De manière générale en France, la consommation globale d’alcool, tous âges confondus, est stable. La consommation chronique diminue, remplacée par les « consommations aiguës ».
Dans les pays occidentaux, l’alcool est le premier produit toxique consommé dans la vie d’un adolescent ou d’un enfant, avant le tabac et le cannabis. Selon le Pr Picherot, « nous assistons à une alcoolisation de plus en plus précoce et les 12 – 15 ans présentent des caractéristiques qu’il est important de considérer ».
- Les jeunes adolescents ont une consommation qui se caractérise par une extrême violence qui consiste à absorber rapidement et en très grandes quantités essentiellement des alcools forts, pouvant donner lie à des alcoolémies supérieures à 2 grammes. Les jeunes n’y prennent aucun plaisir, ils n’apprécient pas le goût de l’alcool. Ils ne boivent pas pour être bien mais pour être ivres, dans des squares, des parcs, voire au collège même. Le laps de temps entre l’arrivée sur le lieu de consommation et l’ivresse est très court. Ils boivent généralement en groupes restreints mais il leur arrive de boire seuls ;
- Entre 11 et 16 ans, l’alcoolisation chronique est très rare. Plus tard, vers 16-17 ans, l’adolescent structure sa consommation (sorties, soirées) et là le risque de passage à la chronicité devient réel.
UN CONTACT DE PLUS EN PLUS PRÉCOCE AVEC L’ALCOOL
Le contact précoce avec l’alcool est confirmé par les enquêtes Health behaviour in school aged children (HBSC), portant sur des données internationales 2005–2006, et European school survey project on alcohol and other drugs (ESPAD) 2007.
Cinquante-neuf pour cent des élèves de 11 ans ont consommé de l’alcool au cours de leur vie. Ce chiffre s’élève à 72 % à 13 ans et à 84 % à 15 ans. La première ivresse survient en moyenne vers 14 ans chez les garçons et les filles, mais 9 % des garçons et 4 % des filles déclarent avoir été ivres pour la première fois à 11 ans (HBSC 2005–2006). Entre 2002 et 2006, selon les mêmes sources, les ivresses ont augmenté de manière significative : 30 % des élèves de 15 ans déclaraient avoir été ivres en 2002 pour 41 % en 2006.
Les ivresses très précoces avant 13 ans sont reconnues par 6 % des filles et 11 % des garçons en France, ce qui situe notre pays dans une moyenne faible en Europe après l’Estonie, la Lituanie, l’Autriche et le Royaume-Uni.
L’IVRESSE, CONSÉQUENCE IMMÉDIATE
L’ivresse est l’aboutissement fréquent du mode de consommation alcoolique de l’adolescent. Une enquête prospective a analysé les principales caractéristiques d’un groupe de 70 adolescents recrutés par des unités d’urgences pédiatriques (Muszlack M, Picherot G. Intoxication alcoolique aiguë de l’adolescent aux urgences : une enquête prospective multicentrique française. Alcool Addictol 2005;27:5–12.). Ainsi, les jeunes adolescents consommaient surtout des alcools forts. Le lieu de consommation était principalement l’extérieur (rue ou parcs) et moins fréquemment le domicile ou les lieux collectifs. L’alcoolisation était
sévère, avec une alcoolémie moyenne de 1,68 g/l, véritable binge-drinking, ou « alcoolodéfonce ».
Les conséquences immédiates ont été importantes :
- coma nécessitant parfois le recours à la réanimation;
- troubles de l’équilibre et du discernement ;
- hypoglycémie due à la consommation du sucre sanguin ;
- hypothermie ;
- accidents traumatiques (chutes de mobylette, etc.) qui surviennent souvent sous l’emprise de l’alcool. L’alcool est présent dans 30 à 50% des accidents mortels des adolescents et des jeunes adultes, ce qui représente le quart des décès par accident de la route ;
- agressions sexuelles. Le premier rapport sexuel a lieu dans 30% à 40% des cas sous l’emprise de l’alcool et « c’est dans ce contexte que se produisent des viols sur des adolescentes alcoolisées », précise le Pr Picherot. La relation entre type de consommation alcoolique (ivresses) et comportement sexuel des adolescents étudiée en Finlande montre la liaison entre ivresses précoces et relation sexuelle violente ou à risque
CONSÉQUENCES À MOYEN ET LONG TERME TERME
-› Les comportements répétés de binge drinking peuvent induire chez les jeunes un dysfonctionnement cérébral, précocement identifiables par l’électrophysiologie et pouvant être responsable de troubles psychiatriques graves.
La répétition de ces alcoolisations massives et aiguës entraine des lésions hypocampiques cérébrales. « Là où des alcoolisations aiguës répétées chez l’adulte entraînera des sédations répétées, chez l’adolescent elles auront des conséquences sur les capacités de mémorisation et d’apprentissages, si fondamentales chez l’adolescent », précise le Pr Picherot.
