Ils seront bientôt 10 000 internes en médecine générale. À l’heure de la crise démographique, un tel vivier intéresse de près Marisol Touraine qui sera samedi à Tours au Congrès de l’ISNAR-IMG. Comment séduire ces jeunes pousses de la médecine générale qui se font prier pour s’installer ? Pour les pouvoirs publics, comme pour les médecins en exercice, il y a plusieurs façons de répondre à cette question...
Vont-ils encore longtemps bouder l’exercice libéral ? Selon l’Ordre, seul un jeune médecin sur dix s’installe en effet en libéral au moment de son inscription au tableau. Et même si, 5 ans plus tard, plus d’un tiers exerce en ville, cela ne suffira pas pour assurer le remplacement de la génération du baby-boom. Dans ces conditions, pas étonnant que les pouvoirs publics soient aux petits soins avec les carabins et a fortiori avec les internes de médecine générale que Marisol Touraine rejoindra samedi à Tours pour la clôture de leur Congrès. « Beaucoup de nos idées ont été reprises dans le plan de lutte contre les déserts médicaux lancé par Marisol Touraine en décembre. On a le sentiment de passer pour de vrais partenaires », raconte Benjamin Birène, vice-président de l’ANEMF (Association Nationale des étudiants de Médecine de France). Une façon polie de signifier que les envies, les aspirations et les modes de vie ont changé. Et l’exercice libéral devra s’en accommoder ! Oui, mais dans quelle direction ? De l’avis des internes et de certains seniors, au moins sept points doivent être aménagés dans l’exercice libéral pour faire de la place aux jeunes.
Jouer collectif
L’exercice en groupe est devenu incontournable chez les jeunes. Aujourd’hui, plus de huit jeunes médecins sur dix exercent en groupe, selon l’INPES. Plus question pour eux d’exercer en solo. « Il ne faut plus penser : un médecin pour un village. La santé d’un territoire doit être gérée par une équipe de soins », explique Benjamin Birène, pour l’Anemf. Du côté des politiques, le message a bien été reçu. Création de la SISA (Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires) et des nouveaux modes de rémunération, mise à disposition de locaux par les collectivités, aides financières… On ne compte plus les mesures incitatives qui ont été créées pour l’installation en groupe. « L’organisation d’un groupe étoffé de plusieurs professionnels de santé intéresse beaucoup les jeunes », constate le Dr Dominique Hérault, généraliste à Renazé (Mayenne). Chevilleouvrière du projet de maisons et pôle de santé du sud-ouest mayennais, le généraliste a vu arriver la nouvelle génération. « L’intérêt du regroupement, c’est de pouvoir s’organiser et d’améliorer le temps de travail qui, généralement, diminue pour les médecins », explique-t-il. Avant de préciser qu’un tel exercice leur permet aussi de ne pas vivre là où on travaille. Un souhait formulé par beaucoup.
Faciliter les démarches
Que faire de plus ? Pour les étudiants de l’Anemf et les internes en médecine générale de l’ISNAR–IMG, il faut faciliter les démarches administratives. Ils proposent depuis longtemps un référent administratif pour les internes qui souhaiteraient s’informer sur l’installation. « Il y a un manque de visibilité et de coordination de la part des ARS. Il faut un guichet unique par région », précise Benjamin Birène. Idée reprise à son compte mi-décembre par Marisol Touraine.
Accepter des horaires élastiques
Les jeunes souhaitent aussi pouvoir conjuguer vie privée et vie professionnelle. « Le problème ce n’est pas la rémunération, mais le volume horaire », souligne Alexandre Husson, président du SNJMG (Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes). « Quand on est en libéral on a peur de ne pas avoir assez de temps pour sa vie personnelle mais aussi pour continuer à se former », ajoute-t-il. Selon une étude réalisée en 2011 par l’ISNAR-IMG, les internes en médecine générale envisagent de travailler en moyenne 42,8 heures par semaine, avec 7,33 semaines de congés par an. La jeune génération veut aussi se dégager du temps médical. Ils sont 86 % à juger indispensable un secrétariat. Difficile donc pour un quinqua de convaincre un jeune à venir s’associer, sans lui offrir un secrétariat médical. La plupart des syndicats seniors l’ont bien compris. Tous militent aujourd’hui pour la mise en place d’un « forfait secrétariat ».
