Fréquents, chroniques et récurrents, les symptômes du syndrome de l'intestin irritable (SII) ont un fort retentissement sur la qualité de vie (6). Cette gène dans la vie quotidienne a été jugée d’un niveau élevé lors d’une enquête de la Sofres en 2001(3). La terminologie, « colopathie fonctionnelle », impropre, doit être abandonnée.
La prévalence du SII est estimée entre 8 à 10 % de la population en France au regard des critères dit de Rome III : symptomatologie dominée par une douleur ou un inconfort chronique de l'abdomen, associée à des troubles du transit (constipation, diarrhées ou alternance des deux), se majorant lors des poussées douloureuses, évoluant depuis au moins six mois et altérant la vie du patient au moins trois jours par mois, soit environ 10 % de son temps de vie.
La prédominance est largement féminine, dans la proportion de deux femmes pour un homme environ, et se site surtout dans la tranche d’âge entre 30 et 50 ans. Le coût de cette pathologie est estimé à 647 euro/an et par patient.
UN DIAGNOSTIC CLINIQUE
Les symptômes du SII sont décrits par les critères de Rome III.
- Classiquement, la douleur est le maître symptôme du SSI mais, remarque le Pr Coffin « La plainte essentielle des patients n'est pas la douleur abdominale, plus facile à gérer, c’est surtout le ballonnement abdominal qui est mis en avant par 97 % d’entre eux. »
- Les troubles du transit peuvent être évalués par l'échelle de Bristol, ou plus simplement par l’interrogatoire, pour différencier les formes de SII à :
. constipation prédominante
. diarrhée prédominante
. alternance diarrhée et constipation
. absence de troubles du transit.
-› En pratique, dans le SII, la répartition est d'environ un quart pour chacun de ccs groupes.
L’évolution de ces symptômes est intermittente, par crises de quelques heures à quelques jours. La douleur, le plus souvent à type de spasmes, et le ballonnement sont souvent soulagés transitoirement par l’émission de gaz ou de selles, ils sont augmentés en période de stress. Cette symptomatologie peut s’enrichir d’autres signes (pesanteur épigastrique, céphalées, asthénie, …).
-› L’examen clinique est pauvre avec inconstamment une sensibilité diffuse à la palpation. Le SII reste une pathologie bénigne qui n'est associée ni à une augmentation du risque de cancer du colon ni à une augmentation du risque de maladie inflammatoires de l'intestin. La pathologie est pénible pour le patient du fait de l’inconfort et de la chronicité ; à 5 ans, 50 % des sujets sont toujours symptomatiques.
PEU D’EXAMENS ET A CHOISIR AVEC DISCERNEMENT
Si s'assurer de l'absence d'une étiologie différentielle reste un réel souci pour le médecin, dans la majorité des situations rencontrées en pratique quotidienne, un diagnostic de SII peut être posé sur la seule clinique chez un patient correspondant aux critères de Rome et dont l’examen est normal (1). Le SII est un diagnostic d'élimination certes mais cela nécessite peu d'investigations. Lesquelles?
-› Examens biologiques
- NFS, VS, CRP, ionogramme sanguin. Ce simple bilan biologique a une excellente rentabilité, des anomalies étant relevées dans 1% des cas seulement. Un dosage de TSH ultrasensible peut y être associée en sachant que le pourcentage de perturbations retrouvé, 5 % des cas, est exactement identique à celui de la population générale,
- En cas de diarrhée prédominante, une recherche des Ac antitransglutaminase permet, dans de très rares cas, de diagnostiquer une maladie cœliaque, affection qui s'exprime de plus en plus souvent par des manifestations digestives frustres
- Chez les migrants ou les grands voyageurs, un examen parasitologique des selles se justifie bien que sa rentabilité soit faible
- La coproculture a un intérêt seulement en cas de diarrhées chroniques
-› Examens morphologiques
- Pas d’échographie ni de scanner. « Evitez de demander des examens morphologiques qui vont amener à découvrir des anomalies (lithiase vésiculaire, utérus fibromateux,…) sans aucun lien avec le SII, et ensuite aboutir à une escalade thérapeutique et à des interventions non justifiées », insiste le Pr Coffin qui relève que « statistiquement, les patients souffrant d'un SII subissent d'avantage d'interventions que la population générale (appendicectomie, cholécystectomie, hystérectomie). En cas de découverte d’une anomalie, demandez-vous toujours si elle a bien un rapport avec la symptomatologie du patient.» L’enquête de la Sofres indiquait que 54 % des sujets ayant un SII avaient eu une échographie abdominale et 64 % une coloscopie.
