur indicateur d’une origine bactérienne de l’exacerbation.
► La deuxième cause d’EABPCO est représentée par la pollution secondaire aux particules de diamètre inférieur à 10 m (PM10 et PM2,5), à l’ozone (O3), au dioxyde de souffre (SO2) et au dioxyde d’azote (NO2).
► La malobservance (qui concernerait 50 % des patients) et l’arrêt des traitements de fond exposent à un risque d’EABPCO. L’usage de thérapeutiques contre-indiquées (psychotropes, morphiniques, antitussifs) est également incriminé. Une infection extrarespiratoire – via le syndrome de réponse inflammatoire systémique — peut exacerber une BPCO. Enfin, un tiers des EA restent inexpliquées à l’issue des explorations.
IMPACT SUR LA MORBI-MORTALITÉ
En cas d’hospitalisation, le risque de décès est de 3-10 % à 1 mois, 15-33 % à 1 an, 27-41 % à 2 ans, 52-60 % à 5 ans. Pour les formes relevant des soins intensifs, la mortalité est de 30 % à 1 mois et 75 % à 3 ans. En d’autres termes, la période critique excède celle de l’hospitalisation. Par contre, il n’est pas démontré que les exacerbations non sévères augmentent la mortalité.
La survenue d’une EA semble relativement peu affecter la vitesse de déclin du VEMS (sauf chez les exacerbateurs fréquents).
La survenue d’une EA altère toujours la qualité de vie du malade. En l’absence de récidive précoce, la qualité de vie se restaure en 4-12 semaines, même si la récupération musculaire n’est que partielle à 3 mois de l’exacerbation.
Une exacerbation augmente la rigidité artérielle, à tel point que le risque de syndrome coronarien est doublé pendant la première semaine, tandis que le risque d’AVC augmente de 20 %. La compliance artérielle retrouve son état antérieur en 1 mois. Cependant, les exacerbateurs fréquents ont une rigidité artérielle plus importante à l’état stable.
UNE PRISE EN CHARGE SOUVENT EN AMBULATOIRE
Il n’existe pas à l’heure actuelle de score pronostique validé pour décider de l’hospitalisation. La décision d’hospitalisation s’appuie sur une évaluation clinique globale guidée par des critères définis (voir tableau 1), sans que ceux-ci ne soient exhaustifs ni pertinents pris individuellement.
La très grande majorité des EA peut être gérée en ambulatoire, à condition d’indiquer au patient et à son entourage qu’une aggravation reste possible ; une réévaluation à 24-72 heures est recommandée. En l’absence d’amélioration à 48-72 heures et a fortiori en cas d’aggravation, l’hospitalisation est recommandée.
Une exacerbation prise en charge en ambulatoire représente un coût moyen < 300 € contre environ 4 000 € pour une hospitalisation. En France, la prise en charge initiale en HAD n’a pas été suffisamment étudiée pour être recommandée.
ÉVALUER EN VILLE
Lors d’une EA sans argument pour une hospitalisation d’emblée, une saturation transcutanée en oxygène (SpO2) ≥ 90 % en air ambiant témoigne d’une oxygénation suffisante malgré l’exacerbation. Si la SpO2 est < 90 % en air ambiant, un contrôle gazométrique est nécessaire.
L’ECBC n’est pas nécessaire en première intention. La biologie sanguine n’est nécessaire qu’au contrôle des comorbidités (diabète, insuffisance rénale…) ou au diagnostic différentiel (BNP, D-dimères), notamment lorsque l’on dispose de références à l’état de base (BNP).
L’embolie pulmonaire, la pneumonie aiguë communautaire et l’œdème pulmonaire cardiogénique peuvent mimer une EA (et inversement), et sont plus fréquents chez un patient BPCO. Ces trois diagnostics doivent être évoqués en cas d’évolution non favorable d’une exacerbation.
La spirométrie n’a pas sa place à la phase aiguë de l’EA car elle risquerait de sous-estimer la fonction respiratoire du patient.
