1. Les questions essentielles à se poser
Dans l’immense majorité des cas, l’apparition ou l’accentuation aiguë ou subaiguë de troubles psycho-comportementaux (TPC) chez un patient suivi pour une maladie d’Alzheimer (MA) ou une maladie apparentée est favorisée par un ou plusieurs facteurs « nouveaux » (liés au patient ou extérieurs) qu’il est essentiel de savoir rechercher.
Un interrogatoire minutieux du patient et surtout de l’entourage est donc la première étape obligatoire dans la démarche de prise en soins d’une décompensation psychocomportementale aiguë. Il peut prendre du temps mais conditionne grandement la pertinence et l’efficacité du bilan et du traitement. Il cherche à caractériser les troubles sur un plan symptomatique, chronologique et dans leur inscription dans la vie du patient.
Les points devant faire l’objet d’une attention particulière sont les suivants :
– mode d’apparition : aigu (< 24 h, quasiment toujours lié à une pathologie médicale intercurrente) ; subaigu (quelques jours, souvent lié à un changement dans l’environnement type voyage, déménagement… ou à une pathologie médicale subaiguë) ; progressif…
– évolution : fluctuations (rechercher les facteurs d’exacerbation), stabilité, accentuation…
– types de troubles : agitation, agressivité, délire, désinhibition (penser à la consommation d’alcool)…
– facteurs déclenchants/favorisants : chute ou traumatisme crânien (penser à un hématome sous–dural), interactions avec l’entourage (épuisement de l’aidant, conflit avec l’aidant, mise en échec dans les activités quotidiennes, intervention d’un professionnel…), moments de la journée (exacerbation vespérale, relation avec les repas…), activités spécifiques (défécation/miction, retour de l’accueil de jour…)
– facteurs d’apaisement : repos, isolement, musique, engagement dans une activité nouvelle…
– manifestations associées : propos inhabituellement tristes et/ou diminution de l’élan vital évocateurs d’un épisode dépressif sous-jacent, inversion du rythme nycthéméral, hallucinations…
2. Que rechercher à l’examen clinique ?
Une évaluation clinique complète est indispensable, à la recherche de tout problème médical (neurologique ou extraneurologique) et en particulier :
– point d’appel infectieux : infection urinaire, pneumopathie, abcès dentaire…
– signes neurologiques focaux faisant évoquer une lésion intracrânienne (accident vasculaire cérébral, hématome sous-dural…) : déficit hémicorporel, aphasie, troubles de l’équilibre…
– signes neurologiques intermittents évocateurs de crises d’épilepsie : secousses des membres (clonies), ruptures soudaines du contact…
– fracture méconnue ou autre cause de douleur ou d’inconfort physique : lésions endobuccales liées à un appareillage mal ajusté, constipation importante…
– signes de sevrage (alcool, benzodiazépines…) ou au contraire de surdosage (psychotropes) : tremblements, sueurs, somnolence…
3. Quels examens complémentaires ?
La prescription d’examens complémentaires n’est pas systématique lorsque l’interrogatoire et/ou l’examen clinique révèlent des facteurs favorisant évidents.
On réalisera toutefois le plus souvent un bilan biologique incluant :
– ionogramme avec calcémie (dysnatrémie, dyscalcémie, insuffisance rénale aiguë…) ;
– glycémie à jeun (décompensation d’un diabète, connu ou non), numération formule sanguine (anémie, hyperleucocytose…) ;
– dosage de la CRP (syndrome inflammatoire biologique) ;
– bilan hépatique, TSH (hyperthyroïdie) ;
– examen cytobactériologique des urines (les signes fonctionnels urinaires sont difficiles à détecter dans ce contexte) ;
– autres explorations éventuelles guidées par l’évaluation clinique.
Si la combinaison de l’évaluation clinique et du bilan biologique n’identifie pas de facteur favorisant/causal évident, envisager la réalisation d’une imagerie cérébrale sans injection de produit de contraste (idéalement IRM, au minimum TDM cérébrale), à la recherche d’une lésion intracrânienne (hématome sous-dural, AVC), en particulier en cas de chute(s)/traumatisme(s) crânien(s), prise de traitement antithrombotique et chez le sujet très âgé.
Du fait de la fréquence des crises d’épilepsie chez les sujets atteints de maladie neurodégénérative (jusqu’à 7 % des patients dans l’évolution de la MA (2)), il est également utile de considérer la réalisation d’un électroencéphalogramme devant des troubles inexpliqués, surtout s’ils sont très fluctuants, évoluent par accès soudains ou sont associés à d’autres troubles neurologiques intermittents.
Les autres examens éventuels (radiographie de thorax, osseuse…) seront principalement réalisés en cas de point d’appel clinique.
4. Quelle prise en soins ?
> Traitement étiologique
Le traitement des exacerbations de TPC est avant tout étiologique.
Dans la majorité des cas, le traitement d’une affection médicale identifiée (pneumopathie, infection urinaire, abcès dentaire, hyponatrémie…) permet un retour à la situation antérieure en quelques jours (parfois quelques semaines).
