La constipation est un symptôme et non une maladie. Dans les pays occidentaux, le nombre de personnes souffrant de constipation chronique est estimé entre 3 et 5 % de la population adulte, la constipation occasionnelle est encore plus fréquente, 15 à 35 % des adultes. La constipation fonctionnelle ou idiopathique représente 90 % des cas de constipation chronique. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à en souffrir et les sujets de plus de 55 ans sont cinq fois plus concernés que les adultes plus jeunes (3). Les dernières recommandations françaises sur la constipation dataient de 2007 (1). Aussi, la Société Nationale Française de Colo Proctologie (SNFCP) a publié fin 2016 des nouvelles recommandations pratiques de prise en charge (2).
DÉFINIR UNE CONSTIPATION
La constipation est caractérisée par une difficulté persistante à la défécation en l’absence de symptôme d’alarme ou d’une origine secondaire. Il s'agit d'un symptôme ressenti, « une insatisfaction lors de la défécation », et ce symptôme est perçu différemment selon les personnes. Le diagnostic purement clinique repose sur l’interrogatoire.
Les critères diagnostiques
Il n’y a pas de définition simple de la constipation, le mieux est de se référer aux critères de Rome IV.
► Une personne est atteinte si elle présente au moins deux des symptômes suivants pendant au moins 12 semaines au cours des six mois précédents :
– moins de trois évacuations de selles par semaine,
– difficultés à exonérer avec effort excessif de poussée (25 % des défécations),
– émission de selles dures et fragmentées (25 % des défécations),
– sensation d'évacuation incomplète (25 % des défécations),
– sensation de blocage anorectal (25 % des défécations),
– manœuvres digitales nécessaires (25 % des défécations) (4).
► Ainsi sont reconnues comme constipation des selles dures ou difficiles à émettre ou d'exonération incomplète, même si les personnes ont une selle quotidienne. L’émission de selles liquides (fausses diarrhées) n’élimine pas une constipation, surtout si elles précédent ou suivent une période sans évacuation ou sont associées à l’élimination d’un bouchon de selles dures.
► Quelques questions permettent d’apprécier si cette constipation est sévère :
– moins d’une selle par semaine,
– altération de la qualité de vie de la personne,
– résistance aux règles hygiénodiététiques et à un traitement laxatif de première intention.
Deux grands mécanismes de constipation
La définition de la constipation est problématique car il existe deux mécanismes physiopathologiques différents. Les troubles du transit (ralentissement du transit avec moins de 3 selles par semaine et des selles dures), et les troubles de l’exonération (dyschésie avec sensation d'obstruction anale, d'évacuation incomplète, efforts de poussée, manœuvres digitales d'évacuation). Pas toujours si simples, ces mécanismes se chevauchent parfois.
► Le plus souvent cependant, l'interrogatoire permet de les différencier. « Il faut poser les bonnes questions pour obtenir le diagnostic, souligne le Pr Coffin, c’est-à-dire faire préciser non seulement la fréquence mais aussi la consistance des selles. Utiliser l’échelle de Bristol est primordial, elle permet de gagner du temps au cours de la consultation et elle simplifie la situation de la personne, souvent gênée d’avoir à décrire l’état de ses selles. En exemple, un patient peut aller plusieurs fois par jour à la selle, mais si celles-ci sont Bristol 1, il s’agit d’une constipation ».► L’échelle de Bristol (Encadré 1) permet en effet une bonne extrapolation du transit, la forme de la selle dépendant du temps qu’elle passe par le colon - la présence de selles de type 1 ou 2 dans plus de 25 % des évacuations correspond à une constipation.
« Les syndromes dyschésiques et les troubles de la statique pelvienne sont sous-diagnostiqués. Pensez à demander à vos patients s’ils utilisent des manœuvres pour permettre l’exonération : appuyer sur le ventre, masser le périnée, le vagin ou l’anus, avoir des manœuvres digitales. » Une dyschésie peut être la conséquence d’un dysfonctionnement des sphincters de l’anus – contraction anale paradoxale ou un spasme anal involontaire, qui chez deux tiers des patients peut représenter un trouble comportemental acquis –, de troubles de la statique pelvienne postérieure rectocèle, prolapsus rectal interne ou d’une altération de la sensation du besoin exonérateur (hyposensibilité rectale ou mégarectum).
