Éviter le redoutable passage à la chronicité et à la désinsertion socioprofessionnelle des lombalgiques : c’est l’objectif de l’Assurance maladie, en association avec le Collège de la médecine générale, la Société française de rhumatologie, la Société française de médecine physique et réadaptation, la Société française de médecine du travail et le Collège de la masso-kinésithérapie dans une campagne de sensibilisation du grand public et des médecins qui court sur les médias depuis fin 2017.
► La lombalgie commune est avant tout une problématique de premier recours :
prévention primaire (via le repérage des situations à risque et les conseils d’hygiène de vie), prévention secondaire (éviter les récidives et le passage à la chronicité), prévention tertiaire (diminuer les souffrances, préserver l’autonomie), prévention quaternaire (éviter les examens inutiles et l’iatrogénie).
► Sur le plan curatif, toutes les recommandations françaises et internationales convergent vers le maintien de l’activité physique dès les premiers symptômes, dans le cadre d’une prise en charge globale bio-médico-psycho-sociale individualisée.
BEAUCOUP ET TOUJOURS PLUS
On considère qu’au moins 4 Français sur 5 souffriront de lombalgie commune au cours de leur vie. Un médecin généraliste reçoit chaque année plus de 90 patients pour ce symptôme : c’est le 4e motif de recours des 40-50 ans, devant l’HTA. En ville, les lombalgies occasionnent 30 % des actes de kinésithérapie.
L’incidence de la lombalgie commune augmente régulièrement : + 15 % entre 1995 et 2009 selon le dictionnaire des résultats de consultation de la SFMG (1).
DU LUMBAGO À L’INVALIDITÉ
Dans 90 % des cas, la lombalgie commune guérit en 4 à 6 semaines. Parmi les 10 % restants, on observe que 3 % évolueront vers un mode subaigu, et 7 % deviendront chroniques, c’est-à-dire évoluant depuis plus de trois mois.
Avec 900 millions d’euros de dépenses par an (dont 170 pour l’indemnisation des arrêts de travail), les lombalgies constituent un enjeu sanitaire aux répercussions humaines et socio-économiques majeures :
– 15 % des accidents de trajet
– 167 000 accidents de travail (AT) en 2015, soit 25 % des AT avec arrêt indemnisé : les classes sur-représentées sont les emplois dans les transports, l’eau-assainissement-déchets, la santé humaine-action sociale, la construction
– 30 % des arrêts de travail de plus de six mois
– 7 % du total des maladies professionnelles
– première cause d’invalidité au travail chez les moins de 45 ans, troisième cause d’admission en invalidité pour le régime général.
Se dessine donc potentiellement un continuum de la lombalgie commune aiguë vers la lombalgie chronique avec invalidité.
TRAQUER LES DRAPEAUX ROUGES
La lombalgie commune de l’adulte est d’abord un diagnostic d’élimination :
l’interrogatoire et l’examen clinique doivent en premier lieu éliminer les signes d’alerte ou “drapeaux rouges” (figure 1). Leur présence impose des examens complémentaires voire des gestes urgents.
Par exemple, un rythme inflammatoire doit faire évoquer une spondylodiscite infectieuse ou un rhumatisme inflammatoire ; pour étayer ces deux hypothèses, il faudra d’emblée faire réaliser une imagerie et rechercher un syndrome inflammatoire biologique.
Lors de la prise en charge initiale, en l’absence de signe d’alerte, la clinique est suffisante pour poser le diagnostic de lombalgie commune, et l’imagerie est inutile. En particulier, si un effort déclenchant peut faire évoquer une atteinte discale, il n’y a pas d’urgence à en apporter la preuve diagnostique en l’absence de signe de gravité (déficit neurologique, troubles sphinctériens, radiculalgie hyperalgique).
► Actuellement, ces recommandations ne sont pas respectées, puisque d'après les chiffres de l’Assurance maladie concernant les accidents de travail (2), 63 % des patients bénéficiaient d’une imagerie lombaire dans le premier mois suivant le début de l’arrêt de travail, et 12 % étaient adressés à un chirurgien.
Si l’épisode aigu évolue favorablement, les recommandations s’accordent sur l’absence d’intérêt de la réalisation d’une imagerie dans les quatre à six premières semaines. En médecine générale, moins de 1 % des lombalgies aiguës sont secondaires (14).
