ÉPIDÉMIOLOGIE
La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est une maladie pulmonaire fibroproliférative irréversible. Elle concerne plus de 9000 patients en France, avec au moins 4400 nouveaux cas/an.
► L'étiologie reste incertaine. La susceptibilité à la FPI est probablement déterminée par des facteurs génétiques (5 à 10% sont des formes familiales) et environnementaux qui restent à préciser (fumée de cigarette, poussières de bois et de métaux, RGO, infections virales ?). Un antécédent de tabagisme est le facteur de risque le plus fréquent.
► Avant de qualifier la fibrose d’idiopathique, les autres causes doivent être exclues : médicaments (voir www.pneumotox.com), antigènes inhalés, pneumoconioses (silicose, asbestose…), cancers primitifs ou secondaires, sarcoïdose, connectivites ou autres maladies systémiques type polyarthrite rhumatoïde.
DÉCOUVERTE
La FPI débute entre 60 et 70 ans, avec une légère prédominance masculine (prévalence de 1/5000 chez les hommes et 1/7700 chez les femmes). Chez les hommes de plus de 75 ans, l’incidence est proche de 1/1000. Elle est très rare avant 50 ans.
De plus en plus fréquemment, la découverte est fortuite, sur une imagerie (coupes thoraciques d’un scanner abdominal, scanner thoracique de dépistage du cancer bronchique, coroscanner). Sinon, la maladie est révélée par une dyspnée d’effort d’installation progressive, ou une toux non productive. Les signes généraux sont rares. Les râles crépitants secs (« velcro ») des bases sont constants. L’hippocratisme digital est présent dans près de la moitié des cas.
EXPLORATIONS
► La radiographie montre des opacités réticulaires périphériques prédominant nettement aux bases, et une réduction du volume pulmonaire. Elle peut être normale au début.
[[asset:image:11688 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Monsieur G, 68 ans, ing\u00e9nieur agronome \u00e0 la retraite, consulte pour une dyspn\u00e9e d\u2019effort depuis 3-4 mois, progressivement croissante. Il s\u2019agit d\u2019un patient sans ant\u00e9c\u00e9dent ni allergie, sans surpoids, actif, ancien fumeur (15 PA) ; mais sa pratique r\u00e9guli\u00e8re du v\u00e9lo est maintenant plus p\u00e9nible. Votre auscultation retrouve des cr\u00e9pitants \u00ab velcro \u00bb des deux bases. Vous prescrivez dans un premier temps une radiographie du thorax, qui semble normale. Vous demandez finalement une TDM thoracique. En effet, la pr\u00e9sence de cr\u00e9pitants \u00e0 l\u0027auscultation, doit faire demander un scanner thoracique (coupes fines, sans injection), meme si la radio pulmonaire parait normale."]}]]► La FPI se traduit au scanner thoracique (en coupes fines, sans injection) par des opacités réticulaires des bases réalisant un aspect pseudo-kystique sous-pleural en « rayon de miel », des bronchectasies de traction, et des signes de distorsion du parenchyme pulmonaire, avec peu d’opacités en verre dépoli. Cet aspect caractéristique dit de « pneumopathie interstitielle commune » est présent dans la moitié des cas.
► Les EFR retrouvent un trouble ventilatoire restrictif (CV et CPT diminuées) souvent déjà important lors du diagnostic.
Il existe une diminution de la DLCO et du coefficient de transfert (DLCO/VA). L’hypoxémie est souvent absente au repos mais est démasquée à l’exercice, s’accentuant avec l’aggravation de la maladie. La diminution de la Sp02 et de la distance parcourue en 6 minutes permet, de manière simple et reproductible, d’apprécier le retentissement fonctionnel et la réduction de l’aptitude à l’exercice.
► L’apport diagnostique du lavage broncho-alvéolaire (LBA) est surtout important lorsque la présentation radiologique n’est pas typique.
► L’échographie cardiaque peut montrer une HTAP parfois sévère et « disproportionnée » par rapport à l’hypoxémie.
POSER LE DIAGNOSTIC
Si l’aspect au scanner est typique de pneumopathie interstitielle commune, et les données cliniques, EFR et du LBA sont compatibles avec le diagnostic, la biopsie n’est pas nécessaire au diagnostic[vc1] [E2] .
Toujours difficile, le diagnostic est à la fois pluridisciplinaire (pneumologue, radiologue, anatomo-pathologiste expérimentés, idéalement dans un centre spécialisé) et dynamique (réévaluer le diagnostic lorsque l’évolution n’est pas conforme au pronostic attendu de la maladie).
► Actuellement, le délai diagnostique moyen est de plus d’un an. La moitié des patients reçoivent un mauvais diagnostic initial (asthme, BPCO, insuffisance cardiaque…). Les patients doivent être orientés au plus tôt dans un Centre de Compétence ou de Référence, afin d’établir un diagnostic et une prise en charge thérapeutique plus précoces. Le travail en réseau est nécessaire et un avis spécialisé peut être sollicité, sur l’imagerie ou l’ensemble du dossier (voir sur www.maladies-pulmonaires-rares.fr ).
LE PRONOSTIC : SOMBRE, MAIS…
La maladie évolue progressivement vers l’insuffisance respiratoire chronique et le décès, avec une médiane de survie à 3 ans, et seulement 10% de survie à 10 ans, avec d’importantes différences interindividuelles. Ces chiffres sombres datent cependant de l’ère précédant les traitements actuels.
