Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur caractérisé par l’alternance d’épisodes dépressifs et d'épisodes maniaques ou hypomaniaques. Cette maladie multifactorielle associe des facteurs de vulnérabilité génétique et environnementaux. Sa prévalence en population générale est estimée à 2 %. Le début de la pathologie survient en général chez l’adulte jeune (18-20 ans) mais peut toucher tous les âges de la vie depuis l’enfance jusqu’à la personne âgée. Elle concerne autant les hommes que les femmes. Le retard diagnostique, en moyenne de 10 ans, péjore le pronostic (1). Le handicap lié à la maladie est imputable aux épisodes thymiques mais également aux comorbidités notamment addictives. Le retentissement professionnel et personnel est souvent important (2). La prise en charge s’articule autour des traitements thymorégulateurs, des différentes formes de psychothérapies, de la psychoéducation et des soins institutionnels.
SIGNES CLINIQUES
Le trouble bipolaire se caractérise par l’alternance d’épisodes maniaques et dépressifs. Selon l’intensité de la phase maniaque, on en distingue plusieurs types. Ainsi, le trouble bipolaire de type I se définit par la survenue d’au moins un épisode maniaque et le trouble bipolaire de type II par l'apparition d’au moins un épisode hypomaniaque et un ou plusieurs épisodes dépressifs caractérisés (3).
L’accès maniaque
► Pôle “opposé” de l’épisode dépressif, le syndrome maniaque typique se caractérise par trois dimensions symptomatiques : humeur exaltée, activation psychomotrice et retentissement somatique.
♦ L’humeur est exaltée, expansive, euphorique. Ce sentiment de bien-être inébranlable se traduit par des attitudes démonstratives désinhibées, une mimique joyeuse et un contact hypersyntone. La joie laisse parfois la place à une irritabilité, voire une agressivité. La personne est versatile, labile émotionnellement. Les activités quotidiennes s’orientent vers les loisirs et les situations plaisantes.
♦ L’accélération psychomotrice se caractérise au niveau psychique par une tachypsychie associée à une logorrhée, de nombreux coqs à l’âne et une fuite des idées. La vivacité d’esprit s’exprime par un ludisme, des jeux de mots ainsi que par une liberté de ton notamment à connotation sexuelle. D’un point de vue moteur, la désinhibition instinctivo-comportementale domine le tableau. L’attitude vestimentaire est souvent extravagante, inadaptée et impudique. L’instabilité motrice se retrouve dans de multiples déambulations pouvant aller jusqu’à une agitation improductive. La mimique est excessive, l’énergie inépuisable.
♦ Les aspects somatiques traduisent une perturbation de la vie instinctuelle. La diminution du besoin de sommeil est habituelle, pouvant aller jusqu’à une insomnie totale, classiquement sans fatigue. La libido est augmentée, ce qui entraîne une hypersexualité et des conduites sexuelles à risque. L’alimentation devient anarchique, avec un risque de déshydratation. Les consommations d’alcool et autres substances psychostimulantes sont courantes et à rechercher.
► L’hypomanie, forme atténuée, reste compatible avec la vie sociale. Le dynamisme, la créativité et les facilités sociales contrastent cependant avec le comportement habituel de l’individu.
► La manie délirante comprend des caractéristiques psychotiques. Les thèmes délirants maniaques typiques sont la surestimation de soi, de son pouvoir et de ses connaissances. Les mécanismes sont souvent interprétatifs et intuitifs. Chez certains patients, les thématiques sont non congruentes. Ils sont alors traversés par des hallucinations ou des idées délirantes de persécution.
► L’épisode mixte se définit par la présence concomitante de critères diagnostiques des deux types d’épisodes : dépressif majeur et maniaque. Il se rattache plus à une forme de manie qu’à une dépression.
► Devant un épisode maniaque, il importante de rechercher une étiologie secondaire (voir tableau 1).
Les épisodes dépressifs
► La sémiologie d’un syndrome dépressif franc et complet est caractérisée par une triade symptomatique (4), qui contraste avec le fonctionnement habituel du sujet et avec les périodes maniaques ou hypomaniaques :
♦ Une humeur dépressive, présente pratiquement toute la journée, signalée par le sujet ou observée par les autres : tristesse malgré soi, douleur morale lancinante, pessimisme de soi/du monde et dévalorisation sont des symptômes clés. On retrouve également un sentiment de lassitude, de désintérêt, d'émoussement voire d’indifférence affective et/ou une absence de plaisir (anhédonie) pour les activités habituelles. Des symptômes anxieux sont fréquemment observés (tension intérieure, attaques de paniques). Les pensées de mort récurrentes et les tentatives de suicide doivent systématiquement être recherchées.