- l'indication de la coloscopie doit répondre aux recommandations générales édictées en France soit : pas de coloscopie systématique, indication seulement en cas d'antécédents familiaux ou de signes d'alarme: survenue des troubles à un âge supérieur à 50 ans, amaigrissement, présence de sang dans les selles, diarrhées chroniques (1).
UN MODELE PHSYSIOPATHOLOGIQUE MULTIFACTORIEL
L’axe cerveau–intestin met en relation plusieurs niveaux de contrôle des fonctions digestives dont les voies de régulation sont complexes. L’hypersensibilité viscérale est reconnue comme une caractéristique importante du SII mais les mécanismes impliqués dans cette hypersensibilité restent encore mystérieux.
-› Le Pr Coffin souligne qu’« on s'oriente de plus en plus vers le fait que le SII est une maladie micro inflammatoire ». Ceci pour plusieurs raisons :
- Une étude épidémiologique sur une cohorte de patients ayant présenté une gastroentérite aigue après une contamination alimentaire a permis de démontrer que ce groupe avait un risque élevé de faire un SII dans l'année ou les deux ans qui suivent l'épisode infectieux,
- Chez les patients atteints de SII, est retrouvé plus fréquemment, lors de biopsies, une infiltration de la muqueuse colique par des lymphocytes et des polynucléaires avec une augmentation des mastocytes. Ces cellules libèrent un certain nombre de substances dont des substances pro-inflammatoires interstitielles, interleukines et TNF, qui vont participer à la sensibilisation des terminaisons sensitives au niveau digestif. Dans ce groupe de patients, suite à cet état inflammatoire, il y a une augmentation de la perméabilité digestive qui favoriserait le passage de macromolécules et de bactéries qui ensuite pérennisent l’état inflammatoire.
- Beaucoup d'études sur la flore intestinale ont mis en évidence un dysmicrobisme chez les patients souffrant de SII.
-› Plusieurs mécanismes neurologiques participeraient à cette hypersensibilité. « Nous travaillons de plus en plus avec les neurologues au point qu’une nouvelle sous-spécialité voit le jour : neuro-gastro-entérologue ! » remarque le Pr Coffin. La réaction inflammatoire initiale entrainerait des modifications du seuil de stimulation de certains neurones sensitifs et cette anomalie se pérenniserait par la suite. L'hypersensibilité viscérale résulte soit d'une sensibilisation des neurones afférents primaires de la paroi digestive soit être d'origine centrale et être liée à une hyperexcitation des neurones de la corne postérieure de la moelle amplifiant les messages sensitifs d'origine digestive ou à un trouble de l'intégration des informations sensitives d'origine digestive au niveau du système nerveux central supra-spinal (2). Pet-scan et IRM fonctionnelle ont montré que la distension rectale entrainait l’activation de différentes zones cérébrales et que ces patterns étaient différents entre les sujets souffrant de SII et les sujets témoins.
-› Le terrain psychologique interfère avec la perception et l'intégration des informations sensitives d'origine digestive en maintenant notamment un niveau d'hypervigilance à ces stimuli (2.). Le stress pourrait entrainer la libération de CRF et d'interleukines favorisant un état pré inflammatoire. Des antécédents dépressifs, des avènements de vie douloureux sont retrouvés avec une prévalence supérieure à celle de la population générale (une histoire d’abus sexuel est identifiée chez environ 30 % des patients).
-› La découverte de ces phénomènes d'hypersensibilité viscérale et d'une hyper excitabilité des neurones de la corne postérieure favorisant une hyperexcitabilité médullaire éclaire d'un jour nouveau la compréhension des co-morbidités souvent associées au SII – fibromyalgie (49 %), syndrome de fatigue chronique (51 %), dyspareunie, vessie irritable, …Ces co-morbidités sont souvent méconnues.(5)
-› Benoit Coffin précise " On s'accorde à dire qu'il n'y pas un SII mais des SII qui se manifesteraient par un même phénotype, et il existe aussi probablement une susceptibilité génétique"
LA PRISE EN CHARGE
Si l'amélioration des connaissances sur la physiopathologie est considérable, elle n'a pas encore débouché sur une prise en charge réellement efficace et traiter ces sujets demeure souvent décevant. Une enquête a d’ailleurs montré que ces patients étaient mal aimés de leurs soignants du fait de leurs plaintes répétitives et du manque de solutions efficaces à leur proposer. Une meilleure compréhension de leur pathologie, une amélioration de l’échange patient-médecin, des perspectives thérapeutiques devraient pouvoir remédier à cette situation.
L’objectif du traitement vise à soulager la douleur, à diminuer l’inconfort du ballonnement et à normaliser les troubles du transit.