Il en va de même avec les adaptations de l’environnement (reprises de sorties quotidiennes, remplacement de l’auxiliaire de vie dont l’intervention exacerbe les troubles, augmentation de la luminosité et adoption par l’entourage d’une attitude rassurante en fin de journée, musique…), qui sont souvent clés lorsque les TPC découlent de difficultés dans ce domaine.
Dans la majorité des cas, le traitement d’une affection médicale identifiée permet un retour à la situation antérieure
> Traitement médicamenteux
La prescription d’un traitement pharmacologique intervient en seconde intention ou en cas de troubles retentissant de manière immédiate et importante sur la qualité de vie ou la sécurité du patient ou de son entourage.
Le recours aux antipsychotiques doit être évité au maximum (en particulier pour les molécules de première génération : tiapride, cyamémazine…), leur rapport efficacité/effets indésirables étant peu favorable chez les patients atteints de maladies neurodégénératives. On préfèrera, lorsqu’un apaisement immédiat est recherché, la prescription d’une benzodiazépine à demi-vie courte (oxazépam…).
Si un traitement de moyen terme semble nécessaire, la prescription d’un inhibiteur sélectif de la sérotonine (citalopram, sertraline, fluoxétine…) doit être envisagée en priorité, en ayant à l’esprit un délai d’action de plusieurs semaines.
Les traitements symptomatiques de la maladie d’Alzheimer (donépézil, rivastigmine, mémantine) peuvent également améliorer significativement les TPC lorsqu’ils sont indiqués (MA, maladie à corps de Lewy).
Enfin, lorsque la prescription d’un antipsychotique apparaît inévitable, l’évolution des pratiques incite à privilégier les antipsychotiques atypiques tels que l’aripiprazole à faibles doses ou la quétiapine (attention à l’effet sédatif), les molécules plus classiques telles que la rispéridone ou l’olanzapine étant souvent efficaces mais au prix d’effets indésirables cognitifs et métaboliques quasi-inévitables (3).
5. Quand hospitaliser ?
Le traitement des TPC doit se faire autant que possible à domicile, l’hospitalisation étant en elle-même un facteur d’exacerbation des TPC et des troubles cognitifs.
Une hospitalisation est toutefois nécessaire face à une accentuation des TPC en cas de :
– affection médicale ne pouvant pas être traitée en ambulatoire ;
– affection médicale ne pouvant pas être traitée en ambulatoire ;
– dangerosité immédiate pour le patient et/ou son entourage (agressivité physique, sorties inopinées…) ;
– TPC favorisés par des facteurs environnementaux difficiles à contrôler (épuisement de l’aidant, conflit avec l’entourage…) ;
– échec de la stratégie de prise en soins décrite ci-dessus.
Dans les situations très aiguës, l’hospitalisation se fera idéalement en milieu psychogériatrique ou, à défaut de structure de ce type accessible, dans un service de gériatrie aiguë. Une admission directe doit être préférée car un passage par le service d'accueil des urgences est souvent très éprouvant pour le patient et son entourage, comme pour les soignants, et a généralement pour conséquence une exacerbation supplémentaire des TPC et des prescriptions médicamenteuses inappropriées (antipsychotiques sédatifs type loxapine, tiapride ou cyamémazine).
Dans les situations subaiguës, en particulier en cas de TPC persistants après élimination ou traitement d’une affection médicale et si des facteurs environnementaux difficiles à modifier rapidement ont été identifiés, le patient doit être dirigé vers une unité cognitivo-comportementale (UCC) (4). Ces services de soins de suite et réadaptation sont spécialisés dans la prise en charge des situations de crise comportementale et permettent à la fois une mise à distance du lieu de vie habituel et un ajustement des traitements psychotropes durant des séjours d’une durée moyenne de 4 à 6 semaines. Une admission peut y être sollicitée par le médecin spécialiste comme généraliste.
À lire aussi
- Société française de gériatrie et gérontologie, Fédération des centres mémoires, Société francophone de psychogériatrie et de psychiatrie de la personne âgée. Nouvelles recommandations pour la prise en soins des symptômes psychologiques et comportementaux (SPC) dans les maladies neurocognitives. 21 Septembre 2024. Disponible sur: https://sfgg.org/media/2024/09/SFGG-def-2024.pdf
- A. Vrillon, E. Cognat, Consultations et ordonnances en neurologie, 65 prescriptions, éditions Maloine, 2021.
Bibliographie
1. Zhang M et al. Prevalence of Neuropsychiatric Symptoms across the Declining Memory Continuum: An Observational Study in a Memory Clinic Setting. Dement Geriatr Cogn Dis Extra. 27 avr 2012;2(1):200‑8.
2. Beghi E, Beghi M. Epilepsy, antiepileptic drugs and dementia. Current Opinion in Neurology. avr 2020;33(2):191‑7.
3. Chen A et al. The Psychopharmacology Algorithm Project at the Harvard South Shore Program: An update on management of behavioral and psychological symptoms in dementia. Psychiatry Research. 1 janv 2021;295:113641.
4. Saidlitz P, Voisin T. Les Unités cognitivo-comportementales. In: Unités de soins, d’évaluation et de prise en charge Alzheimer [Internet]. L’année gérontologique. 2015. p. 25‑8. Disponible sur: http://annee-gerontologique.com/les-unites-cognitivo-comportementales/
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