Une toux devient chronique lorsque sa durée excède 3 à 8 semaines (1). Parfois très invalidante, elle peut altérer la qualité de vie des patients (toux insomniante, émétisante, fracture de côte, douleur musculaire, aggravation d'une hernie ombilicale ou inguinale, incontinence urinaire, asthénie). La toux chronique est dite "native" lorsqu'elle se prolonge au-delà de 3 semaines sans contexte médical connu pouvant expliquer sa persistance, et sans tendance à l'amélioration.
Face à un tousseur chronique, la difficulté est d'orienter le diagnostic étiologique sans multiplier les examens complémentaires, et de prescrire un traitement le moins probabiliste possible. D'autant plus que le traitement symptomatique par antitussifs est généralement décevant. La démarche diagnostique est aujourd'hui basée sur les recommandations de la Société française d'ORL, et le rôle du généraliste précisé (1).
LES PREMIERS RÉFLEXES À AVOIR
Certaines causes de toux chronique peuvent rapidement être identifiées, même si leur présence ne dispense pas de "faire le tour de la question". La toux peut en effet être multifactorielle chez un même patient. La démarche consiste en premier lieu à repérer les signes de gravité (encadré 1). Puis il convient d'éliminer d'emblée certaines causes : prise médicamenteuse, coqueluche. Si cette première approche reste négative, la réalisation d'une radiographie thoracique est indispensable.
L'analyse de l'ordonnance
Certains médicaments, particulièrement les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) sont connus pour être tussigènes. Mais il faut toujours vérifier que l'installation de la toux a coïncidé avec la prise du produit. On réalise ensuite si possible un test d'éviction. Après arrêt de l'IEC, la toux met environ 4 à 6 semaines pour s'améliorer et disparaître (1).
Les sartans sont aussi à citer au rang des produits dont l'effet tussigène est certain, bien que moins fréquent qu'avec les IEC. Les bêta-bloquants, y compris en collyre, ont également été mis en cause dans les cas de toux isolée (au maximum, ils induisent un bronchospasme), ainsi que l'interféron alpha2-b et les thérapeutiques inhalées.
Pour d'autres médicaments, les données sont plus restreintes : morphine et ses dérivés, méthotrexate.
Toujours évoquer la coqueluche
La coqueluche est une cause méconnue de toux chronique chez l'adulte. La notion de contage n'est pas toujours évidente, mais le diagnostic peut être suspecté si la toux est quinteuse et émétisante ; ou si elle persiste au décours d'un épisode infectieux d'allure virale, tout en allant crescendo, devenant de plus en plus invalidante. Elle finit toujours par disparaître spontanément, mais peut durer jusqu'à 2 ou 3 mois. En pratique, le diagnostic est clinique, mais l'identification de Bordetella pertussis par PCR, aujourd'hui disponible, peut confirmer le diagnostic (2). Au stade de toux chronique, le traitement antibiotique (macrolides) est généralement peu performant, mais doit être prescrit si dans l'entourage du tousseur se trouve une personne fragile non immunisée (nourrisson non vacciné par exemple). Le traitement symptomatique est difficile, les antitussifs s'avérant bien souvent inutiles.
Incontournable : la radiographie thoracique
En dehors des cas où la responsabilité d'un médicament tussigène ou de la coqueluche est avérée, la radiographie du thorax est systématique. Le but de l'examen est de repérer certaines anomalies majeures : infection parenchymateuse, tumeur, atélectasie, pleurésie, images évocatrices de tuberculose... Lorsque la radiographie thoracique est normale, on oriente la recherche étiologique en suivant un plan d'examen "anatomique" : appareil ORL, bronchopulmonaire, système cardiovasculaire, tube digestif, sans omettre de rechercher une cause comportementale. Deux situations se distinguent alors : l'une où l'on dispose de signes d'orientation (fig 1), l'autre où l'on est en présence d'une toux isolée.
Le cas du fumeur
La toux du fumeur peut révéler une BPCO, un cancer ORL ou un cancer bronchique et toute modification des caractéristiques de la toux doit être considérée comme un signe de gravité. De façon générale, tout fumeur qui fait la démarche de consulter pour sa toux doit bénéficier d'un bilan ORL et pneumologique (1).
EN PRESENCE DE SIGNES D'ORIENTATION CLINIQUES
Les caractéristiques cliniques de la toux – productive ou sèche, diurne ou nocturne, présence de facteurs déclenchants – sont généralement peu contributives pour le diagnostic étiologique. A ce stade de la démarche, le plus simple est de mener l'examen clinique en descendant des voies aériennes vers le tube digestif (fig 1).
