80° réunion annuelle de la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique
Congrès SOFCOT à Paris
du 7 au 11 novembre 2005
LES PROCESSUS dégénératifs aboutissant au rétrécissement du contenant rachidien vis-à-vis du contenu médullaire sont à la fois extrêmement polymorphes et répandus dans la population. Ils commencent très tôt dans la vie de chaque individu.
Des manifestations radiographiques patentes d'arthrose cervicale sont retrouvées, avec de plus en plus de fréquence au fur et à mesure que les sujets avancent en âge : avant 40 ans, elles sont retrouvées dans 10 % des cas, entre 40 et 50 ans, dans 25 % des cas, et, au-delà de 60 ans, dans plus de 75 %. L'IRM est encore plus sensible à détecter de telles anomalies dégénératives.
Au sein d'une population vieillissante, il n'est pas toujours facile de faire la différence entre le pathologique et le dégénératif, plus banal, compte tenu de la prévalence massive de telles anomalies.
Le problème est rendu encore plus compliqué par le fait que des variations ethniques du diamètre naturel (congénital) du canal rachidien rendent plus ou moins tolérables pour le contenant de telles détériorations.
De plus, il est difficile de saisir l'histoire naturelle évolutive de ces désordres dégénératifs, dans la mesure où cela nécessiterait d'observer l'évolution naturelle de populations strictement non traitées.
On ne dispose en fait que d'informations fragmentaires sur certains pans de cette histoire naturelle :
- dès lors qu'un niveau intercorporal est ankylosé ou arthrodésé, l'étage sus-jacent voit sa pression considérablement augmentée ;
- en outre, sans nécessairement être autorisé à extrapoler, il a pu être observé, avec des suivis intermédiaires de cinq, dix ou quinze années (de sujet déjà porteurs d'altérations avancées d'un niveau donné), qu'une aggravation inéluctable des images survenait respectivement dans un tiers des cas au suivi le plus court, dans les deux tiers, au suivi intermédiaire et, dans plus de 80 %, au suivi le plus long.
Ce scénario évolutif classique est amplifié par les activités physiques régulières soutenues, de plus en plus fréquentes dans la population âgée.
Le rétrécissement canalaire osseux résultant des désordres dégénératifs articulaires n'a pas l'exclusivité de la genèse des phénomènes agressifs sur le contenu médullaire. Sur un tel rétrécissement élémentaire se greffent des distorsions du trajet canalaire médullaire, en rapport avec des déformations à la fois statiques et dynamiques de la géométrie naturelle de l'empilement rachidien : modifications de courbures (perte de lordose ou, au contraire, hyperlordose compensatrice d'une cyphose excessive sous-jacente), glissement segmentaire (ante- ou rétrolisthésis), instabilités diverses...
Une agression polyfactorielle.
Si le rétrécissement canalaire représente l'élément brut de base de la compression, des phénomènes supplémentaires de conquête d'espace canalaire s'y surajoutent, soit par des expansions antérieures (bombement discal, ostéophytose postérieure du corps vertébral) ou postérieures (épaississement du ligament jaune).
Un aspect à la fois hydraulique et dynamique vient rendre encore plus complexe cette explication géométrique simpliste de réduction du calibre canalaire ; il s'agit des espaces laissés disponibles de répartition de l'amortisseur hydraulique du liquide céphalorachidien, mais également de certains phénomènes d'hypermobilité localisés à certains niveaux et non toujours détectables en imagerie standard. Seule la technologie avancée dynamique pourrait en rendre compte, qui pour l'instant demeure une imagerie de recherche. Celle-ci objective, par exemple, que l'extension est plus délétère pour le contenu médullaire que la flexion.
Si la myélopathie cervicarthrosique recouvre tout un spectre d'altérations traduisant la souffrance du contenu médullaire, tous les mécanismes étiopathogéniques qui interviennent dans cette détérioration
neurotissulaire ne sont pas à ce jour clarifiés. Plusieurs facteurs d'agression s'intriquent pour rendre compte d'altérations complexes qui se produisent dans la biologie des différentes populations cellulaires constitutives du cordon médullaire : neurones, oligodendrocytes... Des phénomènes de dégénérescence de cordons de fibres nerveuses se surajoutent en distal des centres cellulaires dans ces zones comprimées. Ce patchwork histopathologique complexe et plus ou moins bien systématisé laisse apparaître des décalages de hauteur entre les niveaux radiculaires, relativement familiers du clinicien, et les niveaux médullaires proprement dits. Les niveaux métamériques centraux du cordon médullaire diffèrent donc des niveaux radiculaires segmentaires.
Comme cela a été rappelé précédemment, du fait de l'absence d'éclairage qu'aurait pu apporter une histoire naturelle parfaitement définie, il faut se contenter de dresser des profils pronostics. Ces profils dépendent de la congrégation de plusieurs facteurs péjoratifs confirmés :
- durée (depuis leur apparition) et sévérité des symptômes ;
- surface mesurée de la moelle en imagerie en coupe transversale ;
- diamètre antéro-postérieur du canal au niveau de l'étage rachidien de compression maximale.