Enfiler des habits de maître de stage
« Une de mes stagiaires va devenir ma future associée ! » Pour le Dr Noël Wuithier, installé à Vic-Fézensac (Gers), la greffe a pris sans problème. Et s’il convient que former des stagiaires n’assure pas d’être remplacé à tous les coups, le généraliste estime que dans ce cas, ce compagnonnage a été décisif: « Présente aux réunions du projet de la maison de santé prévue pour mai pendant son stage, elle a décidé d’y participer ». Les jeunes ne cessent d’ailleurs de le marteler : comment avoir envie du libéral sans savoir à quoi cela ressemble ? Le stage de médecine générale en 2e cycle reste pourtant peu utilisé. Seuls 50 % des étudiants l’effectueraient. Et, d’après l’enquête de l’ISNAR, 29 % des internes ayant validé leur deuxième stage (le fameux SASPAS) chez le généraliste ont un projet d’installation contre 16 % pour ceux qui n’en ont validé aucun. Marisol Touraine propose dans son plan de lutte contre les déserts médicaux que 100 % des étudiants en médecine générale aient effectué un stage de second cycle à l’horizon 2017. Et elle penche aussi pour que le SASPAS devienne obligatoire. Un problème subsiste : le nombre de maîtres de stage. Ils sont aujourd’hui 6 724 généralistes (soit environ 6 %) pour former environ 10 000 internes. Un chiffre qui a néanmoins été multiplié par deux en trois ans selon le CNGE. Le fruit, peut-être, de la campagne lancée par l’ISNAR et l’ANEMF pour le recrutement des maîtres de stage.
En Poitou-Charentes, on tente aussi d’agir sur le nerf de la guerre : le financement de ces formations, auquel la région a participé. Depuis 2004, 63 médecins maîtres de stage ont ainsi été formés. Volontarisme aussi en Midi-Pyrénées qui enregistre désormais le plus fort taux d’installation (trois fois supérieur à la moyenne nationale) ! Les internes inscrits dans la région doivent obligatoirement valider quatre semestres sur six en médecine générale. « À ce rythme-là, les internes n’ont plus de crainte à s’installer. La clé de l’installation réside dans les stages et dans leur répartition sur le territoire. Mais il faut aussi une convergence de tous les acteurs », explique le Pr Stéphane Oustric, généraliste à Toulouse. Les conditions d’accueil d’hébergement et même de restauration sont aussi très importantes.
Proposer de nouveaux statuts d’exercice
Plus de la moitié des internes de médecine générale deviennent remplaçants après leur internat. Et 87 % des médecins généralistes ont remplacé avant de s’installer. Le statut de remplaçant est donc devenu incontournable dans le parcours des jeunes médecins. De plus en plus nombreux, ces derniers demandent une évolution de leur statut, notamment par la possibilité de travailler en leur nom propre. Autre solution : le statut de collaborateur libéral, encore peu connu (environ 2 000 contrats recensés par l’Ordre), séduit pourtant de plus en plus de femmes. Elles sont, en effet, deux fois plus nombreuses à le choisir. « C’est un statut plus intéressant que celui de remplaçant car nous sommes médecins traitants, et qui nous rassure car nous n’avons pas à nous occuper de certains points de la gestion du cabinet. Mais pour moi cela reste transitoire. Dans 5 ou 10 ans, j’aurai sans doute envie de mon propre cabinet », explique le Dr Émilie Bourges qui exerce dans un cabinet de groupe à Sevran (Seine-Saint-Denis). La souplesse du mode d’exercice est en effet très recherchée, au moins au début comme l’a également constaté le Dr Dominique Hérault. « Les jeunes veulent avoir la possibilité de changer, ils ne veulent pas faire la même chose pendant 30 ans. Ils souhaitent pouvoir adapter leur exercice en fonction des changements qui pourront s’opérer dans leur vie », observe-t-il.