Toux + signes ORL
-› Les causes otologiques sont des étiologies plutôt rares de toux chronique, mais faciles à éliminer. Exemples : le bouchon de cérumen responsable d'une irritation du conduit auditif externe, ou l'otite externe. C'est le même phénomène qui explique que le simple examen otoscopique soit capable de déclencher une toux chez certains sujets.
-› On cherche ensuite un dysfonctionnement nasal chronique, terme qui englobe tous les symptômes pouvant gêner le malade au niveau de son nez. Le premier à rechercher par le généraliste est la rhinorrhée postérieure (le patient mentionne une sensation d'écoulement par l'arrière nez). Le médecin doit alors essayer d'objectiver cet écoulement au niveau de la paroi postérieure de l'oropharynx.
- Si la rhinorrhée postérieure est confirmée, mais ne s'accompagne d'aucun autre symptôme en dehors de la toux, on est en présence d'un "syndrome rhinorrhée postérieure – toux chronique" (SRP-TC). De nombreux traitements sont prescrits actuellement dans cette indication mais sans preuve évidente de leur action. De rares études médicamenteuses ont été publiées dans ce domaine. Des travaux anglo-saxons proposent de prescrire un traitement associant un décongestionnant (comme la pseudoéphédrine) et un anti-histaminique H1.
- En cas d'échec de ce traitement, ou bien en présence de symptômes autres que la rhinorrhée postérieure, il est recommandé de pratiquer un scanner des sinus, plus performant que la radiographie des sinus, et d'adresser ensuite le patient à l'ORL, sans prescrire ni antibiothérapie, ni corticothérapie systémique. Ces traitements risquent en effet de modifier les images scannographiques. Les tests cutanés allergologiques ne sont pas non plus recommandés à ce stade. Parmi les pathologies recherchées, il faut évoquer toute la pathologie rhino-sinusienne chronique : les rhinites saisonnières ou perannuelles, les sinusites localisées de la face (antérieure ou postérieure), et les rhinosinusites diffuses comme la polypose naso-sinusienne, associée ou non à des manifestations respiratoires basses dans le cadre de la maladie de Widal.
- La toux chronique post-infectieuse peut être assimilée au SRP-TC, puisqu'il persiste probablement durant quelques semaines une rhinorrhée qui contribue à irriter la muqueuse respiratoire.
-› Les symptômes témoignant d'une atteinte du carrefour aérodigestif – dysphonie, dysphagie, fausses routes, douleur ou spasmes laryngés, voire dyspnée – imposent de prendre un avis ORL. Les pathologies en cause sont les laryngites chroniques, les infections laryngées (mycoses, tuberculose), la dyskinésie laryngée, les tumeurs du pharynx ou du larynx, les pathologies d'origine musculaire ou neuro-musculaire, les goitres comprimant la trachée…
En cas de suspicion de diverticule de Zenker, le médecin traitant peut cependant lancer la recherche étiologique. Cette pathologie se manifeste chez les sujets âgés par une dysphagie apparaissant en cours de repas, associée ou non à des fausses routes et/ou à une toux. Le repas est suivi de régurgitations d'aliments non digérés, et c'est parfois le patient lui-même qui fait remonter ces aliments par pression au niveau du cou. Ces symptômes sont liés à l'accumulation du bol alimentaire dans une hernie – le diverticule de Zenker - située juste en dessous de la bouche œsophagienne. L'examen à demander préalablement à la consultation ORL est le transit pharyngo-œsophagien en spécifiant que le but de cet examen est de rechercher un diverticule pharyngo-œsophagien de Zenker.
Toux + symptômes bronchopulmonaires
-› L'asthme peut se manifester par une toux persistante, isolée ou accompagnée d'épisodes de sibilance ou d'oppression thoracique. L'EFR est l'examen clé, à la recherche d'un trouble ventilatoire obstructif (réversible après administration d'un bronchodilatateur) ou d'une hyperréactivité bronchique sans syndrome obstructif. Dans ce dernier cas, l'asthme étant probable mais pas certain, un test thérapeutique par corticoïdes inhalés est indiqué.
-› En cas de BPCO, la toux s'accompagne d'une expectoration muqueuse matinale, généralement dans un contexte de tabagisme chronique. Le diagnostic là aussi est spirométrique, l'EFR objectivant un syndrome ventilatoire obstructif, peu réversible sous bronchodilatateur, dont la sévérité détermine le stade de la BPCO.
-› La toux du cancer bronchopulmonaire peut s'accompagner d'hémoptysie, signe de gravité qui impose une prise en charge rapide. Toute modification de la toux chez un fumeur est aussi à prendre au sérieux et nécessite un bilan pneumologique.