Rechercher des complications
– Aggravation d’une maladie hémorroïdaire
– Maladie des laxatifs (hypokaliémie)
– Impaction fécale (fréquente chez les personnes âgées en raison de la diminution de la sensibilité et de la discrimination recto anale)
– Affaissement du plancher pelvien
– Incontinence fécale (encoprésie), particulièrement invalidante pour les patients (7).
EXCLURE UNE CONSTIPATION SECONDAIRE
Une possible cause est toujours recherchée : médicamenteuse ou toxique (les toxicomanes ont quasiment tous une constipation), métabolique (hypothyroïdie), neurologique (dysautonomie, maladie Parkinson, paraplégie, syndrome de la queue-de-cheval, SEP…), états psychiatriques, etc. (6,7).
Attention aux médicaments
De très nombreux médicaments sont en cause, et ce d’autant plus qu’il s’agit de personnes âgées : antalgiques opioïdes, statines, antidépresseurs, neuroleptiques, IPP, antihistaminique… (5) « Près d’un tiers des molécules commercialisées ont comme effet secondaire la constipation », avertit le professeur Coffin.
L’examen recherche une origine organique
La banalité de la constipation, la fréquence des formes idiopathiques ne doit pas altérer la vigilance ; la constipation peut être la manifestation d’une maladie organique. Un examen clinique est de rigueur pour rechercher une anomalie à l’examen abdominal et général. « Faites un TR, c’est un examen à la fois statique et dynamique, d’une très bonne sensibilité pour découvrir une stase rectale (physiologiquement l’ampoule rectale est vide), une tumeur, un trouble de la statique pelvienne (rectocèle, colpocèle, etc.). En demandant au patient de pousser sur le doigt, on apprécie le tonus du sphincter anal, la relaxation des muscles du plancher pelvien, et on peut diagnostiquer un anisme, c'est-à-dire une contraction paradoxale du sphincter externe lors de la poussée ».
Différencier une constipation fonctionnelle d’un syndrome de l’intestin irritable (SII)
Ce n’est pas toujours simple, la constipation fait partie du SII. La présence de douleurs et de ballonnements, la variabilité dans le temps de la constipation et la persistance de troubles digestifs après correction de celle-ci sont en faveur d’un SII (4).
DES EXPLORATIONS COMPLÉMENTAIRES RAREMENT UTILES
Aucun examen ne doit être réalisé de façon systématique en première intention (8). C’est le caractère réfractaire de la constipation qui amène à pratiquer des explorations complémentaires :
1. Un bilan biologique (NFS, CRP, TSH, calcémie, glycémie)
2. Une coloscopie si une organicité est suspectée, en particulier si :
– syndrome rectal (faux besoins, ténesme, épreintes)
– constipation récente ou aggravation
– âge > 50 ans
– antécédent familial de cancer du côlon, de MICI vsang ou glaires dans les selles, anémie, amaigrissement, fièvre, syndrome inflammatoire
3. Si le diagnostic est difficile, une exploration du mécanisme de la constipation par une manométrie anorectale (MAR) avec temps d’expulsion du ballonnet et le temps de transit colique (TTC) des marqueurs radio opaques :
– constipation dite distale quand MAR anormale
– constipation dite de transit quand MAR normale et TTC allongé dans le colon
– constipation dite fonctionnelle quand MAR et TTC normaux (9, 10)
4. Si l’examen périnéal est anormal, des explorations de troubles de la statique pelvienne (défécographie, déféco IRM) peuvent être utiles pour explorer une constipation distale (colpocèle, rectocèle.).
TRAITER UNE CONSTIPATION CHRONIQUE
Le but du traitement est d’obtenir une selle de consistance normale et d’évacuation facile tous les jours ou un jour sur deux, ce qui va tout à la fois soulager les symptômes, améliorer la qualité de vie de la personne et prévenir les complications. La suppression des efforts de poussée est un point essentiel.
D’abord des règles hygiénodiététiques
Dans un premier temps, devant une constipation occasionnelle ou chronique, les règles hygiénodiététiques doivent être expliquées aux patients, elles suffirent souvent à rétablir un transit normal :
– arrêter dans la mesure du possible les médicaments pouvant occasionner une constipation.
– améliorer les conditions de la défécation ; régularité du réflexe gastro-intestinal avec réponse sans retard à la sensation de besoin et acceptation d’un rythme régulier, correction de la position en respectant un angle à 35° entre les cuisses et le tronc pour libérer le rectum, optimisation des conditions d’environnement pour la défécation (toilettes confortables, respect de l’intimité, temps suffisant).