Nos carabins ont aussi la bougeotte. Selon l’ISNAR, huit internes sur dix seraient prêts à travailler dans des lieux différents. Une façon nouvelle de voir l’exercice libéral que l’ANEMF a formulé dans son Plan Démographie Médicale, proposant la mise en circulation de véhicules équipés de matériel médical semblable à celui d’un cabinet de ville. Ces Véhicules de Santé PluriProfessionnels (VSPP) pourraient être utilisés par plusieurs professionnels de santé. Mais l’Ordre acceptera-t-il de lever l’interdiction de la médecine dite « foraine » ?
Offrir une évolution de carrière
Avec la création de la filière de médecine générale à l’université, la discipline s’est ouverte au champ de la recherche. Nombre d’étudiants espèrent bien pouvoir continuer leurs travaux en même temps qu’ils exerceront au cabinet. Autre indice : 81,7 % des internes s’estiment prêts à changer d’orientation au cours de leur carrière ou à avoir un exercice diversifié, selon l’enquête de l’ISNAR. Une tendance que les médecins blogueurs du collectif PrivésDeDeserts ont bien senti. Parmi leurs propositions : la multiplication de maisons de santé universitaires. La ministre a repris la balle au bond dans son plan de lutte contre les déserts médicaux. Sans attendre, plusieurs de ces « CHU de poche » ont vu le jour, à la suite de Coulommiers (Seine-et-Marne). Véritable laboratoire de la médecine générale, il s’agit pour les médecins
d’allier la pratique à la théorie, avec un chef de clinique et des travaux de recherches. « Tous les internes que nous avons reçus nous ont fait part de leur envie de revenir. Ce qui leur plaît c’est notre façon de travailler, l’ambiance, mais aussi cet aspect universitaire », convient le Dr Christian Clément, à l’origine du projet de Coulommiers.
Ce n’est pas tout : certains lorgnent aussi du côté d’autres structures : PMI, HAD, EHPAD ou hôpitaux locaux (ces derniers ne figurant toujours pas dans les maquettes d’internat). Un modèle diversifié qui peut là encore séduire les jeunes. « L’exercice, aujourd’hui, nous apparaît comme un modèle fermé qui nous fait peur. On souhaite avoir une autre spécialité, développer notre polyvalence », insiste Alexandre Husson.
Organiser les coups de pouce à l’installation
Si l’argent n’est pas le souci numéro un des internes d’aujourd’hui, l’enjeu financier n’en demeure pas moins important au moment de se lancer. À la question posée par l’ISNAR, près de 70 % répondent qu’une aide logistique et financière à la création d’une maison de santé pluriprofessionnelle ou d’un cabinet de groupe correspondrait à leurs attentes. Viennent ensuite des mesures liées à la mise en place d’avantages fiscaux (60 %). En 2009, la loi HPST avait instauré le contrat d’engagement de service public (CESP)à destination des étudiants en médecine : 1 200 euros jusqu’à la fin de leurs études, en contrepartie d’un engagement à exercer en zones blanches.
Actuellement, 351 bourses ont été octroyées sur les 800 qui avaient été proposés par le précédent gouvernement. Mais l’équipe Touraine s’est fixée comme objectif 1 500 d’ici à 2 017. Pour renforcer l’arsenal, le PLFSS prévoit également la création de 200 contrats de praticiens territoriaux pour assurer un revenu minimum de 4?600 euros par mois aux médecins qui viendraient s’installer dans les zones déficitaires. Si le président de l’ISNAR, Emmanuel Bagourd, ne doute pas de l’intérêt du dispositif, il émet toutefois quelques réserves. « Le montant des charges, la première année, peut être plus élevé que les recettes dégagées par l’activité du jeune installé. Mais cela doit rester une mesure parmi d’autres », conclut-il.