TRAITER EN VILLE
► Les bronchodilatateurs inhalés sont indiqués en cas d’EA prise en charge en ville. La seule étude [5] étudiant les bronchodilatateurs en ambulatoire ne retrouvait pas de différence entre ceux à courte durée d’action (salbutamol) et ceux à longue durée d’action (formotérol).
► Il n’y a pas d’argument permettant de recommander une corticothérapie inhalée.
► Les traitements mucomodificateurs n’ont pas de place validée.
► En l’absence de littérature suffisante – la plupart des travaux concernant des patients hospitalisés —, les corticoïdes systémiques sont prescrits au cas par cas, selon la balance bénéfices/risques. La corticothérapie orale permet d’accélérer l’amélioration fonctionnelle et de diminuer le taux de rechute à 1 mois. Mais 1 patient sur 5 aura un effet indésirable, dont 15 % de décompensation glycémique chez les patients BPCO diabétiques hospitalisés (contre 3,5 % en l’absence de corticothérapie systémique). De plus, on ignore la toxicité à moyen terme des cures répétées sur la masse musculaire et osseuse, ainsi que sur le risque infectieux.
Si la corticothérapie est prescrite, il s’agit, comme chez les patients hospitalisés, de 30-40 mg/j de prednisone orale pendant 5 J. Il n’y a pas à effectuer de décroissance progressive.
► Antibiothérapie ou non ? Aucune antibiothérapie n’est à prescrire d’emblée en l’absence de purulence des expectorations.
La couleur « verdâtre franche » est reconnue comme critère d’antibiothérapie, lorsqu’elle s’associe à la dyspnée ou un VEMS < 50 % de la théorique. L’évaluation des expectorations par le patient aurait tendance à en surestimer la purulence, aussi certaines équipes utilisent une palette de couleurs [4].
Les traitements courts en 5 jours sont aussi efficaces que ceux de 7 voire 10 jours, avec une meilleure observance, une réduction du risque d’effets indésirables et une limitation de la pression de sélection sur l’antibiorésistance.
Aucune étude ne permet de recommander une antibiothérapie inhalée.
► Les thérapeutiques non médicamenteuses n’ont pas été étudiées en ambulatoire. Les professionnels paramédicaux, au sein d’une prise en charge multidisciplinaire, pourraient possiblement jouer un rôle de sentinelle par leur réévaluation quotidienne des symptômes du patient.
PLANIFIER LE SUIVI MÉDICAL
Les modalités pratiques du suivi après une EA relèvent essentiellement de « l’avis d’experts ».
En cas d’exacerbation légère à modérée, un contact médical est nécessaire en l’absence d’amélioration symptomatique.
Une réévaluation par le médecin traitant une semaine après l’épisode est jugée « utile » après une exacerbation modérée et « justifiée » après une exacerbation sévère (i.e. avec hospitalisation).
Ensuite, les mêmes experts proposent une consultation à 1 mois, 3 mois, 6 mois et 1 an, en alternant les consultations chez le MT et le pneumologue. Les épreuves fonctionnelles respiratoires sont recommandées à 3 mois et 1 an.
Il semble légitime d’identifier les patients les plus à risque (voir tableau 2) afin de leur consacrer une surveillance accrue.
Quelques études ont étudié l’efficacité de consultations (le plus souvent mensuelles) dédiées à l’éducation thérapeutique ; il semble qu’un tel, programme puisse diminuer le risque d’hospitalisation. Le contenu et le rythme de ces séances doivent être modulés selon le stade de sévérité, les facteurs de risque et comorbidités associées.
► La récidive à court terme d’une EABPCO doit faire rechercher une cause favorisante : infection chronique ORL ou stomatologique, cancer bronchique, apnées du sommeil, cardiopathie gauche, maladie thromboembolique veineuse.
UN TRAVAIL D’ÉQUIPE
Après une EA, la prise en charge du patient BPCO est nécessairement pluriprofessionnelle.