Plusieurs études récentes ont permis d’identifier des facteurs pronostiques qui aident à mieux informer le patient et éventuellement à guider les choix thérapeutiques, et notamment une transplantation pulmonaire (jusqu’à un âge physiologique de 65 ans environ). La prédiction du pronostic vital à 1, 2 et 3 ans peut être réalisée par le score GAP basé sur l’âge, le sexe et le retentissement sur la fonction respiratoire (http://www.acponline.org/journals/annals/extras/gap/ )
► La dégradation des EFR au cours des mois suivant le diagnostic est un facteur péjoratif majeur, de même qu’une Sp02 <88% lors du test de marche de 6 minutes, la survenue d’une HTAP, l’altération importante de la DLCO, et l’étendue des lésions en rayon de miel. [vc1] [vc2]
► En cours d’évolution, il peut survenir (5-10% des patients en 2 ans de suivi) des phases d’aggravation rapide de la maladie (c’est « l’exacerbation de fibrose », définie par une aggravation récente de la dyspnée de moins de 30 jours) dont le pronostic est très sombre. Il faut alors éliminer les autres causes d’aggravation clinique : infection, embolie pulmonaire, insuffisance cardiaque gauche, apparition d’une HTAP sévère. Plus de 50% des patients hospitalisés pour une exacerbation aiguë de la FPI meurent dans les mois qui suivent.
Les patients ayant une FPI ont également un risque accru de cancer bronchique (RR >7), et de nombreuses comorbidités (emphysème, pathologies cardiovasculaires, apnées du sommeil).
LE TRAITEMENT : ENFIN ?
Des multiples traitements maintenant abandonnés ont été utilisés ou testés : corticoïdes +/- immunosuppresseur, N-acétylcystéine, colchicine, ciclosporine, étanercept (anti-TNF alpha), interféron-ɤ, coumadine, bosentan (antagoniste des récepteurs de l’endothéline-1), imatinib…
► Depuis fin 2012 est commercialisée en France la pirfénidone (Esbriet®: 9 gélules par jour) avec l’indication « FPI légère à modérée » (CVF≥50% et DLco≥30%). Dans les essais, cette molécule[vc1] [vc2] au mode d’action mal connu ralentit de moitié la progression de la maladie, et a permis une moindre dégradation fonctionnelle, et une moindre dégradation du test de marche de 6 minutes. L’analyse de plusieurs essais groupés a montré une réduction de 48% de la mortalité globale (p=0,01). Les effets indésirables les plus couramment observés pendant les études cliniques étaient: nausées (32,8% vs 13,3% avec le placebo), éruption cutanée (28,7% vs 8,6%), asthénie (22,3% vs 13,3%), diarrhée (21,7%vs 13,5%), dyspepsie (16,8% vs 5,5 %), photosensibilité (12,2% vs 1,7%), et perte de poids (8% vs 3%). Avec ces effets secondaires, 15% des patients arrêtent précocement le traitement.
► Depuis début 2016, un nouveau traitement peut être prescrit dans la même indication de « FPI légère à modérée » : le nintedanib (Ofev® : 1 gélule matin et soir). Première thérapie ciblée dans la FPI, cet inhibiteur des tyrosines kinases cible les voies profibrosantes. Il ralentit la progression de la FPI, avec une diminution de 50 % du déclin de la fonction pulmonaire, et réduit significativement de 68% le risque d'exacerbation aiguë. Il influe probablement sur la survie (diminution de 30% à 12 mois sous traitement vs placebo). La diarrhée est le principal effet secondaire, concernant 60% des patients, dont 5% arrêteront le traitement.
Entre les 2, le choix porte en pratique surtout sur les éléments de tolérance car l’efficacité est comparable.
► Ces traitements étant coûteux (plus de 2000€/mois) et la FPI n’appartenant pas aux ALD30, il faut demander une prise en charge en ALD hors liste préalablement à la mise en route du traitement.
La vaccination anti-pneumococcique et antigrippale est recommandée[vc1] .
On conseille d’éviter une exposition importante aux aérocontaminants non spécifiques (tabagisme, empoussiérage massif domestique ou professionnel, etc). Il faut aussi éviter autant que possible les infections respiratoires banales.
► Parmi les autres mesures, il est recommandé de rechercher un RGO (asymptomatique dans 50% des cas) et de le traiter le cas échéant. La réhabilitation respiratoire semble améliorer la distance de marche, les symptômes et la qualité de vie des patients, sans que l’on sache si ce bénéfice persiste à long terme. L’oxygénothérapie de longue durée est recommandée en cas d’hypoxémie sévère au repos.
Sur le plan symptomatique : des faibles doses de corticoïdes (10mg/j) sont souvent efficaces sur la toux, parfois invalidante. En cas de dyspnée sévère et en l’absence d’hypercapnie, de faibles doses de dérivés morphiniques sont possibles, par exemple par voie percutanée.
Les visites de suivi (clinique, EFR) sont espacées de 3 à 6 mois, avec une visite au moins annuelle dans un centre spécialisé.
► Le traitement des exacerbations aiguës (idiopathiques) n’est pas codifié. Souvent est prescrite une corticothérapie à fortes doses, parfois associée à des immunosuppresseurs (cyclophosphamide IV). Le recours à la ventilation mécanique est parfois nécessaire, avec une mortalité hospitalière très élevée[vc2] .
[[asset:image:11690 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]CHERCHER, ENCORE…
La recherche médicale dans la FPI est très active : d’autres molécules sont en cours de développement avec de nombreux essais cliniques. Les combinaisons thérapeutiques, en association avec le nintedanib ou à la pirfénidone, doivent également être évaluées. L’orientation précoce des patients dans les centres spécialisés permet, outre une prise en charge experte, de leur proposer de participer à des essais, de leur offrir des traitements innovants, et ainsi faire progresser la recherche médicale.
Bibliographie
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2- Cottin V, Crestani B et al. Recommandations françaises sur la fibrose pulmonaire idiopathique orientées vers la pratique. Revue des Maladies Respiratoires 2013 ; 30 ; 814-6.
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