George Bernard Shaw définissait le miracle comme « un événement qui donne la foi ». En latin, placebo signifie je plairai. De leur côté, les preuves sont des faits établis à l’aide de méthodes expérimentales reconnues et qui aboutissent finalement à d’autres formes de croyances. Les croyances sont des outils puissants, influencés par de nombreux facteurs. Une question pratique, mais fondamentale pour les cliniciens, devrait toujours sous-tendre la conception des essais thérapeutiques : « Qu’est-ce que tout cela apportera à la prise en charge des patients et surtout à leur santé ? » au sens OMS du terme.
La croyance du malade
Une étude évaluant l’effet des analgésiques sur le soulagement de la douleur a montré que le simple fait de dire aux patients qu’ils prenaient une nouvelle forme de codéine (en réalité, un placebo) qui coûtait 2,50 dollars au lieu de 10 centimes augmentait significativement la proportion de patients soulagés (réduction ≥ 50 % de leur douleur initiale) de 61 % à 85,4 % (1). La diminution du coût de ce placebo réduisait également son efficacité. Une méta-analyse de décennies d’essais cliniques a proclamé que l’effet placebo était plus important que l’effet des médicaments (2). La levée de boucliers qui en a résulté a eu pour effet implicite de clarifier de meilleures approches de l’effet placebo (3).
Le remède médecin
Un essai randomisé comparatif a entrepris une approche analytique des composants de l’effet placebo (4). Chez 262 adultes souffrant d’un syndrome du côlon irritable, il a comparé des séances d’acupuncture factice (aiguille à côté du méridien théorique) à un suivi habituel (groupe témoin), et à la même acupuncture factice accompagnée d’une relation empathique du médecin tout au long de la séance. La proportion de patients rapportant une amélioration notable sur l’échelle de soulagement des symptômes du côlon irritable était de 3 % dans le groupe témoin, de 20 % dans le groupe acupuncture placebo, et de 37 % dans le groupe acupuncture placebo + relation (p < 0,001 pour toutes les comparaisons deux à deux). Le groupe significativement le plus amélioré était celui qui recevait l’acupuncture placebo + 45 minutes de relation « de qualité » avec le clinicien. Cet échange comprenait une discussion sur les symptômes du patient et ses croyances à leur égard, une empathie « chaleureuse et amicale », et la transmission d’une attitude confiante en l’avenir. Par opposition, la relation médecin/patient dans le groupe « acupuncture placebo seule » était davantage « procédurale », pratiquée selon de strictes limitations : à l’inclusion, le praticien expliquait qu’il s’agissait d’une « étude scientifique » et avait la consigne de ne pas trop s’étendre.
Dans cet essai, le score d’amélioration globale de la santé était aussi significativement plus élevé dans le groupe acupuncture – placebo + relation. La qualité de vie ainsi que l’amélioration de la sévérité des symptômes étaient presque multipliées par 2 dans ce groupe qui bénéficiait de soins « enrichis », ce qui soulève quelques questions intéressantes. Peut-être que diminuer le temps que les médecins consacrent à leurs patients, en même temps que courir après les médicaments les plus modernes est une « économie de bouts de chandelles » qui n’apporte rien au patient. Finalement, il se peut que les patients répondent mieux aux traitements, placebo ou actifs, s’ils sont associés à une bonne relation médecin/patient comme le suggérait Balint (le remède médecin). En même temps que la durée de la consultation et l’intensité de l’investissement relationnel augmentent l’effet du placebo, ils modifient également le contexte des associations avec le traitement : le médecin peut accroître l’effet de l’aiguille, mais l’aiguille peut aussi devenir un élément d’évocation de la relation.
Le fait que le choix ait été fait d’évaluer l’effet placebo associé à un traitement non conventionnel soulève d’autres questions intéressantes. Les “purs et durs” de l’evidence-based medicine considèrent déjà largement que la majorité (sinon la totalité) des effets des médecines “alternatives” repose sur l’effet placebo. La démonstration d’un effet placebo important (4), sans preuve d’efficacité spécifique du traitement actif étudié sous-jacent, suffirait à ranger ce dernier au rayon du charlatanisme.
MEP vs pharmacologie validée
Cependant, la question peut être considérée autrement. Serait-il possible que la communauté des médecins ayant un mode d’exercice particulier (MEP) ait depuis longtemps compris, à propos de la maladie et des rituels “médecin/malade”, quelque chose d’important auquel le reste de la médecine dite “scientifique” ferait bien de prêter une oreille plus attentive ? De nombreux patients sont probablement attirés par les médecines alternatives parce qu’ils y trouvent une prise en charge globale de leur personne, et beaucoup y trouvent également des effets placebo subjectivement appréciables. Pourquoi ne pas essayer de comprendre ce que les médecins MEP savent et appliquent, et qui pourrait aider les médecins dits “scientifiques” à comprendre pourquoi tant de patients résistent aux traitements pharmacologiques “validés” et acceptent de payer les MEP pour qu’ils les soignent, même si la majorité des traitements qu’ils prescrivent n’ont aucune preuve scientifique d’efficacité (5) ?