-› Il est démontré qu’informer le patient sur sa symptomatologie, en lui expliquant les troubles de sa sensibilité digestive et de sa motricité intestinale fait qu’il accepte mieux ses symptômes. Cette éducation thérapeutique aboutit à moins de consultations et moins de recours aux soins. Leur conseiller un article ou un ouvrage explicitant l’affection est un appoint utile. A noter qu’une coloscopie normale ne rassure pas notablement le patient et n’améliore pas les symptômes.
-› Aucun bénéfice thérapeutique n’a pu être établi avec les conseils diététiques et les régimes d’exclusion. Les fibres, trop souvent préconisées, ont souvent un effet délétère et aggravent l’inconfort intestinal et le ballonnement.
-› Régulariser le transit dans la mesure du possible est nécessaire soit avec des laxatifs (laxatifs osmotiques ou mucilages) dans les formes avec constipation soit avec des anti-diarrhéiques (loperamide par exemple) à la demande dans les formes diarrhéiques.
-› La douleur sera soulagée par les antispasmodiques. Aucune nouvelle molécule n’est apparue depuis les années 80, cependant quelques unes ont été réévaluées et ont montré une efficacité supérieure au placebo.
- Les antispasmodiques réduisent la motricité colique et le réflexe gastro-colique en réponse à l’alimentation (phloroglucinol, trimebutine, mebeverine) (2).
- Le citrate d’alverine (type Méteospasmyl*) associe deux principes actifs
- Le montmorillonite beidellitique (Bedelix*), argile naturelle, a amélioré le confort digestif de façon significativement supérieure au placébo
-› Antispasmodiques et régulation du transit correspondent, pour l’instant, au schéma thérapeutique de première intention.
En pratique, certains patients répondent à l’un de ces traitements, d’autres non ce qui va bien dans le sens de plusieurs type de SII. Comme on ne peut identifier le profil répondeur, en cas d’inefficacité, il faut passer à une autre molécule.
Agir sur l’axe « intestin-cerveau »
-› Des essais thérapeutiques ont été réalisés avec des molécules antagonistes des récepteurs la sérotonine 5-HT3, tel l’alonsantron dans les formes diarrhéiques et 5-HT4, le tegaserod dans les formes à constipation. Ces molécules qui bloquent la transmission du message sensitif, ont prouvé une efficacité de 10 % supérieure au placébo mais la survenue d’effets secondaires rares mais graves (colites ischémiques pour le premier, accidents cardio-vasculaires pour le second…) ne leur ont pas permis d’avoir l’AMM en France. Ils seraient efficaces chez les patients ayant une hyperexcitabilité médullaire ce qui représente environ deux tiers des patients et seraient inefficaces chez les autres. Actuellement, seuls des travaux de recherche permettent de déterminer les patients ayant une hyperexcitabilité médullaire (4,6).
-› Un traitement antidépresseur est préconisé chez les patients dont les symptômes douloureux résistants aux antispasmodiques. Dans ce cas, les tricycliques sont à privilégier de préférence aux IRS. On commence à doses progressive en restant à de petites doses, par exemple de l’amitrytiline à la dose initiale 5 à 10 gouttes sans dépasser 15 à 20 gouttes/jour. L’efficacité se fait sentir en 3 à 4 semaines.
-› Compte tenu de l’analogie avec les douleurs neuropathiques, des traitements antiépileptiques ont été utilisés, tel la gabapentine ( Neurontin) ou la prégabaline (Lyrica) avec un résultat positif mais, au même titre que les antidépresseurs, ils n’ont pas l’AMM dans cette indication et relèvent d’un avis spécialisé. Il ne faut pas les donner trop vite.
Alternatives non médicamenteuses
L’hypnose a prouvé une efficacité avec une diminution des symptômes et une amélioration objective de la sensibilité intestinale (40)
« Des groupes de parole seraient bien utile, mais, regrette Benoit Coffin, ils sont très difficiles à mettre en place. Il existe en France une gêne à parler de son fonctionnement intestinal et à s’afficher comme souffrant d’un SII ».
L’acupuncture n’a montré aucune efficacité suivant différentes études randomisées.
Une psychothérapie cognitivo-comportementale peut être envisagée pour des patients sévères, mais trouver des thérapeutes disponibles et convaincre les patients reste peu simple.
Les probiotiques représentent une piste intéressante compte tenu de l’hypothèse du rôle du dysmicrobisme mais on ne sait pas bien comment cela marche. Différents essais sont en cours avec des résultats positifs mais sans qu’un essai ait encore démontré une véritable efficacité. Ils ne sont pas actuellement commercialisés
Environ 20 % des patients ont recours à des traitements alternatifs type acupuncture, hydrothérapie (à proscrire formellement), probiotiques qu’ils se procurent par internet ou aux rayons bio.
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