Les infirmiers ont un rôle de sentinelle, surveillent la Sp02 et de l’échelle de Borg modifiée (auto-évaluation de la dyspnée entre 0 et 10), aident à la dispensation des traitements, apportent un soutien psychologique et une information au patient et son entourage.
Les kinésithérapeutes assurent le drainage bronchique, mais également l’amélioration de la capacité musculaire périphérique, et le reconditionnement à l’exercice. L’absence de reprise de l’activité physique suite à une EA est en effet associée à une augmentation du risque de récidive. La relation entre l’activité physique (évaluée par le nombre de pas quotidien) et la morbidité suit une relation linéaire [14] : les patients les plus sédentaires < 3 600 pas/jour) ont un risque plus que doublé d’EA et un risque d’hospitalisation pour BPCO multiplié par 6, comparativement aux patients les plus actifs.
Une intervention nutritionnelle doit être prescrite en cas de dénutrition protéique – qui concerne au moins 20-40 % des patients BPCO [15]. L’obésité est souvent associée à une dénutrition protéique et les régimes amaigrissants sont délétères chez ces patients.
Les psychologues/psychiatres sont souvent sollicités. En effet, un syndrome anxieux et/ou dépressif peut engendrer une aggravation respiratoire et générale et un retard de prise en charge. Chez les patients atteints de BPCO sévère, le risque de dépression est multiplié par 2,5 [13] ; la prévalence de la dépression est également plus grande chez les exacerbateurs fréquents. En cas de dépression, le risque d’hospitalisation pour BPCO est doublé [13] et les symptômes dépressifs augmentent lors des exacerbations !
PRÉVENTION SECONDAIRE
► Chez le fumeur encore actif, le sevrage tabagique est évidemment la première mesure de prévention secondaire ; l’exacerbation peut souvent servir de levier motivationnel.
La vaccination annuelle antigrippale est recommandée sans réserve chez les patients suivis pour une BPCO. Il n’y a pas de sur-risque d’EA dans les suites immédiates de la vaccination antigrippale [6, 7]. L’incidence des événements respiratoires aigus liés à la grippe chez les patients BPCO est significativement diminuée par la vaccination : 6,8/100 patients-années contre 28,1 chez les patients BPCO non vaccinés, et ce quel que soit le stade de sévérité de la BPCO [8]. Durant la période épidémique, le risque de décès du patient BPCO, toutes causes confondues [10], est nettement diminué par la vaccination (RR = 9,59, IC95 % 0,57-0,61).
► La vaccination contre la grippe et le pneumocoque diminue significativement le risque d’hospitalisation (RR = 0,68, p = 0,002), le risque de décès hospitalier par BPCO (RR = 0,53, p = 0,034) [9] et le risque de décès toutes causes confondues (RR = 0,30, IC95 % 0,28-0,32) [10].
Le schéma vaccinal anti-pneumococcique des patients BPCO [11] est le même que chez les patients immunodéprimés, à savoir une dose de vaccin conjugué (PCV13), suivie d’un vaccin polysaccharidique (PPSV23) 8 semaines plus tard. Pour les patients ayant déjà été vaccinés par le PPSV23, une vaccination par le PCV13 doit être administrée au plus tôt 1 an après la précédente vaccination. Quel que soit le schéma vaccinal effectivement reçu, un rappel est recommandé 5 ans plus tard par le PPSV23.