-› Le risque de dépendance à l’âge adulte pour l’alcool serait très dépendant de la précocité de l’initiation, en particulier pour des initiations avant 14 ans. Selon le travail de 2004 du National survey on drug use and health (NSUDH) aux Etats-Unis sur des adultes de plus de 21 ans considérés comme dépendants à l’alcool, il ressort que le premier contact avec l’alcool avant dix ans multiplie par sept le risque de dépendance à l’âge adulte.
POURQUOI UNE CONSOMMATION SI PRÉCOCE D’ALCOOL ?
Le rôle de la famille
Lors des ivresses des adolescents vues aux urgences
hospitalières, on retrouve schématiquement trois types de famille :
- les familles en grandes difficultés ;
- les familles en situation de dépendance à l’alcool et autres
produits ;
- les familles sans problème évident découvrant une situation
non imaginable.
« Malheureusement, nous constatons que devant des situations violentes, la plupart des adultes réagissent comme s’il s’agissait d’un passage obligé, un rite initiatique : « à leur âge, j’ai fait le même chose ». Or le fait d’avoir déjà éprouvé les effets de l’alcool n’a rien de comparable avec celui de se retrouver dans un coma éthylique qui mène aux urgences », déplore le Pr Picherot.
La famille est un cadre propice à l’initiation de la consommation. Le lieu d’initiation à l’alcool est en général familial lors d’occasions festives (finir les fonds de verre). Il exite un lien important entre la précocité d’utilisation et l’alcoolo-dépendance familiale.
Rôle de la publicité et des médias
Les adolescents sont une des cibles du marketing des
alcooliers. Les enfants et adolescents d’aujourd’hui sont les consommateurs adultes de demain. Les alcooliers développent aussi des produits « adaptés » ciblant les goûts et les couleurs préférés des adolescents.
On sait que l’initiation précoce peut être liée aussi aux
expositions précoces aux messages publicitaires à la télévision
ou sur Internet. Les adolescents réceptifs aux messages
publicitaires sont initiés plus précocement.
Rôle des pairs
Les consommations strictement solitaires sont rares. Elles
se font généralement en petits groupes, pour les jeunes
adolescents, en groupes plus larges au cours des soirées, pour
les adolescents plus âgés. Les pairs sont associés, imités,
impressionnés. On ne sait pas si « on fait comme tout le
monde » ou si « tout le monde le fait ». Le « mimétisme social »
est une donnée importante. « Le jeune abstinent » risquerait
une « moins grande adaptation sociale ».
LA « FONCTION ALCOOL » À LA PUBERTE
L’alcool favorise la conquête car il désinhibe et donne du
courage. Il facilite les échanges par la désinhibition verbale et
comportementale qu’il induit.
Boire permet de se montrer ou de se sentir plus fort vis-à-vis de ses
pairs. L’alcool, en cette période de crise, permet à l’adolescent
d’emprunter « l’identité d’un moment ».
Mais l’alcool n’a pas qu’une fonction « facilitatrice », il permet d’oublier que l’autre fait peur, qu’on manque de confiance en soi, que l’environnement est difficile, le collège un endroit où la faiblesse et le doute n’ont pas droit de cité.
L’alcoolisation constitue un véritable piège pour les adolescents les plus fragiles. Il colmate les failles d’une personnalité vulnérable et interrompt le travail psychique. Cette consommation « thérapeutique » se rencontre d’autant plus précocement que le sujet est fragile et que son entourage est lui-même en difficulté vis-à-vis de l’alcool. L’existence d’événements traumatiques dans l’enfance et l’adolescence est associée à l’alcoolisation précoce.
EN PRATIQUE
Il ne faut pas que la société s’habitue à ce phénomène. L’ivresse de l’adolescent peut révéler une souffrance profonde. Les adolescents buveurs ne sont pas des alcooliques comme les adultes. S’ils font de bonnes rencontres, le comportement alcool évolue favorablement vers une normalisation complète. « C’est là où le médecin de famille a toute sa place en transformant ce passage à l’acte en paroles », conclut le Pr Picherot.
-› L’adolescent ne doit pas être considéré comme un buveur et les structures de prise en charge de l’alcoolisme de l’adulte ne conviennent pas à l’adolescent car très centrées sur le produit. C’est une approche globale qu’il convient d’appliquer, l’alcoolisation s’inscrivant dans le cadre d’un mal être général.
-› La prise de conscience par les parents de leur rôle éducatif et des messages d’incitation qu’ils véhiculent via leur propre consommation est captale dans la mesure où le contact d’un enfant avec l’alcool doit être le plus tardif possible.
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