ET REPÉRER LES DRAPEAUX JAUNES !
À l’inverse, une lombalgie évoluant depuis plus de six semaines (= lombalgie subaiguë) ou récidivante doit interpeller.
► Un nouvel examen clinique permet de requestionner le diagnostic et de s’assurer de l’absence de complication. Une évolution cyclique alternant périodes algiques et sans douleur évoquera une pathologie inflammatoire, une chondrocalcinose ou une pathologie dégénérative type arthrose, ou maladie de Paget selon l'âge du patient. Une évolution progressivement croissante doit faire évoquer une pathologie infectieuse ou tumorale.
► Même si une minorité de patients garde une limitation fonctionnelle persistante après le stade aigu, l’intérêt d’un repérage et d’une prise en charge précoce (à six semaines) des patients ayant des facteurs de risque de chronicité est une donnée nouvelle. C’est à la phase subaiguë que la lombalgie bascule ou non vers la chronicité.
► Ces facteurs de risque dépassent le strict modèle biomédical. Si les liens entre facteurs psychosociaux et chronicisation restent encore mal compris, le médecin généraliste – par sa connaissance globale du patient et son suivi longitudinal – a une place de choix pour les repérer :
1- Attitudes et représentations inappropriées par rapport au mal de dos. Par exemple : « La douleur représente un danger et peut entraîner un handicap grave ». On retrouve souvent un comportement passif, où le patient lombalgique attend une solution de la part des soignants plutôt que de s’impliquer activement dans sa guérison. Là encore, l’éducation thérapeutique est au cœur de la prise en charge.
2- Comportements inappropriés pour échapper la douleur : évitement ou réduction des activités. 7 Français sur 10 estiment ainsi que le repos est le meilleur remède à une lombalgie (7). La peur de la douleur peut être plus handicapante que la douleur elle-même.
3- Problèmes liés au travail (insatisfaction professionnelle, environnement jugé hostile) ou liés à l’indemnisation (rente, invalidité). La coordination avec le médecin du travail (actuellement sous-utilisée) est alors utile.
4- Troubles émotionnels : stress, troubles anxieux et/ou dépressifs, tendance à l’isolement. La dépression est un facteur majeur du maintien à long terme des symptômes douloureux. Le déconditionnement du patient (désadaptation à l’effort) conduit à l’incapacité, qui majore le ressenti négatif du vécu douloureux, alimente les peurs/croyances et pérennise la lombalgie.
► Ces facteurs, en particulier lorsqu’ils sont associés, sont reconnus pour augmenter le risque de cercle vicieux et de chronicité (figure 2).
BOUGER À CHAQUE STADE !
► Au stade de lombalgie aiguë, la douleur est le plus souvent soulagée par des antalgiques de palier 1 ou 2 +/- associés à des AINS.
Un arrêt de travail peut être nécessaire en fonction du contexte. La durée de référence de cet arrêt dans une fiche Repère de la Cnam est de « zéro jour » dans le cas général et de 5 jours « si l'intensité des douleurs le justifie » (avec une réévaluation au terme de l'arrêt).
► Un impératif dans la lombalgie aiguë : reprendre au plus vite et progressivement les activités du quotidien si elles ont été interrompues. La guérison musculaire passe par la mobilisation et non par le repos. Le patient doit être rassuré sur l’absence de danger lié à la poursuite ou reprise précoce des activités. Les antalgiques et les mesures anti-douleur (chaleur, étirement…) en général peuvent aider au maintien de l’activité, et le patient doit comprendre qu’en termes de pronostic fonctionnel, il est largement préférable de « bouger sous antalgiques » que de rester alité faute d’anti-douleur.
► Des prescriptions non recommandées à la phase aiguë peuvent favoriser la chronicisation.
Les méthodes passives (glace, ondes courtes diathermiques, massages, ultrasons, TENS), communément utilisées comme soulagement symptomatique, sont sans effet sur le devenir clinique (1).
► La rééducation active peut être mise en place dès la fin de la phase aiguë.
LA RÉÉDUCATION
Il existe suffisamment de preuves solides pour prescrire une rééducation fonctionnelle kinésithérapeutique dans la lombalgie chronique. Aucune méthode n’a montré sa supériorité. On ne sait pas non plus chiffrer la durée idéale des séquences, leur intensité optimale ni leur fréquence : l’essentiel est bien de faire bouger les lombalgiques.