L'existence simultanée de tels facteurs péjoratifs individualise des profils de sévérité plus ou moins marquée, dont le patient sera informé afin de ne pas lui offrir des espoirs déraisonnables de guérison.
Différentes stratégies décompressives.
Il ne fait pas de doute, au sein de la communauté chirurgicale, que le traitement de choix de cette myélopathie est la décompression médullaire.
Il s'agit d'une chirurgie hautement spécialisée, réalisée soit par voie antérieure, soit par voie postérieure.
Par voie antérieure sont effectués soit des gestes de décompression, soit des gestes de stabilisation, soit la combinaison des deux.
Les décompressions sont transdiscales, mais restreintes, dans leur efficacité endocanalaires ou, par corporectomie, plus extensives vers le canal, mais nécessitant plus de reconstruction du capital osseux.
Les procédés de stabilisation s'appliquent tout autant aux voies transdiscales qu'aux corporectomies. Ils font appel soit à des greffons autologues (crête iliaque, péroné), soit à des cages radiotransparentes (polymère ou titane) remplies d'os de récupération, soit encore à des substituts osseux (structuraux ou de remplissage). Une ostéosynthèse par plaque(s) complète le plus souvent ces dispositifs. Des prothèses discales sont également en cours d'expérimentation.
Toute cette chirurgie antérieure reste délicate et non strictement indemne d'incidents opératoires (saignement, plaie de l'artère vertébrale...) ou d'insuffisance de décompression. Dans les suites opératoires, il arrive parfois de déplorer des pseudarthroses. Finalement, cette chirurgie antérieure d'autant plus avantageuse que réalisée par des mains expertes n'en demeure pas moins entachée d'un certain degré incompressible de risques dont le futur opéré devra être prévenu.
Par voie postérieure sont réalisées, dans un objectif décompressif, des laminectomies ou des laminoplasties (section des deux hémilames de l'arc postérieur pour les laisser se mobiliser) moins déstabilisantes pour l'ensemble du rachis cervical. Le reproche fait à cette chirurgie postérieure tient essentiellement au fait qu'elle entraîne une perte plus ou moins importante de lordose cervicale, qu'elle est enraidissante et qu'elle impose un certain degré de recul de la moelle dans son canal. Cette chirurgie postérieure est donc préférentiellement proposée au sujet âgé.
Des complications toujours possibles.
Quelle que soit la chirurgie choisie, il est pratiquement impossible d'éliminer, outre d'éventuelles complications générales (liées au terrain), des complications de la chirurgie elle-même.
La plus redoutable est, bien entendu, la tétraplégie, de survenue le plus souvent différée, apparaissant au deuxième ou troisième jour postopératoire ; elle peut se voir aussi bien dans les abords antérieurs que postérieurs. L'IRM réalisée en urgence n'est pas toujours en mesure d'en retrouver les raisons exactes (hématorachis, œdème de « reperfusion » médullaire...).
Lorsqu'une équipe chirurgicale prend en charge un patient, il existe certainement dans la stratégie choisie des influences d'école. Cependant, l'analyse soigneuse de la mécanique compressive impose certains choix qui devront être parfaitement planifiés pour que le chirurgien puisse en compenser les effets sur la relation colonne cervicale-moelle, consécutive à de tels choix.
Ainsi, la décompression antérieure, suffisamment étendue, associée à une stabilisation est préférée dans les situations de compression médullaire prédominant en avant de la moelle.
Les décompressions postérieures s'adressent plus volontiers aux canaux constitutionnellement étroits.
A l'époque de la médecine « basée sur les preuves », il est difficile de disposer d'un argumentaire toujours strictement convaincant pour porter des indications péremptoires dans le domaine de la myélopathie cervicarthrosique.
S'il est clair que les résultats sont d'autant meilleurs que les décisions chirurgicales sont précoces, c'est à un tel stade de début que l'acceptation du risque de complications est la plus délicate. Il s'agit alors d'une chirurgie préventive de désordres dont on n'a pas toujours la possibilité de définir avec exactitude l'intensité.
C'est pourquoi chaque décision réclamera d'être individualisée à chaque situation clinique spécifique rencontrée. Et, de toute façon, la chirurgie devra être confiée à des équipes rompues à ces interventions.
Les myélopathies cervicarthrosiques nécessitent donc une évaluation dans leur globalité rachidienne (type de compression, stabilité, posture...) et dans leur globalité individuelle (âge du patient, attente, acceptation des risques).
Elles nécessitent également une poursuite de la recherche épidémiologique, afin de disposer dans les années qui viennent d'outils d'analyse encore plus fiables pour faciliter un processus décisionnel toujours individualisé.
D'après une conférence d'enseignement Sofcot du Pr V.Pointillart, hôpital Tripode, Bordeaux.
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