– augmentation de la ration en fibres, moyen le plus simple et naturel. « Mais, précise Benoit Coffin, le niveau de preuves de ces apports en fibre est très limité, évitons de nous focaliser dessus, avec une alimentation équilibrée, on atteint assez vite 12 à 15 gr/jour ». La source principale des fibres est le son des céréales, elles sont en plus petites quantités dans les légumes verts et les fruits. On conseille du pain complet ou au son ou la prise de céréales, jusqu’à 15-20 gr/jour, de façon progressive sur deux semaines, pour limiter la survenue de flatulences et ballonnements. À titre d’exemple, une tranche de pain type Jakson apporte 5 gr. Compter plusieurs semaines pour évaluer le résultat.
– Aucune recommandation alimentaire autre que l’apport en fibres n’a prouvé une efficacité (ni huile, ni laitages, etc.).
– Préférer les eaux riches en minéraux surtout en magnésium qui ont un effet laxatif.
– L’augmentation des apports hydriques n’a pas fait preuve de son efficacité, sauf en cas de déshydratation chez les personnes âgées.
– L’activité physique n’a pas prouvé d’efficacité sur la constipation.
Du nouveau dans la prescription des laxatifs
► Si les règles hygiénodiététiques se révèlent insuffisantes, les laxatifs osmotiques ou de lest sont recommandés en première intention, seuls ou associés :
– Les laxatifs osmotiques, à base de polyéthylène glycol (PEG) ou macrogol, de sels de magnésium, de phosphate de sodium ou d'hydrate de carbone non absorbable, majorent l'hydratation des selles avec une augmentation de 2 à 3 selles par semaine. Efficaces et bien tolérés, ils sont plus efficaces que le lactulose avec moins d’effets secondaires.
– Les laxatifs de lest ou mucilages (graines de psyllium, son de blé, gomme de sterculia…) ont un rôle de ballast, ils retiennent l'eau dans la lumière de l'intestin. Leur action se révèle dans les 12 à 72 heures et, comme pour les fibres, leur efficacité ne peut s'évaluer qu'après quelques semaines d’utilisation.
– Chez la femme enceinte, le PEG comme les laxatifs de lest peuvent être utilisés.
► En cas d'échec de ces laxatifs, en deuxième intention sont indiqués, éventuellement en association :
– Les laxatifs stimulants (bisacodyl, picosulfate de sodium, docusate sodique, oxyde de magnésium) qui, autrefois exclus, trouvent maintenant leur place (2). Ils inhibent l'absorption de l'eau et des métabolites au niveau du rectum et favorisent le péristaltisme, ils sont notamment efficaces en recours pour des patients qui n’ont pas eu de selles depuis plusieurs jours. La diarrhée est leur principal effet secondaire à court terme, les effets secondaires à long terme ont été probablement surestimés et se révèlent finalement modestes. « Cependant, leur efficacité à long terme est assez peu évaluée et semble diminuer dans le temps ».
- Les laxatifs lubrifiants (en général à base de paraffine liquide) peuvent être proposés, sauf chez le sujet âgé ou présentant un trouble de la déglutition. Ils sont souvent utilisés en automédication.
– Autre nouveauté, un colokinétique, le prucalopride (Resolor) est également recommandé en deuxième intention. Ce médicament est un agoniste sérotoninergique sélectif, qui provoque des contractions propulsives au niveau de l'intestin. Il augmente la fréquence des selles et améliore leur consistance. Il a une AMM en cas de constipation chronique réfractaire aux laxatifs de première intention chez la femme. Il est toutefois onéreux, non remboursé, et peut provoquer des céphalées dans 10 % des cas surtout en début de traitement (11).
– Les laxatifs par voie rectale (lavements et suppositoires) sont privilégiés dans la constipation distale. Certains suppositoires libèrent des gaz dans le rectum pour induire un réflexe exonérateur.
– En ce qui concerne les probiotiques, leur bénéfice éventuel « n'est pas bien documenté », explique le Pr Coffin et leur utilisation ne peut donc être recommandée actuellement.
LA STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
Suivant la personne et le mécanisme physiologique de sa constipation, la prise en charge est individualisée, basée sur les symptômes et leur évolution. L’utilisation de calendriers des selles et de l’échelle de Bristol (téléchargeable sur le site www.legeneraliste.fr) sont utiles pour apprécier leur consistance facilite le suivi.
Les traitements sont hiérarchisés, mais commencent toujours par les règles hygiénodiététiques et les laxatifs de première intention.
