Prise en charge précoce de l'obésité morbide

Une expérience inédite de chirurgie bariatrique chez des adolescents

Publié le 23/04/2019
Article réservé aux abonnés
bariatrique

bariatrique
Crédit photo : PHANIE

Jusqu'à l'âge de 8 ans, la morphologie des enfants trop gros semble souvent normale. Elle n'est pas frappante aux yeux de l’entourage. Quant au carnet de santé actuel, il n'aide pas à prendre conscience du poids excessif de l'enfant. Or, pour le Pr Pierre Bougnères (endocrinologue et diabétologue, chercheur à l'Inserm), « la courbe de poids devrait comporter des repères (par exemple, aux âges de 4, 8 et 12 ans) alertant les parents et les médecins, avec des messages de santé clairs, lorsque l'enfant a un poids trop élevé par rapport à sa taille et son âge ».

En tant qu'endocrinologue pédiatre à l'hôpital Saint-Vincent de Paul (Paris), le Pr Bougnères a d’abord tenté, dès les années 2000, d'améliorer l'état de santé des enfants et des adolescents obèses, par le biais d'une approche comportementale : « je travaillais avec des diététiciennes chargées d'analyser l'alimentation de ces jeunes, puis de leur donner des conseils pour modifier leurs habitudes alimentaires. Ce travail, effectué pendant 10 ans auprès d'une cohorte de plusieurs milliers d'enfants obèses, a été un échec flagrant. Nous n'arrivions ni à modifier leurs modes de vie, ni à limiter leur prise de poids rapide ».

Des adolescents obèses engagés sur le chemin de la chirurgie

Dès 2010, le Pr Bougnères choisit de concentrer ses efforts sur l'obésité massive des adolescents pesant plus de 100 kilos entre 15 et 20 ans et continuant à accumuler, chaque année, une vingtaine de kilos : « pour ces jeunes, il fallait agir sans tarder, car l'obésité morbide altérait gravement leur qualité de vie. Ils étaient presque tous tristes, malheureux de leur apparence, sans vie sentimentale et sans espoir. J'ai souhaité leur offrir une porte de sortie, via la chirurgie digestive ». Mais engager ces mineurs dans une chirurgie bariatrique précoce posait le problème de son indication.

Les « obésologues » d’adulte ainsi que les pédiatres y étaient plutôt opposés. Et depuis 2009, les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) stipulaient que la chirurgie bariatrique peut être envisagée, en première intention, chez des patients adultes ayant un IMC de 40 kg/m² ou de 35 kg/m² associé à au moins une comorbidité. Mais aussi, après l’échec d’une prise en charge médicale, nutritionnelle, diététique et psychologique bien conduite pendant 6 à 12 mois. « Engager de jeunes patients sur le chemin de la chirurgie bariatrique supposait de mettre en place des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) dans le cadre d'un centre spécifique de l'obésité. En 2010, nous avons donc créé, avec le Dr De Filippo, un centre très particulier situé à l’hôpital Bicêtre (où nous avons déménagé notre service d’endocrinologie-diabète-obésité pédiatriques lorsque Saint-Vincent de Paul a fermé ses portes, en 2011).

Avec les chirurgiens de l’hôpital Béclère, les Dr Pourcher et le Pr Dagher, très expérimentés chez l'adulte, nous avons décidé de proposer la sleeve gastrectomie à des adolescents obèses de moins de 18 ans, bien sélectionnés » relate le Pr Bougnères.

Des résultats probants à court terme sur le poids et la qualité de vie

Lancé avec le soutien du Programme Hospitalier de Recherche Clinique, cet essai, dirigé par le Dr De Filippo a concerné entre 2010 et 2017, 84 adolescents obèses de 15 à 20 ans, résistants à la prise en charge médicale et nutritionnelle, pesant en moyenne 130 kilos (de 97 à 227 kg), ayant un IMC de 40 kg/m² ou de 35 kg/m² associé à, au moins, une comorbidité. Ces patients étaient tous très motivés pour maigrir.

Après l’échec d’une année d’approche diététique et comportementale, après une préparation pré-opératoire minutieuse, ils ont bénéficié d’une sleeve gastrectomie, réalisée en une heure par laparoscopie, sans aucune complication. Deux ans après l'opération, les patients ont perdu une quarantaine de kilos, amélioré leur qualité de vie et leur image de soi. « Ils devront maintenant être suivis à vie par une équipe spécialisée, car c’est le recul des années qui pourra seul établir les bénéfices lointains de cette chirurgie précoce. Mais, une chose est déjà sûre : il faut offrir des solutions efficaces aux jeunes ayant une obésité massive qui les menace de complications multiples et sévères, dès l’entrée dans la vie adulte », conclut le Pr Bougnères.

 

 

 

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin: 9743