C’est un diagnostic souvent évoqué, porté par excès mais rarement posé avec certitude. Toute réaction à un médicament n’est pas une allergie médicamenteuse. Par exemple, quand une allergie aux antibiotiques est suspectée sur des critères chronologiques parfaitement crédibles, le bilan allergologique confirme l’allergie médicamenteuse dans uniquement 20 % des cas.
La prévalence des réactions adverses aux médicaments varie entre 6,5 et 15 %, selon les études épidémiologiques. Et environ le tiers de ces réactions est attribué à une réaction d’hypersensibilité (HS) allergique ou non allergique, mais, sur la base des résultats des bilans allergologiques, seuls 10–15 % de ces réactions seraient réellement liés à une HS médicamenteuse. L’allergie médicamenteuse peut toucher n’importe quel organe cible : peau, rein, poumon, foie, SNC, cellules circulantes, … Les réactions cutanées sont les réactions d’hypersensibilité médicamenteuse (présumée) les plus fréquentes, peut-être parce qu’elles sont les plus aisément reconnues. Cet article portera uniquement sur les manifestations cutanées.
UN GRAND POLYMORPHISME
L’allergie médicamenteuse est toujours associée à un mécanisme immunologique où sont mis en cause des effecteurs de l’immunité spécifiques, c’est-à-dire immunoglobulines (de type Ig E en général) et aux lymphocytes T. Cette définition est importante, car bon nombre de réactions faisant suite à une prise médicamenteuse ressemblent cliniquement à de l'allergie, mais n'ont pas de support immunologique.
Il est important de noter qu’un médicament donné peut induire les deux types de réactions : pseudo-allergie et allergie avec une expression clinique proche. Seul le bilan immunologique peut permettre de progresser en individualisant l’existence d’Ig ou de lymphocytes T spécifique de médicament, ce qui permettra de parler d’allergie.
Caractéristiques des réactions allergiques médicamenteuses
– Un premier contact avec le médicament ne déclenche pas forcément de réaction. Une période initiale de sensibilisation est nécessaire. De ce fait, sans exposition préalable, une réaction allergique apparaît après plusieurs jours de traitement.
– les réactions allergiques peuvent apparaître à une dose bien inférieure à la posologie habituelle,
– la réaction allergique cesse habituellement à l’arrêt du traitement. Il arrive que les manifestations se poursuivent au-delà de la cessation du traitement et dans ce cas, les patients sont allergiques aux métabolites du médicament qui persistent dans l’organisme.
Classification et physiopathologie des hypersensibilités médicamenteuses
Il existe plusieurs types d’allergies classées selon le délai d’apparition des symptômes.
› Les réactions allergiques immédiates, d’hypersensibilité immédiate (Gell et Coombs type I) surviennent dans un délai très bref, moins d’une heure après la prise médicamenteuse. Les manifestations sont : urticaire, œdème de Quincke, crise d’asthme, choc anaphylactique. Cette allergie est médiée par des anticorps de type Ig E dirigés contre le médicament.
› L’allergie semi-retardée ou hypersensibilité semi-retardée. Les manifestations sont différées à 6-
15 jours, et se manifestent par une urticaire, des arthralgies et de la fièvre. C’est la maladie sérique ou pseudo-sérique autrefois appelée maladie du neuvième jour. Le mécanisme met en cause les Ig G et le complément.
Ces manifestations étaient classiquement décrites avec les sérums antitétaniques et antidiphtériques. Ces formes d’hypersensibilité semi-retardée sont encore observées avec les céphalosporines.
› L’allergie retardée, ou hypersensibilité retardée, survient au-delà des 24-48 premières heures et avant la troisième semaine. Les manifestations sont en principe des réactions d’immunité cellulaire avec des lymphocytes T réactifs contre le médicament (Gell et Coombs type IV). Les manifestations sont des toxidermies de gravités diverses. Le syndrome de Lyell ou Stevens Johnson est le plus grave, avec une mortalité de l’ordre de 20 à 25 %. Les autres toxidermies sont le DRESS (Drug rash with eosinophilia and systemic syndrom) dont la mortalité se situe entre 5 et 10 %, le PEAG (pustulose xanthématique aiguë généralisée) et l’érythème pigmenté fixe.
Aspects cliniques
Les lésions d’urticaire sont caractérisées par des papules ou macules œdémateuses d’aspect géographique, prurigineuses, de couleur rose ou rouge et blanchissant à la pression. Les lésions peuvent devenir confluentes et/ou polycycliques et sont transitoires et labiles. L’urticaire peut
être associée à un agio œdème, soit localisé (extrémités des membres, paupières, visage) ou généralisé.