♦ Un ralentissement psychomoteur : diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer. Tout dans l'attitude du sujet paraît lent et dénué de vivacité. Le mouvement est rare et le ton est monocorde. On peut observer un visage peu expressif, voire un faciès figé douloureux. Lorsque les symptômes sont dominés par l'anxiété, on peut retrouver une agitation motrice, reflet de la tension anxieuse psychique.
♦ Des signes somatiques : fatigue ou perte d’énergie quotidienne à prédominance matinale, troubles du sommeil (insomnie d'endormissement, insomnie de 2e partie de nuit ou plus rarement hypersomnie), perte ou une augmentation de l’appétit, associée ou non à une modification significative du poids (5 % en un mois), troubles de la sexualité (baisse de la libido, impuissance, frigidité) et plaintes somatiques diverses (douleurs, céphalées, troubles digestifs…).
► Les formes cliniques de la dépression sont nombreuses. Devant un épisode dépressif caractérisé, la recherche d’un trouble bipolaire sous-jacent doit être systématique. S'il n’existe pas de signe spécifique d’une dépression bipolaire, un ralentissement important associé à un retrait social, la présence de caractéristiques psychotiques (hypersomnie, hyperphagie, prise de poids), d’idées délirantes (caractéristiques psychotiques) sont toutefois des signes évocateurs (voir tableau 2).
LES COMORBIDITÉS
La prévalence sur la vie entière de l’abus ou de la dépendance d’alcool et d’autres toxiques est comprise entre de 40 % et 60 %. Le risque alcoolique est sensiblement plus important pour les femmes. Près de 2/3 des patients bipolaires ont au moins une comorbidité psychiatrique : trouble anxieux, trouble obsessionnel compulsif, TDHA ou un trouble de la personnalité (notamment borderline).
D’un point de vue somatique, le risque élevé de surpoids, de diabète de type II, de troubles thyroïdiens et d’affections cardiovasculaires impose un dépistage systématique de ces affections.
LES OUTILS PSYCHOMÉTRIQUES
De nombreuses échelles d’évaluation sont disponibles dans les troubles de l’humeur. Parmi elles, le “questionnaire sur les troubles de l’humeur” aide au repérage des antécédents d’accès maniaque ou hypomaniaque. Il est particulièrement utile en pratique quotidienne. Il s’agit d’une série de 13 questions (5).
► Avez-vous vécu une période durant laquelle votre état d’esprit était inhabituel et...
1. Vous vous sentiez si bien ou si hyperactif que les autres trouvaient que cela ne vous ressemblait pas, ou encore que votre hyperactivité vous a attiré des ennuis ?
2. Vous étiez irritable au point de crier après les gens ou d'initier des disputes ou des bagarres ?
3. Vous aviez beaucoup plus confiance en vous que d’habitude ?
4. Vous dormiez beaucoup moins longtemps que d’habitude, sans que cela ne vous dérange vraiment ?
5. Vous parliez plus rapidement ou beaucoup plus que d’habitude ?
6. Vos pensées défilaient rapidement dans votre tête ou vous n’arriviez pas à les ralentir ?
7. Vous étiez si facilement distrait par votre environnement que vous n’arriviez pas à vous concentrer ni à effectuer une tâche soutenue ?
8. Vous aviez beaucoup plus d’énergie que d’habitude, étiez beaucoup plus actif ou faisiez plus de choses ?
9. Vous étiez beaucoup plus sociable ou communicatif que d’habitude ; par exemple, vous téléphoniez à des amis au milieu de la nuit ?
10. Votre intérêt pour la sexualité était beaucoup plus grand que d’habitude ?
11. Vos actions étaient inhabituelles pour vous, ou auraient pu être jugées comme exagérées, irresponsables ou risquées par d’autres personnes ?
12. Vos dépenses d’argent vous ont attiré des ennuis, à vous ou votre famille ?
► En cas de réponse positive, on vérifie si plusieurs affirmations ont pu se produire en même temps, ainsi que leur retentissement personnel, professionnel ou juridique (aucun, mineur, modéré, sérieux).
PRISE EN CHARGE
La prise en charge pharmacologique des troubles bipolaires nécessite le plus souvent une collaboration avec un spécialiste. Ceci est d’autant plus vrai pour la prise en charge d’une dépression bipolaire. Bien que les accès maniaques soient les plus démonstratifs, ce ne sont pas eux qui posent le plus de difficultés thérapeutiques. La dépression bipolaire est le véritable enjeu du trouble. En effet, la majorité des patients bipolaires vont inaugurer leur trouble par une dépression, et risquer une monothérapie antidépressive avec des conséquences éventuelles sur l’évolution du trouble.