Bibliographie
1- SPLF. Prise en charge des exacerbations de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Recommandations de la Société de pneumologie de langue française (texte court). Revue des Maladies Respiratoires (2017) 34, 282—322. Disponible sur http://www.rev-mal-respir.com/article/1124193/article/management-of-acu…. Article long disponible sur http://www.rev-mal-respir.com/revue/RMR/34/4/table-des-matieres/
2- Jones PW, Lamarca R, Chuecos F, Singh D, Agustí A, Bateman ED, de Miquel G, Caracta C, Garcia Gil E. Characterisation and impact of reported and unreported exacerbations: results from ATTAIN. Eur Respir J. 2014 Nov;44(5):1156-65. Disponible sur http://erj.ersjournals.com/content/44/5/1156.long
3- Seemungal TA, Harper-Owen R, Bhowmik A, Jeffries DJ, Wedzicha JA. Detection of rhinovirus in induced sputum at exacerbation of chronic obstructive pulmonary disease. Eur Respir J. 2000 Oct;16(4):677-83
4- Allegra L, Blasi F, Diano P, Cosentini R, Tarsia P, Confalonieri M, Dimakou K, Valenti V. Sputum color as a marker of acute bacterial exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease. Respir Med. 2005 Jun;99(6):742-7. Disponible sur http://www.resmedjournal.com/article/S0954-6111(04)00422-6/pdf
5- Cazzola M, D'Amato M, Califano C, Di Perna F, Calderaro E, Matera MG, D'Amato G. Formoterol as dry powder oral inhalation compared with salbutamol metered-dose inhaler in acute exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease. Clin Ther. 2002 Apr;24(4):595-604
6- Wongsurakiat P, Maranetra KN, Gulprasutdilog P, Aksornint M, Srilum W, Ruengjam C, Sated W. Adverse effects associated with influenza vaccination in patients with COPD: a randomized controlled study. Respirology. 2004 Nov;9(4):550-6.
7- Ting SC, Crooks SW, South G. The effect of influenza vaccination on the incidence of chronic obstructive pulmonary disease exacerbations in the immediate postvaccination period. J Epidemiol Community Health. 2011 Feb;65(2):157-9.
8- Wongsurakiat P, Maranetra KN, Wasi C, Kositanont U, Dejsomritrutai W, Charoenratanakul S. Acute respiratory illness in patients with COPD and the effectiveness of influenza vaccination: a randomized controlled study. Chest. 2004 Jun;125(6):2011-20
9- Hedlund J, Christenson B, Lundbergh P, Ortqvist A. Effects of a large-scale intervention with influenza and 23-valent pneumococcal vaccines in elderly people: a 1-year follow-up. Vaccine. 2003 Sep 8;21(25-26):3906-11
10- Schembri S, Morant S, Winter JH, MacDonald TM. Influenza but not pneumococcal vaccination protects against all-cause mortality in patients with COPD. Thorax. 2009 Jul;64(7):567-72
11-Ministère des Solidarités et de la Santé. Calendrier des recommandations vaccinales 2018. Disponible sur http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/calendrier_vaccinations_2018.p…
12- Almagro P, Barreiro B, Ochoa de Echaguen A, Quintana S, Rodríguez Carballeira M, Heredia JL, Garau J. Risk factors for hospital readmission in patients with chronic obstructive pulmonary disease. Respiration. 2006;73(3):311-7
13- . van Manen JG, Bindels PJ, Dekker FW, IJzermans CJ, van der Zee JS, Schadé E. Risk of depression in patients with chronic obstructive pulmonary disease and its determinants. Thorax. 2002 May;57(5):412-6 disponible sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1746339/
14- Moy ML, Teylan M, Weston NA, Gagnon DR, Garshick E. Daily step count predicts acute exacerbations in a US cohort with COPD. PLoS One. 2013 Apr 4;8(4):e60400. Disponible sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3617234/
15- Boncompain-Gérard M, Grelas P et al. Dénutrition de l’insuffisant respiratoire chronique : physiopathologie et prise en charge. Réanimation 14 (2005) 79–86. Disponible sur https://www.srlf.org/wp-content/uploads/2015/11/0503-Reanimation-Vol14-…
Etude et Pratique
Prophylaxie post-TVP : AOD pleine dose ou demi-dose ?
Recommandations
La borréliose de Lyme
Mise au point
Palpitations : orientation diagnostique
En 5 points
Obésité : suivi d’un patient sous aGLP-1