Une enzyme bactérienne restaure le microbiote dans la maladie de Crohn

Une piste thérapeutique pour corriger la dysbiose

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Publié le 20/11/2017
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L'étude publiée dans « Science Translational Medicine » suggère une nouvelle approche thérapeutiques dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) : éliminer une partie importante des bactéries du microbiote intestinal, puis réintroduire de « bonnes » bactéries ne possédant pas l’uréase.

« Puisqu’une seule enzyme est impliquée dans le processus, une réponse ciblée pourrait être possible. L'idée serait de pouvoir "modifier" la composition du microbiote de façon à ce qu’il soit dépourvu de l’enzyme », explique dans un communiqué le Dr Gary Wu de l'université de Pennsylvanie à Philadelphie (États-Unis) qui a dirigé l’étude.
L'intestin héberge une riche communauté de microbes qui réagit à divers facteurs de l’environnement comme l’alimentation, la prise d’antibiotiques, l’inflammation et l’infection intestinale. Les patients souffrant d’une MICI, maladie de Crohn (MC) ou rectocolite hémorragique (RCH), ont un déséquilibre ou une dysbiose du microbiote intestinal ; ce microbiote est moins divers, excède en Proteobacteria tandis qu’il est appauvri en Firmicutes, dont notamment les Clostridia producteurs d’acides gras à chaine courte, connus pour leur effet bénéfique (élevant les cellules T régulatrices qui favorisent l’immunotolérance dans la muqueuse intestinale).

« En étudiant le microbiote intestinal d’enfants affectés par la maladie de Crohn, nous avions récemment montré que plusieurs facteurs comme l’alimentation, la prise d’antibiotiques et l’inflammation intestinale contribuent chacun indépendamment au développement de la dysbiose», soulignent les auteurs. La nouvelle étude a permis de découvrir comment les « mauvaises » Protéobacteria sont impliquées dans le développement de la dysbiose et de la pathogénèse des MICI.

L'uréase impliquée dans la dysbiose des MICI

Ni et coll. ont étudié les selles de 90 enfants atteints de maladie de Crohn et de 26 enfants sains (par analyse métagénomique et métabolomique). Les résultats montrent que l’activité de la maladie est corrélée à la dysbiose intestinale et à un taux fécal élevé d’acides aminés issus du métabolisme bactérien de l’azote. De fait, le taux fécal d’acides aminés est corrélé à l’abondance des Protéobactéria (Escherichia, Klebsiella, Haemophillus, et Proteus). Analysant le flux d’azote chez la souris, les chercheurs montrent qu’une enzyme bactérienne, l’uréase, permet aux bactéries intestinales d’utiliser l’azote de l’hôte pour la synthèse des acides aminés. Les chercheurs ont alors modifié une souche d’Escherichia coli pour qu’elle exprime l’uréase, et ils ont inoculé cette souche à des souris normales, préalablement traitées par antibiotiques (vancomycine et néomycine) et polyéthylène glycol (ou PEG, utilisé en routine pour préparer l’intestin avant la colonoscopie) afin d’assurer une meilleure colonisation.

Résultat, l’inoculation de cette souche E. coli uréase-positive reconfigure le microbiote intestinal et entraîne une dysbiose caractérisée par une abondance des Protéobacteria et une baisse des Clostridia, qui s’accompagne d’une colite d’origine immune et d’une production accrue d’acides aminés dans les selles. Par contraste, l’inoculation d’une souche E. coli uréase-négative n’entraîne aucune dysbiose chez la souris. « L’étude est importante parce qu’elle montre que le mouvement d’azote dans les bactéries est un processus décisif dans le développement de la dysbiose. Elle prouve aussi qu’une seule enzyme peut reconfigurer la composition globale du microbiote intestinal », souligne le Dr Wu. Ces observations ont une incidence thérapeutique. D’une part, les résultats mitigés ou inconsistants de la transplantation fécale chez les patients atteints de MC ou de RCH pourraient être liés à une baisse inégale de l’activité de l’uréase. Les chercheurs notent également l’importance de réduire la charge microbienne pour améliorer la prise de greffe des groupes bactériens modifiés par ingénierie, et ils préconisent pour cela la vancomycine et la néomycine en association avec le PEG (poly-ethylene glycol).

Des probiotiques plus efficaces avec le PEG

De même, les probiotiques (comme E. coli Nissle) pourraient être plus efficaces pour traiter les MICI s’ils sont administrés avec le PEG. Un essai clinique mené par l’équipe est déjà en cours chez 30 adultes atteints de MC réfractaire afin d’évaluer un traitement modifiant profondément le microbiote intestinal (traitement par PEG et antibiotiques, avec ou sans antifongiques). « Les résultats de cette étude et l'analyse des échantillons recueillis représenteront une première étape, importante, vers la mise en place d’une plate-forme technologique visant à orchestrer une composition bénéfique du microbiote intestinal pour le traitement les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin », espère le Dr Wu.

Science Translational Medicine, 16 novembre 2017, Josephine Ni et coll.

Dr Véronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9620