INTRODUCTION
Le syndrome génito-urinaire de la ménopause (SGUM) est un terme admis depuis 2014 par l’International Society for de Study of Women’s Sexual Health et la North American Menopause Society pour décrire l’ensemble des symptômes génitaux externes, urologiques et sexuels liés à l’hypo-œstrogénie de la ménopause (1). Selon ces sociétés savantes, cette dénomination permet non seulement d’être plus globale et plus précise mais aussi moins culpabilisante pour les femmes.
Le SGUM est très fréquent et touche environ 27 à 84 % des patientes en postménopause (2). Il n’est cependant pas spécifique à la ménopause. On estime à environ 15 % les femmes en préménopause ayant des symptômes évoquant un SGUM (3).
Les auteurs à l’origine de cette terminologie espèrent qu’en changeant le terme de « sécheresse vaginale », trop restrictif, les patientes se sentiront plus libres d’en parler à leur praticien. En effet, le SGUM est souvent sous-diagnostiqué du fait de l’embarras des patientes (4) ou du fait de la banalisation d’un phénomène pouvant sembler normal car lié à l’âge. Finalement, à peine 25 % des femmes ayant un SGUM consulteront pour ces symptômes (3).
Une étude européenne a permis de montrer que seules 10 % des patientes ont pris l’initiative d’en parler à leur praticien (5). Il est donc nécessaire d’inviter les femmes à parler de leur santé sexuelle, particulièrement après la ménopause.
ÉTIOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE
La vulve, la partie inférieure du vagin et la vessie ont la même origine embryologique et les mêmes récepteurs aux œstrogènes. De ce fait, la carence œstrogénique aura des conséquences sur la physiologie de tous ces tissus. Même si, à la ménopause, le nombre de récepteurs aux œstrogènes diminue, il reste toujours des récepteurs résiduels. Lors de la mise en place d’un traitement œstrogénique, les récepteurs perdus réapparaissent (3). Il s’agit donc d’un phénomène réversible.
Les œstrogènes permettent une augmentation du flux vasculaire dans les tissus ayant des récepteurs. Or la lubrification vaginale est liée à la transsudation, à partir des vaisseaux sanguins, du produit de l’endocol et des glandes de Bartholin, tous sensibles aux œstrogènes. Par ailleurs, les œstrogènes favorisent la fabrication de cellules musculaires lisses dans les tissus sensibles. Or le muscle lisse aide à l’élasticité des tissus en permettant une distension plus facile. On comprend donc qu’une carence diminuera l’élasticité et la lubrification vaginale dans le SGUM.
Sur le plan bactérien, les cellules vaginales et urétrales produisent du glycogène sous l’effet de l’estradiol. Ce glycogène, qui sera hydrolysé en glucose, permet une symbiose entre la muqueuse vaginale et ses bactéries aérobies et anaérobies. La bactérie prédominante, le lactobacille, se sert de ce glucose pour produire différents acides (acide acétique et acide lactique) ainsi que du peroxyde d’hydrogène (de l’eau oxygénée). Ces différents produits permettent d’acidifier le vagin et donnent une protection naturelle contre les infections (6). L’absence d’œstrogène rompt donc la production en glycogène et permet la prolifération de certaines bactéries (7) comme les streptocoques B, les staphylocoques, E. coli. Cela augmente le risque d’infection vaginale ou urinaire ou d’inflammation (8).
Au niveau urinaire et sexuel, la carence en œstrogène entraîne une perte en collagène dans le tissu vaginal, vésical et urétral. Le mur vaginal devient plus fin, moins élastique. En conséquence, le vagin est plus court et plus étroit, cause de dyspareunie. La vessie et l’urètre sont aussi plus fins, ce qui engendre une augmentation du risque d’incontinence urinaire et de pollakiurie. Par ailleurs, les œstrogènes auraient un effet sur le trigone de la vessie et pourraient augmenter le seuil sensitif de la réplétion vésicale. La carence en œstrogène diminuerait donc ce seuil qui aurait un impact négatif sur la pression de clôture, ce qui favoriserait le risque d’incontinence urinaire (9).
Lorsque le vagin n’est pas assez lubrifié, des ulcérations et des fissures peuvent se créer et provoquer des dyspareunies. Les dyspareunies peuvent à leur tour engendrer un spasme douloureux des muscles vaginaux (vaginisme) qui va auto-entretenir les problématiques sexuelles et anxieuses autour de la sexualité (8).
SYMPTÔMES
Une fois que l’on a compris le mécanisme du SGUM, les symptômes en sont facilement déduits. Le signal d’appel le plus classique est la dyspareunie secondaire liée à une sécheresse vaginale, mais les présentations peuvent être bien plus complexes.