Toux + signes cardiologiques
Une toux qui survient à l'effort ou en décubitus et qui s'accompagne d'une dyspnée doit faire rechercher une insuffisance ventriculaire gauche, et orienter le patient vers le cardiologue (la dyspnée d'effort associée à la toux fait partie des signes de gravité).
Toux + RGO
La toux chronique peut faire partie du tableau clinique du reflux gastro-œsophagien, associée ou non au pyrosis ou aux régurgitations acides. Premier élément à vérifier en cas de suspicion de RGO : l'absence de signes d'alarme (amaigrissement, dysphagie, anémie). Leur présence justifie de réaliser d'emblée une endoscopie digestive haute. L'âge supérieur à 50 ans et la sévérité des symptômes de RGO constituent également un motif de recours à l'endoscopie.
Chez les malades qui présentent des symptômes digestifs de RGO non sévères ou des antécédents d’œsophagite modérée sans endobrachyœsophage, la majorité des auteurs recommandent d’entreprendre d’emblée un traitement médical du RGO. En dehors des mesures hygiéno-diététiques, il repose sur les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) prescrits durant 2 mois à une dose double de celle recommandée dans le traitement des œsophagites (1). Après quoi on réalise une fenêtre thérapeutique. La rechute justifie le maintien d'un traitement continu en recherchant la dose d'IPP minimale efficace, mais un avis gastro-entérologique est souhaitable.
Toux + contexte allergique
Le dosage d'IgE spécifiques au hasard n'est pas recommandé. Le dosage des IgE totales non plus. Mais il est possible de demander des tests sériques multi-allergéniques de dépistage (type Phadiatop pour les aéro-allergènes). Pour autant, un terrain atopique ne peut à lui seul expliquer une toux chronique.
Toux + signes comportementaux
Certains traits de personnalité (phobique, obsessionnelle…) ou des troubles anxio-dépressifs peuvent être responsable d'une toux chronique et nécessiter un traitement spécifique. Il s'agit d'un diagnostic d'élimination.
SI LA TOUX EST ISOLEE (1)
-› Lorsque la toux est réellement isolée et que la radiographie thoracique est normale, la Société française d'ORL recommande de commencer par un traitement d'épreuve d'une rhinorrhée postérieure (anti H1 de 1ère génération + pseudoéphédrine) dont on suppose qu'elle peut exister sans être ni ressentie par le patient, ni objectivée par l'examen du médecin. Si ce traitement est efficace, les corticoïdes locaux prescrits pendant 3 mois viennent consolider ce résultat.
-› En cas d'échec de ce premier traitement, une EFR doit être réalisée à la recherche d'un asthme ou d'une hyperréactivité bronchique. En cas de trouble ventilatoire obstructif réversible, un traitement de fond de la maladie asthmatique est mis en route. En cas d’hyper-réactivité bronchique sans TVO, un traitement d’épreuve par corticoïdes et/ou bronchodilatateurs inhalés pendant un mois est recommandé.
-› En présence d'une EFR normale, ou bien lorsque le traitement d'un asthme avéré reste sans effet sur la toux chronique, La SFORL recommande en 2006 un traitement d'épreuve anti-reflux, selon les modalités déjà décrites (1). Mais en 2007, dans ses recommandations sur les antisécrétoires chez l'adulte (3), l'Afssaps précise en 2007 "qu'il n’y a pas de preuve de l’efficacité des antisécrétoires dans le soulagement des manifestations extra-digestives isolées telles que les symptômes ORL, la toux chronique, l’asthme, les douleurs thoraciques d’origine non cardiaques". Même remarque en 2009 de la part de la HAS dans une fiche de bon usage des médicaments portant sur les IPP chez l'adulte : "Les IPP n’ont pas d’AMM dans le soulagement de manifestations extradigestives isolées pouvant être liées à un RGO, telles que symptômes ORL, toux chronique, asthme ou douleurs thoraciques d’origine non cardiaque. Il n’y a pas d’intérêt à les prescrire dans ces situations, sauf en cas de RGO documenté (par pHmétrie par exemple), mais non en traitement d’épreuve ou test thérapeutique".
-› Si aucun de ces traitements ne parvient à faire disparaître la toux, des explorations spécialisées de seconde ligne sont recommandées, en commençant par le pneumologue, puis en s'adressant à l'ORL et au gastro-entérologue. Un bilan négatif doit orienter vers une origine comportementale.
Lorsque aucune étiologie, organique ou psychogène, n'a été identifiée, le traitement antitussif peut être proposé.
-› Si plusieurs causes ont été mises en évidence, des associations thérapeutiques peuvent être utilisées.
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