L'empathie sur imagerie
À la recherche d’une telle compréhension, il faudrait réfléchir aux conditions dans lesquelles les patients recherchent des traitements alternatifs et ce qu’elles ont à nous apprendre. Les patients atteints d’un syndrome du côlon irritable souffrent d’une maladie chronique qui peut profondément affecter leur qualité de vie. Ils ont habituellement une histoire de souffrance à raconter et veulent qu’elle soit entendue. Une oreille attentive et empathique est peut-être ce dont ils ont besoin aussi.
Les besoins émotionnels et physiques exprimés par un patient en attente de chirurgie d’urgence peuvent néanmoins être d’une autre nature. De tels patients pourraient bien avoir une réponse placebo élevée dans un environnement calme, précis et de haute technicité, et dépendre du médecin qui ne s’attarde pas à discuter de la météo mais plutôt à porter toute son attention à l’urgence.
Quelles que soient ces spécificités, ce qui est à retenir est clair. Les patients vivent dans un environnement social qui peut soit améliorer soit aggraver l’évolution. Les attentes et les sens générés par l’interaction médecin/patient ont des implications somatiques et pas seulement subjectives. De récentes recherches en imagerie cérébrale sur la douleur et l’effet placebo ont montré qu’il y avait des liens fonctionnels entre les régions spécifiques du cerveau responsables de l’attention (gyrus cingulaire antérieur) et celles qui traitent les aspects somesthésiques de la douleur (substance grise périaqueducale), impliquant les récepteurs aux endorphines (6). Des techniques comme l’hypnose améliorent objectivement certains symptômes du syndrome du côlon irritable et produisent des réductions subjectives de la souffrance (7,8). Sur la base de ces études, il semble approprié de conclure qu’une bonne relation médecin/patient peut améliorer de façon mesurable les réponses aux traitements placebo… et également aux médicaments pharmacologiquement actifs.
Empathie et EBM
En pratique, rien n’empêche de prendre une décision thérapeutique partagée et basée sur des données scientifiques solides, tout en accompagnant la consultation et la prescription d’une relation bienveillante tenant compte des demandes et des préférences du patient. Les médecines alternatives n’ont pas obligatoirement le monopole de la relation, et il serait éthique qu’elles acceptent de se hasarder à la méthode expérimentale.
Le contexte
Fin mars denier, 124 professionnels de santé publiaient une tribune où ils se lançaient à l’assaut des médecines alternatives, qualifiées de "fake medecines". Les signataires, pour la plupart médecins généralistes, s’indignaient que ces pratiques « coûteuses », ne s’appuyant sur « aucun fondement scientifique » continuent notamment d’être remboursées. Ils demandaient que ne soient plus reconnus les “diplômes” d’homéopathie, de mésothérapie ou d’acupuncture comme des diplômes ou qualifications médicales. Ils réclamaient que les médecins ou professionnels de santé qui continuent à les promouvoir ne soient « plus autorisés à faire état de leur titre ».
Cette pétition poursuit son chemin sur la toile, puisqu’en ce début de semaine, plus de 2 000 signataires ont rejoint le mouvement.
Bibliographie
1- Waber RL, Shiv B, Carmon Z, Ariely D. Commercial features of placebo and therapeutic efficacy. JAMA 2008;299:1016-7.
2- Hróbjartsson A, G tzsche PC. Is the placebo powerless ? An analysis of clinical trials comparing placebo with no treatment. N Engl J Med 2001;344:1594-602.
3- Spiegel D, Kraemer H, Carlson RW. Is the placebo powerless ? N Engl J Med 2001;345:1276.
4- Kaptchuk TJ, Kelley JM, Conboy LA, et al. Components of placebo effect: randomized controlled trial in patients with irritable bowel syndrome. BMJ 2008;336:999-1003.
5- Eisenberg DM, Davis RB, Ettner SL, et al. Trends in alternative medicine use in the United States, 1990-1997: results of a follow- up national survey. JAMA 1998;280:1569-75.
6- Wager TD, Scott DJ, Zubieta JK. Placebo effects on human mu-opioid activity during pain. Proc Natl Acad Sci USA 2007;104:11056-61.
7- Gonsalkorale WM, Miller V, Afzal A, Whorwell PJ. Long term benefits of hypnotherapy for irritable bowel syndrome. Gut 2003;52:1623-9.
8- Whorwell PJ. Hypnotherapy in irritable bowel syndrome. Lancet 1989;333:622.
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