Comme pour certaines pathologies, comme l’endométriose, il existe une dissociation entre l’importance des symptômes et l’aspect à l’examen clinique (10). Les patientes ayant un syndrome léger à modéré peuvent être parfaitement asymptomatiques. De la même manière, il est possible qu’une patiente très symptomatique ait un examen rassurant.
L’ensemble des symptômes du SGUM se trouve dans le tableau 1. Ils se recoupent et empruntent donc des problématiques gynécologiques, urologiques et sexologiques. Les symptômes les plus fréquents sont la sécheresse vaginale (chez 75 % des patientes ménopausées), les dyspareunies (38 %), le prurit vaginal, les leucorrhées et les douleurs (15 %) (6).
Évaluer un SGUM, ses symptômes et ses conséquences
L’évaluation consiste d’abord à recueillir les antécédents et l’histoire clinique. Ensuite, une attention particulière sera portée à l’utilisation de produits potentiellement irritants comme les lubrifiants, poudres (talc…), savons, spermicides, protège-slips.
Les résultats des examens cliniques et paracliniques que l’on peut réaliser chez une femme venant pour un SGUM sont résumés dans le tableau 2. L’examen pelvien est une aide importante et permet d’éliminer des causes qui ne sont pas physiologiques. L’examen rectal n’est pas nécessaire chez une patiente ne présentant pas de signe évocateur à ce niveau. Les examens complémentaires comme le pH vaginal, l’imagerie, la cytologie vaginale ou le prélèvement vaginal ne sont demandés que sur indication dans des formes atypiques de SGUM ou peuvent être utiles pour évaluer l’efficacité du traitement.
L’examen clinique va apporter des informations complémentaires. En cas de doute sur un SGUM, un toucher vaginal délicat utilisant un lubrifiant, par exemple du gel, permet d’adapter l’examen ultérieur. S’il existe une sténose ne permettant pas le passage de deux doigts, que la longueur vaginale semble de petite taille et que la sécheresse vaginale est visible, le diagnostic de SGUM peut être posé. En cas de symptômes invitant à la réalisation d’un examen au spéculum, comme des métrorragies ou pour la réalisation d’un frottis, celui-ci devra être adapté (spéculum de vierge si nécessaire) et devra utiliser du lubrifiant (11). L’utilisation d’un gel à base d’eau, comme le gel d’échographie, est très adaptée, car il est efficace sur le confort des patientes et ne perturbe pas les résultats du dépistage du cancer du col de l’utérus (12). Si, malgré les manœuvres facilitantes, une pose du spéculum n’est toujours pas possible, la patiente pourra être adressée pour un examen spécifique comme une vaginoscopie.
L’examen au spéculum permet par ailleurs d’observer une muqueuse vaginale pâle, brillante, avec parfois des zones érythémateuses. En dehors des symptômes déjà signalés, on peut aussi observer les lacérations, une fusion des petites lèvres ou des zones lésionnelles. Un aspect vulvaire anormal (zones épaisses, zones rouges chroniques, ulcérations…) doit inviter à une consultation spécialisée gynécologique, idéalement chez un vulvologue ou un gynécologue, car il peut s’agir alors d’une autre pathologie comme un lichen scléreux, un lichen plan ou toute autre pathologie dermatologique pouvant mimer un SGUM.
PRISE EN CHARGE
La prise en charge par traitement hormonal de la ménopause (THM) permet très logiquement une amélioration des symptômes (13). Même si la balance bénéfices-risques d’un THM est favorable en population générale (14), il nécessite une discussion complémentaire auprès de la femme qui dépasse le cadre du SGUM. Même si le THM est indiqué lors d’un SGUM modéré à sévère, les sociétés savantes recommandent l’utilisation en première intention d’un traitement local (15).
L’utilisation de lubrifiants peut aider les femmes dans leur sexualité (2). Il est probable que les lubrifiants siliconés soient un peu plus favorables que ceux à base d’eau, mais ceux-ci ne sont pas compatibles avec l’utilisation des préservatifs. Cependant, certains produits hyperosmolaires ou contenant des parfums peuvent être mal tolérés. Il est recommandé de tester sur une petite zone cutanée pendant 24 heures le produit avant de s’en servir en tant que lubrifiant.
Les traitements locaux hormonaux peuvent améliorer les symptômes. Il existe beaucoup de traitements à l’œstriol en gel, en crème, en gélules ou en ovules, mais aussi en comprimés. Cependant, ces traitements passent la barrière vaginale et ont des effets sur l’endomètre (15). Il est parfaitement impossible de connaître les doses délivrées lorsque l’on utilise une crème ou un gel par exemple. Le promestriène présente l’avantage d’avoir une diffusion très faible (moins de 1 % du promestriène passe dans la circulation générale) et donc limite le risque systémique.