Le syndrome de Lyell et de Stevens–Johnson sont des affections graves caractérisées par la destruction brutale de la couche superficielle de la peau et des muqueuses. Des prodromes (fièvre, céphalées, malaise, diarrhée) surviennent chez plus de 50 % des patients. Les lésions initiales sont sensiblement identiques à celles de l’érythème polymorphe. Cependant, la généralisation est rapide et les lésions deviennent bulleuses, nécrotiques et confluentes.
Le DRESS est un syndrome grave qui, au minimum, associe de la fièvre, une éruption cutanée, une éosinophilie, une lymphadénopathie et une hépatite. Les reins, les poumons, le cœur, la thyroïde, le cerveau et le sang peuvent aussi être touchés. Un diagnostic initial de maladie infectieuse retarde fréquemment l’arrêt du médicament en cause.
Les érythèmes pigmentés fixes (EPF) sont quasi pathognomoniques de l’allergie médicamenteuse. Elles se manifestent sous la forme de petites plaques rouges violacées. Elles disparaissent pour laisser
la place à des lésions approfondies et pigmentées qui peuvent persister, puis réapparaître à la même
place au moment de la réintroduction du médicament.
La pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG) est une réaction cutanée érythémateuse (rouge vif),œdémateuse et fébrile qui se caractérise par la survenue, dans les heures ou les jours suivants le début de la réaction, de pustules blanchâtres non folliculaires accompagnée d’une sensation de brûlure, d’un prurit.
Les médicaments responsables
Tout médicament peut être responsable d’allergie. Parmi les produits les plus fréquemment incriminés on retrouve les antibiotiques, en particulier les beta-lactamines, qui représentent la cause la plus fréquente d’allergie médicamenteuse (3, 4). L’aspirine et les AINS sont responsables d’allergies mais le plus souvent de pseudo-allergies (lire ci-après).
Les produits anesthésiques, en particulier les curares, sont aussi pourvoyeurs de réactions d’hypersensibilité ainsi que les produits de contraste. « Mais attention, l’allergie à l’iode à proprement parler n’existe pas. Il ne peut pas y avoir d’allergies croisées entre produits de contraste iodés et allergies alimentaires aux crustacés », précise le Dr Drouet.
LES RÉACTIONS D’HYPERSENSIBILITÉ NON ALLERGIQUES
Toute réaction médicamenteuse n’est pas toujours une allergie
Les manifestations qui n’impliquent pas les Ig ou les lymphocytes T correspondent alors aux « pseudo-allergies », que les effets secondaires soient dus à un effet pharmacologique ou non. Ces manifestations peuvent avoir la même gravité qu’en cas de réaction allergique. « L’intérêt de la distinction entre mécanisme allergique et non allergique est physiopathologique. Mais du point de vue pronostic, la gravité peut être la même.»
› L’intolérance médicamenteuse. Le tableau est celui d’une urticaire, d’un œdème de Quincke, d’un asthme ou d’un choc « anaphylactoïde ». Les médicaments le plus souvent en cause sont l’aspirine et les AINS essentiellement ; le paracétamol à un moindre degré.
La physiopathologie de cette intolérance repose sur des modifications de la voie métabolique de l’acide arachidonique, un déséquilibre de la production de prostaglandines pro-inflammatoires et une surproduction de leucotriènes induisant des symptômes pseudo-allergiques. « La majorité de nos suspicions d’allergie à l’aspirine entrent dans ce cadre-là de l’intolérance et non de l’allergie. Pour autant, les symptômes peuvent être très violents », précise le Dr Drouet.
› L’histaminolibération directe. Les médicaments classiquement décrits comme étant responsables de ce phénomène sont la morphine, la codéine, la vancomycine et certains curares. C’est une réaction histaminique, dite anaphylactoïde. Les médicaments vont stimuler directement les cellules mastocytaires lesquelles libèrent des médiateurs de types histaminiques qui vont induire des symptômes pseudo-allergiques. Les manifestations cliniques (urticaire, œdème de Quincke et choc « anaphylactoïde ») restent généralement moins sévères que dans l’intolérance médicamenteuse. Les accidents décrits sont souvent dose dépendants.