1- Le massage et le réchauffement local par des techniques de physiothérapie, agréablement perçus et vécus comme bénéfiques, peuvent être le premier temps d'une séance de kinésithérapie, en ce qu’ils facilitent la relation patient-thérapeute. Toutefois, il ne peut s'agir que d'un adjuvant de courte durée.
2- La rééducation proprioceptive ainsi que l'amélioration de la mobilité lombo-pelvienne avec, entre autres, l'apprentissage de la bascule du bassin.
3- L'apprentissage du verrouillage lombaire en position intermédiaire.
4- L'amélioration des performances musculaires :
– des extenseurs du rachis en travaillant l'auto-grandissement et les exercices de posture,
– des abdominaux pour leur rôle dans le verrouillage lombaire et le caisson abdominal;
– des quadriceps, puisqu'il faut préférer la flexion des hanches et des genoux à la flexion antérieure du tronc.
5- L'assouplissement de l'étage sous-pelvien, notamment l’étirement des ischiojambiers
– très souvent rétractés chez les lombalgiques –, et des droits antérieurs.
6- Le reconditionnement à l'effort et la reprise d’une activité aérobie.
7- Les écoles du dos ont une efficacité démontrée lorsqu'elles sont organisées en milieu professionnel. Elles permettent au lombalgique de mieux comprendre sa pathologie, d’apprendre les principes d'économie rachidienne dans les gestes de sa vie quotidienne et à devenir acteur de sa prise en charge.
► En pratique, les patients réalisent relativement peu par eux-mêmes leur auto-programme, et/ou ne maintiennent pas les changements comportementaux à long terme. La rééducation fonctionnelle peut soutenir l’observance. Ses prescriptions doivent être plus rigoureuses : dans l’étude 2014 de l’Assurance maladie sur les arrêts de travail (2), 1 patient sur 5 avait bénéficié de séances dans le premier mois de lombalgie, tandis qu’1 sur 3 n’avait bénéficié d’aucune séance après 1 an d’arrêt de travail !
QUAND SOLLICITER LES SPÉCIALISTES ?
Un avis spécialisé peut être demandé à partir de la phase subaiguë (6 semaines d’évolution) : on sollicite le rhumatologue ou bien le spécialiste de médecine physique et de réadaptation. Le recours au spécialiste peut être utile à la démarche étiologique. Par contre, recourir à un avis spécialisé n’impose pas obligatoirement une imagerie préalable !
► Le chirurgien est encore trop souvent sollicité. Or, les recommandations sont précises : la solution chirurgicale ne doit être envisagée qu’après avis médical spécialisé. Peu d’études laissent penser que cette solution puisse être bénéfique, alors qu’elle est à risque de complications graves et coûteuses. En particulier, des données probantes existent en défaveur de l’arthrodèse (en l’absence de pathologie structurale focale symptomatique), alors que de nombreuses interventions de ce type ont été pratiquées depuis plus d’un demi-siècle. Pire : la chirurgie est systématiquement défavorable sur un rachis dégénératif multiniveau (1).
► Dans les lombalgies chroniques sans radiculalgie, la balance bénéfice/risque des injections de corticoïdes n’est pas non plus favorable, comparée aux résultats de l’infiltration péridurale d’une radiculalgie d’origine discale. De plus, l’amélioration éventuelle ne dure généralement que quelques semaines. Avant tout, la lombalgie sans radiculalgie n’est pas un état inflammatoire !
SURMÉDICALISATION ET PRÉVENTION QUATERNAIRE
► Il n’y a généralement aucun intérêt à multiplier les examens d’imagerie ou de laboratoire. Les “anomalies” radiologiques (arthrose interapophysaire postérieure, discopathies dégénératives…) asymptomatiques sont courantes et leur prévalence augmente avec l’âge. De plus, la corrélation radio-clinique est mauvaise : il est impossible de distinguer les radiographies de lombalgiques de celles de sujets de même âge ne souffrant pas du dos. En conséquence, le taux de résultats faussement positifs est élevé chez les personnes atteintes de lombalgie et la plupart des anomalies décrites n’ont aucun lien avec le tableau clinique. Prescrire une imagerie non justifiée expose à un risque de surmédicalisation, d’“étiquetage” et d’interventions inappropriées.