L’apport d’œstrogènes par anneau vaginal est un traitement intéressant dans ce syndrome. Il se change tous les trois mois, ce qui a l’avantage d’être moins contraignant que les traitements topiques (crèmes). Par ailleurs, il ne fait pas « pousser » l’endomètre, contrairement à l’œstriol (16). En l’absence d’étude spécifique, les contre-indications des traitements locaux hormonaux restent les mêmes que celles du THM (cancer du sein, de l’endomètre, hémorragie génitale non diagnostiquée…).
La déhydroépiandrostérone (DHEA, aussi connue sous le nom de prastérone) est une hormone stéroïdienne qui est intermédiaire entre les androgènes et les œstrogènes. Elle a démontré son efficacité sur le SGUM en termes de douleurs, de diminution du pH vaginal, de dyspareunie ou de sécheresse (2). Les données comparatives sont cependant manquantes pour définir sa place dans le SGUM.
Il existe des topiques à activité trophique et protectrice pouvant avoir une efficacité dans le SGUM. L’acide hyaluronique est le traitement le plus étudié dans le SGUM (17). Il peut être utilisé sous forme d’ovules, de crème, de canules à usage unique ou de pipette. Une application trois fois par semaine est un traitement suffisant dans la plupart des cas. Il a démontré son efficacité en prophylactique, notamment après traitement hormonal du cancer du sein (5). Les polycarbophiles, les produits à base d’huile d’olive et les lubrifiants ont aussi été évalués, mais les preuves sont moins fortes. L’utilisation de topiques par voie vaginale semble aussi efficace que les traitements à base d’œstriol (18).
De nombreux traitements sont inefficaces et ne doivent pas être proposés (3) : alimentation riche en soja, génistéine (isoflavone), actée à grappe, trèfle des prés, yam, fleur de calendula, ginko biloba, thé vert ou probiotiques…
En plus des traitements topiques, un changement comportemental pourra apporter du confort : arrêt du tabac, sous-vêtements pas trop serrés, vêtements amples. L’augmentation de l’activité sexuelle des patientes en fait partie. Celle-ci permet une augmentation de l’élasticité, de la lubrification. Elle améliore par ailleurs la vascularisation génito-urinaire (8). En cas d’absence de partenaire, la masturbation ou l’utilisation de jouets sexuels a montré son efficacité (6). Parler de sexualité en consultation n’est pas si difficile, mais ce moment de consultation pourra surprendre les femmes. L’utilisation de phrases « starter » pour en parler peut aider le praticien à se sentir plus confiant. Par exemple : « Aux États-Unis, il est recommandé d’augmenter son activité sexuelle par l’utilisation de la masturbation ou d’objets sexuels. Pensez-vous que cela pourrait être quelque chose que vous pourriez réaliser ? ». L’utilisation de lubrifiants à base d’acide hyaluronique ou au polycarbophile peut améliorer le confort pendant l’activité sexuelle des patientes…
Enfin, en cas d’absence de cause organique, une prise en charge psychologique ou des thérapies de relaxation peuvent être proposées aux femmes (8).
Pour apprécier l’efficacité du traitement, il peut être parfois utile de réaliser un pH et une cytologie vaginale. Le SGUM est un état chronique, un soutien est donc nécessaire pour améliorer l’adhésion et la persistance de la prise en charge.
L’amélioration des symptômes arrive en quelques semaines, mais il est classique d’attendre 12 semaines pour avoir un effet maximal (2). En l’absence de contre-indication, les traitements doivent être continués aussi longtemps que nécessaire. Même en cas d’utilisation d’œstrogènes par voie locale, il n’est pas nécessaire d’utiliser un progestatif dans le même temps ou de faire une surveillance de l’endomètre du fait de ce traitement (2).
La place du laser dans le SGUM est difficile du fait du manque de données comparatives ou à long terme (2). Une étude récente ne montre pas d’efficacité supérieure au traitement local par œstrogènes après deux ans de suivi (19).
CONCLUSION
Le syndrome génito-urinaire de la ménopause est un terme bien plus adapté que sécheresse vaginale car il exprime mieux les conséquences de la carence en œstrogène sur la sphère génitale et permettra peut-être de libérer la parole, tant du côté des femmes que des praticiens.
Même s’il ne s’agit pas d’un état pathologique, le SGUM peut générer des problématiques fonctionnelles invalidantes chez les femmes. Une prise en charge globale peut être proposée. Certains syndromes ne répondront que de manière imparfaite aux topiques à activité trophique et aux conseils non pharmacologiques. De ce fait, un traitement hormonal local ou général plus spécifique du SGUM sera parfois nécessaire.
Enfin, si l’examen est atypique ou présente une vulve pathologique, la femme devra être adressée à un spécialiste pour éliminer une cause organique.
Dr Thelma Linet (gynécologue-obstétricienne, cabinet des 5 diamants, Paris)
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