Une réaction post-médicamenteuse n’est pas toujours due au médicament
› L’un des mécanismes non allergiques possible est probablement l’activation de la voie du complément. Typiquement, la prise d’antibiotiques entraîne une lyse bactérienne qui peut provoquer une activation de la voie du complément. Par une cascade d’événements, via la production d’anaphylatoxines, les mastocytes dégranulent et libèrent de l’histamine. Les symptômes pseudo-allergiques se produisant dans ce cas dans les 3 à 4 heures suivant la prise médicamenteuse. On peut sans doute rapprocher de ce phénomène la réaction cutanée secondaire à la prescription d’ampicilline chez un patient atteint d’une mononucléose. Ce phénomène est probablement aussi en cause pour les réactions sous sulfaméthoxazole-triméthoprime chez des patients souffrant de sida.
› Certaines allergies médicamenteuses sont révélées par la prise concomitante d’aliments, lesquels ingérés isolément ne provoquent pas de réactions. Ce phénomène est particulièrement observé avec l’aspirine et les AINS. Il suffit d’espacer de 3 à 4 heures l’ingestion du médicament de l’horaire des repas.
LE DIAGNOSTIC ALLERGOLOGIQUE
Toute suspicion d’allergie médicamenteuse mérite d’être explorée par un allergologue. Les deux étapes menant à un diagnostic de certitude sont l’interrogatoire et la réalisation de tests, cutanés ou, à défaut, de réintroduction. « Les tests allergiques ne sont pas du tout les mêmes selon que l’on se trouve devant une allergie immédiate, retardée ou semi-retardée , précise le Dr Drouet. La chronologie des évènements et une description minutieuse sont les éléments capitaux pour orienter vers le bon test diagnostique. »
› Le diagnostic d’allergie immédiate relève des Prick test avec lecture à 20 minutes, et parfois de l’intradermo réaction. L’allergie semi-retardée relève de l’IDR avec lecture à 8 heures. L’allergie retardée est recherchée par des Epidermotest ou des IDR avec lecture tardive (J2 à J8).
Aussi, la description des manifestations doit être très minutieuse et s’attacher à la description précise de la symptomatologie et de la chronologie des symptômes (contacts antérieurs, délai d’apparition après la dernière prise, effet de l’arrêt du médicament), rechercher la prise d’autres médicaments au moment de la réaction, et de médicaments de la même classe depuis, et étudier les antécédents du patient (notion d’incidents allergiques antérieurs, en présence ou non de toute prise médicamenteuse…). Tout signe de gravité doit aussi être précisé sur l’ordonnance de demande de bilan allergologique.
› Idéalement, le bilan allergologique doit être réalisé au minimum 6 semaines après les manifestations allergiques et avant un an au maximum. Les tests ne doivent être faits ni trop tard (risque de perte de sensibilité cutanée), ni trop tôt (le stock d’histamine doit se reconstituer).
› Les tests de réintroduction sont nécessaires pour porter le diagnostic quand les tests cutanés sont négatifs et si le médicament est nécessaire. Ils sont réalisés en milieu hospitalier sous surveillance médicale. Ils ne sont pas pratiqués si le médicament responsable est peu utilisé et/ou les alternatives nombreuses.
› Les tests biologiques de diagnostic in vitro sont actuellement en cours de développement. Le dosage des IgE spécifiques n’est pas très fiable sauf pour les protéines.
CONDUITE A TENIR PAR LE MÉDECIN TRAITANT
Arrêt du ou des médicaments. Les remplacer par des molécules d’une autre famille chimique.
Préciser la maladie qui a conduit à la prescription de ce traitement, la date de début et la posologie de tous les médicaments pris par le malade.
Préciser le délai d’apparition des symptômes par rapport à la prise médicamenteuse et décrire minutieusement les lésions. (cf ci-dessus).
S’il y a des lésions cutanées complexes, il est recommandé de prendre des photographies.
Le bilan biologique comprend : NFS, VS , CRP et bilan viscéral si nécessaire (créatininémie, transaminases).
Le traitement :
– en cas de choc anaphylactique: Adrénaline 0,25 à 0,30 mg par voie IM et appeler le SAMU ou les pompiers.
– pour l’urticaire aiguë et/ou angio-œdème, on utilisera les anti-histaminiques et parfois les corticoïdes.
– pour les toxidermies, on utilise des dermocorticoïdes ou des corticoïdes par voie générale si atteinte viscérale concomitante.
Toute suspicion diagnostique doit conduire à la réalisation de tests allergologiques dans l’année qui suit les manifestations cliniques. Le diagnostic est trop souvent porté par excès, privant ainsi le patient de ressources thérapeutiques.
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