Addictologie

LE SYNDROME DES MAINS BOUFFIES

Publié le 25/10/2019
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Le “syndrome des mains bouffies” est assez fréquent chez les toxicomanes. On trouve à son origine la destruction du réseau lymphatique à proximité des zones d’injection. La prise en charge repose sur la prévention des infections cutanées de cette région plus fragilisée, et la contention pour réduire le lymphœdème.

Alain, 42 ans, SDF depuis 10 ans, consulte à la demande d’un éducateur de son foyer pour renouveler un traitement psychotrope, en l'absence de son psychiatre habituel qui le suit pour une schizophrénie. L'examen relève des œdèmes sur les deux mains, qu’Alain attribue au mésusage de buprénorphine (cliché 1) qu’il s’injectait régulièrement. C'est le syndrome des mains bouffies.

Le syndrome des mains bouffies a été décrit pour la première fois en 1965 par Abeles qui avait observé cette entité parmi les prisonniers d’un centre pénitencier de New York.

Plusieurs autres noms ont été donnés au syndrome des mains bouffies : « Puffy hand syndrome » (terminologie la plus utilisée au niveau international), syndrome de Popeye, syndrome des gants de boxe, syndrome des grosses mains.

Ce syndrome est assez régulièrement observé chez les patients toxicomanes, 7 à 16 % d’entre eux sont affectés.

ORIGINE DE CE SYNDROME

Parmi les hypothèses étiologiques, on évoque :

– Une origine infectieuse secondaire à un défaut d’asepsie lors de l’injection des produits, ce qui conduit à une altération du réseau lymphatique

– Une origine toxique sur la circulation lymphatique des substances injectées, et des « excipients » utilisés pour une facilité d’administration

Cette entité s'observe plus fréquemment chez les femmes, chez les usagers de drogue utilisant la voie sous-cutanée (souvent de manière malencontreuse) pour effectuer leurs injections, chez ceux qui n’observent pas les règles d’asepsie rigoureuses.

UN SYNDROME INDUIT PAR UN MÉSUSAGE DU PRODUIT INJECTÉ

Cas de la buprénorphine

Produit de substitution à l’héroïne, la buprénorphine s’administre par voie orale. De cette manière, le patient retrouve un effet euphorisant similaire à celui de l’héroïne.

Cependant, la buprénorphine est utilisée de manière inappropriée par 40 à 50 % des usagers.

Le patient toxicomane effectue une dilution de buprénorphine dans du jus de citron. Puis cette solution est filtrée au travers d’un coton ou d’un filtre de cigarette. Or, l’amidon de maïs, excipient contenu dans les comprimés de buprénorphine, ne permet pas d’obtenir une solubilité importante, un fait qui conduit par le biais des micromolécules d’amidon de maïs à générer une altération de la circulation veino-lymphatique.

Autres substances pouvant induire ce syndrome

En ce qui concerne l’héroïne, cette substance n’est pas injectée sans être associée à d’autres comme la quinine, ou certains produits n’ayant aucun lien avec l’industrie pharmaceutique (plâtre, farine ou sucre). Or, la quinine peut être responsable, dans les cas d’injections extravasculaires, d’un syndrome des mains bouffies.

Les « impuretés » qui « coupent » le produit induisent une obstruction voire même une destruction des canaux de drainage lymphatique.

CLINIQUE ET EXAMEN PARACLINIQUES

Le syndrome des mains bouffies n’est observé que chez les patients ayant recours de manière chronique à des injections au niveau des mains.

Cliniquement, on retrouve un œdème qui au début est intermittent et devient permanent secondairement.

à l’inspection, on n’observe plus les veines dorsales de la main, ni les tendons extenseurs.

L’œdème touche principalement le dos de la main (cette localisation est favorisée par le fait qu’il est facile d’injecter à ce niveau), et les doigts.

Il est élastique, indolore, et ne prend pas le godet.

La lympho-scintigraphie peut être effectuée (elle n’est pas nécessaire dès lors que la notion d’une toxicomanie intraveineuse est le plus souvent connue).

Cet examen permet de retrouver un retard dans la progression du marqueur ; élément qui confirme l’altération du réseau lymphatique.

LE TRAITEMENT

Plusieurs mesures peuvent être entreprises pour prendre en charge ces patients :

– Des examens réguliers des mains qui sont exposées, du fait de cette insuffisance lymphatique, à des risques infectieux plus importants.

– Des recommandations pour une protection optimale vis-à-vis du froid qui peut être responsable de plaies parfois indolores.

– Le recours à une contention nocturne avec des bandages peu compressifs, ou par le biais d’une compression élastique. Cela permet d’observer parfois une limitation du lymphœdème ; la régression totale ne pouvant être observée.

Bibliographie

1- Simmonet N, Marcantoni N, Simonnet L, et al. Volumineux œdèmes des mains chez des patients toxicomanes intraveineux au long cours. Journal des Maladies Vasculaires 2004 ; 29 : 201-204.

2- Aghajan Y, Diaz J, Sladek E. Mysterious puffy hand : « Puffy hand syndrome ». British Medical Journal 2018 ; 11 : e227578.

3- Chouk M, Vidon C, Deveza E, Verhoeven F, et al. Puffy hand syndrome. Joint Bone Spine 2017 ; 84 (1) : 83-85.

4- Delage M, Samimi M, Lebidre E, et al. Syndrome des « mains bouffies ». La Presse Médicale 2009 ; 38 (1) : 153-155.

 

Dr Pierre Frances (médecin généraliste, Banyuls-sur-Mer), Mélanie Jardot (interne en médecine générale, Montpellier), Neil Metcalfe (médecin généraliste. Programme Hippokrates. York. UK), August Petersen-Overleir (externe, Montpellier).

Source : Le Généraliste: 2886