« Apps » algorithmiques des smartphones pour évaluer le risque de cancer cutané de l’adulte : revue systématique des études diagnostiques.
Algorithm based smartphone apps to assess risk of skin cancer in adults : systematic review of diagnostic accuracy studies Freeman K, Dinnes J, Chuchu N & al. BMJ 2020. http://dx.doi.org/10.1136/bmj.m127
CONTEXTE
Il y a 3 millions de cancers cutanés par an dans le monde et leur incidence augmente (1). 80 % d’entre eux sont des basocellulaires, 16 % des spinocellulaires et 4 % des mélanomes, dont le pronostic est très favorable (90 % de survie à 5 ans) si le diagnostic est précoce (2). De nombreuses technologies diagnostiques modernes, en particulier des applications (apps) algorithmiques logées dans un smartphone équipé d’un module photographique, ont été développées pour inciter les patients à consulter rapidement et aider les médecins à faire un diagnostic précoce. Entre 2014 et 2017, 235 apps dermatologiques ont été mises sur le marché (3). Malgré un marquage CE autorisant la distribution de certaines d’entre elles (4), leurs performances diagnostiques n’ont pas été correctement évaluées, en particulier pour identifier les cancers cutanés.
OBJECTIFS
Évaluer les résultats et la validité des preuves apportées par les études ayant estimé les performances diagnostiques des apps algorithmiques de smartphone destinées à identifier les cancers cutanés.
MÉTHODE
Extension de la revue Cochrane de 2018 qui ne s’était intéressée qu’au mélanome (5). Elle a été conduite selon le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Diagnostic Test Accuracy et a répertorié toutes les études publiées jusqu’en avril 2019. La qualité des études a été évaluée en insu par deux chercheurs indépendants, avec consensus par un troisième chercheur en cas de désaccord. Le standard de référence des performances diagnostiques de l’app était soit l’histologie de la lésion photographiée par le smartphone, soit le diagnostic clinique de suivi, soit l’avis d’un dermatologue expert préconisant d’approfondir les investigations. La sensibilité (Se) et la spécificité (Sp) ont été rapportées pour chaque app.
RÉSULTATS
Neuf études ayant évalué six différentes apps ont été répertoriées. Six avaient comme « gold standard » comparatif l’histologie sur 725 lésions photographiées et trois l’avis d’experts (407 lésions). Deux apps n’étaient plus disponibles en téléchargement et deux autres avaient été retirées du marché. Pour les deux apps rescapées, les études avaient inclus de petits effectifs et étaient de qualité méthodologique médiocre, avec des biais de sélection et de très nombreuses images ininterprétables. La sélection des lésions et les photographies ont été plus souvent le fait d’un médecin que du patient.
L’app téléchargeable « SkinScan » marquée CE a été évaluée dans une seule étude, ayant inclus 15 patients avec cinq mélanomes. La Se versus l’histologie a été de 0 % et la Sp de 100 % pour ce cancer. L’autre app marquée CE, « SkinVision », a été évaluée dans deux études (n = 252 patients avec 61 lésions cancéreuses ou précancéreuses). La Se de cette app versus l’histologie a été de 61 % et la Sp de 78 %. Dans trois autres études, la justesse, la précision et les performances de l’app « SkinVision », comparées à l’avis d’experts, ont été considérées comme médiocres.
COMMENTAIRES
Cette revue exhaustive de la littérature, conduite par une équipe Cochrane, montre que le chemin que les apps et l’intelligence artificielle ont à parcourir pour faire aussi bien qu’un anatomopathologiste ou un dermatologue en termes de diagnostic des cancers de la peau est encore très long. Les apps et leur algorithme d’« intelligence artificielle » insérés dans les smartphones ou les tablettes ont des performances très insuffisantes pour détecter les cancers de la peau, en particulier les mélanomes. Par ailleurs, la procédure réglementaire (mais virtuelle) du marquage CE ne garantit pas la performance de ces apps et n’apporte pas de protection suffisante au public.
En pratique, il faut déconseiller aux patients d’utiliser ces outils, qui peuvent faussement les inquiéter ou les rassurer. Même si les apps médicales sont à la mode et massivement promues, un examen visuel par un médecin généraliste attentif et compétent, éventuellement associé à un avis spécialisé clinique et/ou histopathologique, est indispensable à la bonne prise en charge des cancers de la peau.
Bibliographie
1. Ferlay J, Colombet M, Soerjomataram I, et al. Cancer incidence and mortality patterns in Europe: estimates for 40 countries and 25 major cancers in 2018. Eur J Cancer 2018;103:356-87.
2. Balch CM, Gershenwald JE, Soong SJ, et al. Final version of 2009 AJCC melanoma staging and classification. J Clin Oncol 2009;27:6199-206.
3. Flaten HK, St Claire C, Schlager E, Dunnick CA, Dellavalle RP. Growth of mobile applications in dermatology - 2017 update. Dermatol Online J 2018;24.
4. SkinScan. https://teleskin.org/skinscan.html.
5. Chuchu N, Takwoingi Y, Dinnes J, et al. Smartphone applications for triaging adults with skin lesions that are suspicious for melanoma. Cochrane Database Syst Rev 2018;12:CD013192. https://Doi.org/10.1002/14651858.CD013192.
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