► La surmédicalisation est enfin une source de stress pour le patient, particulièrement délétère puisque le lombalgique redoute une atteinte grave et a tendance à limiter ses activités. Au total, un diagnostic, le plus souvent injustifié, de lésion vertébrale ou discale dans les 7 premiers jours d’évolution augmente de près de 5 fois (20) le risque d’évolution chronique en comparaison aux diagnostics non spécifiques (douleur, tour de reins, dérangement).
Bibliographie
1- Société Française de Médecine Générale. Lombalgie commune en soins premiers. Mars 2017. Disponible sur http://www.sfmg.org/data/generateur/generateur_fiche/1366/fichier_lomba…
2- Ameli.fr. Quelques éléments d’information destinés aux professionnels de santé concernant le patient adulte atteint de lombalgie commune. 2017. Disponible sur https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/346618/document/lomb…
3- CPAM. Fiche repère arrêt de travail « lombalgie commune ». Octobre 2017. Disponible sur https://www.ameli.fr/sites/default/files/Documents/347659/document/2017…
4- Ameli.fr. Lombalgie aiguë. Disponible sur https://www.ameli.fr/hauts-de-seine/assure/sante/themes/lombalgie-aigue
5- Srour F, Teyras M. Même pas mal ! Le guide des bons gestes et des bonnes postures. Septembre 2016, Paris. Editions First.
6- Gatchel RJ, Polatin PB, Mayer TG. The dominant role of psychosocial risk factors in thedevelopment of chronic low back pain disability. Spine. 1995 Dec 15;20(24):2702–9
7- Baromètre BVA pour l’Assurance Maladie, « Connaissances et attitudes vis-à-vis de la lombalgie – Regards croisés grand public-médecins généralistes », juillet 2017
8- Buchbinder R et coll. : Population Based Intervention to Change Back Pain Beliefs and Disability: Three Part Evaluation ». BMJ2001 ; 322: 1516 1520
9- Neys J. Enquête sur la prise en charge de la lombalgie aiguë commune en médecine générale dans le département du Nord. Thèse pour le doctorat en médecine dirigée par le Pr Glantenet R. Université du droit et de la Santé Lille-2, mars 2014. Disponible sur http://pepite-depot.univ-lille2.fr/nuxeo/site/esupversions/edfc6224-e56…
10- Nguyen C, Poiraudeau S, Revel M, Papelard A. Lombalgie chronique: facteurs de passage à la chronicité. Revue du rhumatisme. 76(6):537-542
11- COST B13: European guidelines for the management of low back pain. Eur Spine J. 1 mars 2006;15(2):s125 s127
12- Benhamou M, Brondel M, Sanchez K, Poiraudeau S. Lombalgies. EMC - Traité de médecine AKOS. juill 2012;7(3):1-6
13- Chou R. et al , Imaging strategies for low-back pain : systematic review and metaanalysis. Lancet 2009 ; 373 : 463–72
14- Tempereau AS. Interventions en soins primaires sur les facteurs de risque psychosociaux dans la lombalgie (sub)aiguë : revue de littérature [Thèse : Med ]. Université d’Angers ; 2011 : 1-37
15- Coudeyre E, Tubach F, Rannou F et al.. Fear avoidance beliefs about back pain in patients with acute LBP.. Clinical Journal of Pain, Lippincott, Williams & Wilkins, 2007, 23 (8), pp.720-5. Disponible sur https://hal-univ-diderot.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/202214/f…
16- Rozenberg S, Allaert F-A, Savarieau B, Perahia M, Valat J-P. Attitude thérapeutique et place du maintien d’activité dans la lombalgie aiguë en pratique de médecine générale. Revue du Rhumatisme. janv 2004;71(1):65-69
17- Gibson JN, Grant IC, Waddell G. The Cochrane review of surgery for lumbar disc prolapse and degenerative lumbar spondylosis. Spine 1999;24:1820-3
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19- Balagué F, Cedraschi C. Examens radiologiques chez les patients lombalgiques: anxiété du patient? Anxiété du thérapeute? Rev Rhum 2006;73:895-901
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