Pour une constipation distale (d'exonération)
– Les laxatifs par voie rectale ("les suppositoires d'Eductyl", précise la SNFCP), sont recommandés en première intention en cas d'échec des règles hygiénodiététiques.
– Si cela est insuffisant, l’association suppositoires et la rééducation anopérinéale par biofeedback a fait la preuve de son efficacité. Malheureusement, les thérapeutes compétents pour cette rééducation sont insuffisamment nombreux. Trois à dix séances sont nécessaires, d’autant plus efficaces que les selles sont dures, le patient motivé, le thérapeute expérimenté (12).
– L’injection de toxine botulinique dans le sphincter anal peut être proposée dans ce type de constipation, mais les modalités d'injection ne sont pas encore bien définies à l'heure actuelle. (13)
– L'irrigation transanale ("vidange" intestinale complète par l'introduction d'eau dans l'intestin à l'aide d'une sonde rectale) est recommandée en deuxième intention si la constipation distale est d'origine neurologique. Elle peut aussi être utilisée dans le traitement de la constipation chronique de l'adulte en l'absence de pathologie neurologique. La prescription initiale du système (Peristeen) doit être faite par le spécialiste.
– Dans certains cas, la correction chirurgicale d'un trouble de la statique rectale, en particulier d'un prolapsus, peut être un facteur d'amélioration de la constipation terminale : rectopexie (intervention qui fixe le rectum pour éviter qu'il ne descende), intervention de Starr (ablation d'une partie de la paroi de la partie basse du rectum).
Pour une constipation de transit
– Une constipation de transit fait préférer les laxatifs, seuls ou associés, puis si nécessaire les colokinétiques.
– Dans certains cas de constipation de transit résistant aux traitements, des irrigations antérogrades (technique de Malone avec accès chirurgical ou endoscopique à l'iléum permettant des lavements réguliers du côlon) sont une alternative, sous couvert d’une équipe paramédicale (stomathérapeute) habituée.
– En dernier recours, dans des cas très exceptionnels d’inertie colique majeure, une colectomie peut être envisagée par un centre expert. Cela concerne moins de 5 % des patients avec constipation sévère.
Bibliographie
1- T. Piche, M. Dapoigny, C. Bouteloup, B. Coffin et all. Recommandations pour la pratique clinique dans la prise en charge et le traitement de la constipation chronique de l'adulte. Gastroentérologie Clinique et Biologique. Vol 31, N° 2, 2007. pp. 125-135
2- V. Vitton, H. Damon, L. Siproudis. Recommandations 2016 pour la pratique clinique de la Société Nationale Française de Colo-Proctologie sur la prise en charge de la constipation.
3- Lembo A, Camilleri M. Chronic constipation. N Engl J Med. 2003;349(14):1360–8.
4- Olafur S. Palsson, William E. Whitehead, Miranda A. L. van Tilburg, and all. Development and Validation of the Rome IV, Diagnostic Questionnaire for Adults. Gastroenterology 2016;150:1481–1491
5- B. Coffin. Constipation chronique iatrogène. Association française de formation continue en hépato-gastro-entérologie. http://www.fmcgastro.org/textes-postus/postu-2014/constipation-chroniqu…
6- T. Piche. Constipation chronique : traitements et règles hygiéno-diététiques, ce qui est prouvé. Post U 2014
7- G Lindberg, S Hamid, P Malfertheiner, O Thomsen and all. Constipation: a global perspective. Novembre 2010. Review Team World Gastroenterology Organisation Global Guidelines
8- M Dapoigny. Explorations utiles et inutiles d'une constipation chronique de l'adulte 2014 - http://www.fmcgastro.org/textes-postus/postu-2014/explorations-utiles-e…
9- Wald A. Chronic constipation: advances in management Neurogastroenterol. Motil 2007 Jan;19(1):4-10
10- Tack J, Muller-Lissner S, Stanghellini V, et al. Diagnosis and treatment of chronic constipation – a european perspective. Neurogastroenterol Motil 2011;23:697-710
11- Camilleri M, Kerstens R, Rykx A, et al. A placebo-controlled trial of prucalopride for severe chronic constipation. N Engl J Med 2008;358:2344-54. A.G. Herbaut. Indication de la toxine botulique dans les pathologies du périnée postérieur. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. III - avril/mai/juin 200312.
12- AM Leroi. Prise en charge d'une constipation terminale. FMC - HGEwww.fmcgastro.org › Textes POSTU
13- A.G. Herbaut. Indication de la toxine botulique dans les pathologies du périnée postérieur. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. III - avril/mai/juin 2003.
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