► L’hospitalisation doit être envisagée (HAS) en cas (6) :
– De risque suicidaire élevé
– D’épisode maniaque ou mixte
– D’agitation violente, de troubles du comportement majeurs
– De critères de sévérité de l'épisode dépressif
– De complications médico-légales d’un épisode thymique
– D’isolement social et familial
– D’épuisement des proches.
Épisode dépressif bipolaire
Les stratégies pharmacologiques de la dépression bipolaire sont relativement peu nombreuses (7). En pratique, la première étape est l’optimisation du traitement thymorégulateur. En absence de thymorégulateur, il est indispensable d’en débuter un. La seconde étape est l’utilisation du lithium en l’absence de contre-indication et après un bilan pré-thérapeutique. En absence de Lithium, un changement pour l’introduire est une option intéressante. Ensuite, l’utilisation d’un antipsychotique atypique (APA) ou d’un anticonvulsivant spécifique est indiquée. En pratique, deux molécules disposent de l’AMM : la quétiapine à 300 mg et la lamotrigine. L’utilisation d'antidépresseurs est à éviter. Si les manifestations dépressives persistent, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine sera proposé en cure courte et toujours sous couverture thymorégulatrice. La place des ECT est à discuter pour chaque cas. Ils sont en général utilisés après la 3e étape, ou plus précocement si besoin (catatonie, mélancolie délirante, succès d’une cure antérieure).
Accès maniaque
Si le diagnostic est clair et que le patient est sous traitement antidépresseur, le réflexe est d’arrêter ce dernier. Les thymorégulateurs ayant une AMM en première intention sont le lithium, le divalproate de sodium (à éviter chez la femme en âge de procréer) et certains APA tels que l’olanzapine, la risperidone, l’aripiprazole et la quetiapine. En pratique, en cas de trouble du comportement important ou d’idée délirante, on privilégiera un APA ou une association APA plus lithium ou antiépileptique (7).
Traitement préventif
Le traitement prophylactique du trouble bipolaire repose sur un thymorégulateur : le lithium ou certains antiépileptiques (divalproate de sodium, valpromide chez l’homme) sont souvent proposés en première intention. En cas de prédominance des rechutes maniaques, un traitement APA au long cours est proposé. En cas d’échec d’une monothérapie, une double thymorégulation APA + Li ou APA + antiépileptique doit être discutée.
L’approche non médicamenteuse
En première intention, on proposera souvent une psychothérapie de soutien et une psychoéducation. Cette dernière est présentée sous forme de modules permettant d’apporter des informations sur la maladie, d’aider à identifier les facteurs de décompensation et délivre des conseils importants sur la nécessité de maintenir un rythme de sommeil régulier, de limiter les décalages horaires, de bannir l’usage de toxiques et de promouvoir une activité physique régulière.
Les mesures administratives
Le trouble bipolaire est une affection longue durée relevant d’une prise en charge à 100 %. Lors d’un accès maniaque, une sauvegarde de justice doit être faite.
POINTS CLÉS
Le début de la maladie est souvent précoce (entre 15 et 25 ans). Le retard diagnostic moyen est de 10 ans. Tout épisode dépressif ou tentative de suicide doivent faire rechercher un trouble bipolaire sous-jacent. Tout trouble bipolaire doit faire rechercher un trouble lié à l’usage de l’alcool. Tout trouble lié à l’usage de l’alcool doit faire rechercher un trouble bipolaire. Le lithium reste le régulateur de l’humeur de référence.
BIBLIOGRAPHIE
Drancourt N et al. Duration of untreated bipolar disorder: missed opportunities on the long road to optimal treatment. Acta Psychiatr Scand. 2013 Feb;127(2):136-44. doi: 10.1111/j.1600-0447.2012.01917.x. Epub 2012 Aug 20. PubMed PMID: 22901015
Diagnostic and statistical manual for mental disorders. Fifth edition. 2013. Traduction française sous la direction de J.D. Guelfi et al. Masson. Washington DC. 2015.
Lish JD et al. The National Depressive and Manic-depressive Association (DMDA) survey of bipolar members. J AffectDisord. 1994 Aug;31(4):281-94. PubMed PMID: 7989643.
Ferreri F et al. Clinique des états dépressifs. EMC (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-110-A-10, 2006.
Hirschfeld RM et al. Development and validation of a screening instrument for bipolar spectrum disorder: the Mood Disorder Questionnaire. Am J Psychiatry. 2000Nov;157(11):1873-5. PubMed PMID: 11058490.
HAS. Patient avec un trouble bipolaire : repérage et prise en charge initiale en premier recours. 2015
Bourla A, Ferreri F 100 ordonnances de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Maloine 2017
Pour en savoir plus
Les troubles bipolaires. Ouvrage collectif sous la direction de Marc Louis Bourgeis. Lavoisier. 2014
Que sais-je. Les troubles bipolaires Marc Masson. Puf. 201
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)