La lecture d’un article dans un de vos derniers numéros (Entretien avec Gérard Raymond, président de France Assos Santé) m’a ouvert des perspectives que je n’imaginais pas, il y a encore peu de temps. J’avais en mémoire les dernières études statistiques sur la profession et notamment la double notion d’une consultation de médecine générale en France la moins « honorée » et la plus longue d’Europe…
Mais ça, c’était avant… Air connu. Un de vos interviewés, multicarte, puisque président de France Assos et membre du Conseil économique et social et environnemental, fort de la double légitimité d’être porteur d’une pathologie et d’occuper le siège d’un de ses « machins » décrit par le Général et dont l’utilité ne saute plus aux yeux de personne, sauf à ceux de ses membres, nous explique « comment il faut faire » pour que la médecine aille mieux : entre autres, payer moins de 25 € certaines consultations qui ne les valent pas…
Dans le même temps, il applaudit à l’idée de développer la formation de « super-infirmières » , à qui, bien évidemment, « on » va bientôt accorder le droit de prescrire ; il croit en la création de ces fameuses « maisons de santé » dont « on » nous rebat les oreilles depuis 15 ans avec le succès mitigé que l’on connaît et, belote, rebelote et 10 de der, il milite pour un rôle accru dans l’organisation des soins de « patients – experts », fort de leurs expériences dans la maladie qui les atteint.
Le tout étant destiné à lutter contre les déserts médicaux… Il nous cite la Lozère, en ignorant que c’est en Seine-Saint-Denis que se situe le plus grand désert médical. Comme quoi, s’il suffisait de décider pour les jeunes médecins où ils doivent s’installer (il y songe sans doute d’ailleurs, en évoquant « d’autres formes de rémunération », une formule floue derrière laquelle se cache un nom : salariat), « on » le saurait. Même grassement payée à 25 €, la consultation n'attire plus de médecins dans de nombreux coins de France. Alors, pensez, à moins de 25…
Certains médecins, puis-je lire, ont peur de l’instauration d’une « médecine sans médecins ». Je crains qu’elle ne soit déjà « dans le tube », avec toujours les meilleures intentions du monde, présentée dans le langage de l’amour pour le bonheur du bon peuple qui aura ainsi « droit à un meilleur accès aux soins… Le tout est de savoir de quels soins on parle, dispensés par des infirmières pour les pathologies banales (?), nous dit-on, avec l’aide de patients – experts, peut-être ; et sous le regard de médecins venues des confins de l’Europe ou d’autres continents, ayant parfois une maîtrise du français difficilement compatible avec le « colloque singulier » entre patient et soignant que représente une consultation, sans parler du niveau de leurs compétences, pour lequel les autorités se montreront bien moins tatillonnes que lors du décompte méticuleux des dixièmes de points du numerus clausus.
Un acte médical dévalorisé
L’acte médical est désormais tellement dévalué, dans le regard de beaucoup de patients longtemps tellement gâtés dans notre beau pays. Il suffit de voyager pour s’en rendre compte, y compris dans les pays du nord de l’Europe, si souvent donnés un exemple. Puisqu’on parle d’exemple, je vous en donne un seul : en Suède, où je passe plusieurs mois par an désormais, la franchise à la charge du patient d’une consultation est de… 25 euros ! La franchise (un euro chez nous) !
Ne vous trompez pas : ceci n’est pas un discours corporatiste pour que les généralistes « s’en mettent plein les fouilles », car les charges et taxes diverses corrigeront les excédents éventuels à proportion, faites confiance à nos gouvernants… Non, il s’agit simplement de rendre de la noblesse, de la dignité et donc de l’attractivité à un geste, à une action, à un acte, l’acte médical qui est aujourd’hui l’un des services les moins bien « honorés », au sens honoré du terme, c’est-à-dire auquel on accorde son estime, de toutes les activités, commerciales, artisanales ou de service.
Que peut décemment ressentir un jeune gars qui s’est battu dix ans pour accéder à ce beau métier et qui constate que, non seulement son activité sera bientôt à partager avec d’autres qui n’ont pas sa formation, mais qu’elle est peu à peu noyée dans la masse de plus en plus envahissante de pseudo–médecins formés en deux week-ends de stage à Juan-les-Pins ou Forges-les-Eaux, hypnothérapeutes, réflexologues, naturopathes et autres « praticiens » en tous genres qui ne s’embarrasseront pas pour demander beaucoup plus que les pauvres honoraires du « petit docteur de quartier ».
Et vous ne voudriez pas que se développent les déserts médicaux, dans un avenir aussi radieux ? Un dernier conseil à nos décideurs, membres de comités théodules : ne vous avisez pas de « forcer » les médecins à s’installer où « on » leur dira, au prétexte, par exemple, qu'« on » leur a payé leurs études, en oubliant qu’ils ont passé des années d’internat à faire tourner l’hôpital public 60 heures par semaine au tarif du SMIC. Ce serait la touche finale d’un long travail de sape commencé il y a un demi–siècle, car là, c’est tout simplement le robinet qui risquerait de ne plus rien donner, tout en haut, à la source, quand les jeunes auront compris que le métier de médecin, non, vraiment, ça ne vaut plus le coup… Les déserts, c’est dans les amphis de la fac qu'on les trouvera bientôt.
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Exergue : Les déserts, c’est dans les amphis de la fac qu'on les trouvera bientôt.
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